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LIBRE-ÉCHANGE

« Au-delà du TPP, de nombreux autres fronts sont »

13 février 2017 | Mise à jour le 13 février 2017
Par | Photo(s) : Ron Sachs / AFP
« Au-delà du TPP, de nombreux autres fronts sont »

United States President Donald Trump signs the first of three Executive Orders in the Oval Office of the White House in Washington, DC on Monday, January 23, 2017. They concerned the withdrawal of the United States from the Trans-Pacific Partnership (TPP), a US Government hiring freeze for all departments but the military, and "Mexico City" which bans federal funding of abortions overseas. Standing behind the President, from left to right: US Vice President Mike Pence; White House Chief of Staff Reince Preibus; Peter Navarro, Director of the National Trade Council; Jared Kushner, Senior Advisor to the President; Steven Miller, Senior Advisor to the President; unknown; and Steve Bannon, White House Chief Strategist. Credit: Ron Sachs / Pool via CNP - NO WIRE SERVICE- Photo: Ron Sachs/Consolidated News Photos/Ron Sachs - Pool via CNP

Le traité devait façonner le commerce international du XXIe siècle, mais la signature, le 23 janvier dernier, par Donald Trump d’un décret retirant les Etats-Unis des négociations pourrait bien sonner le glas du projet. Keisuké Fuse, de la centrale syndicale japonaise Zenroren, et Nick Allen, du syndicat américain des service SEIU, expliquent les raisons qui les poussent à s’en réjouir, tout en refusant nationalisme et xénophobie. Entretiens.
NVO : Quelle est la position du Zenroren sur le Traité de libre échange transpacifique (TPP) ?

Keisuke Fuse : Le Japon n’a rejoint les négociations du TPP que tardivement. Au départ, le projet ne rassemblait que Bruneï, Singapour, le Chili et la Nouvelle-Zélande. Lorsque les États-Unis les ont rejoints, ils ont cherché à l’ouvrir à de nouveaux membres. Au final, ce traité rassemble 12 pays [Australie, Bruneï, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, États-Unis, Viet-Nam, NDLR], y compris le Japon, qui a rejoint les négociations en 2012.

Pour nous, le TPP est fait pour les multinationales, pour les « 1% » les plus riches et non dans l’objectif de bénéficier aux « 99% » autres. Nous nous y sommes opposés dès le début. Nous avons réussi à rassembler une large coalition contre ce TPP, rassemblant des organisations de la société civile, des agriculteurs, des associations de défense de l’environnement, des politiciens du parti démocrate, des socio-démocrates, des communistes. Malgré ce succès, le premier ministre Abe a mené à bien sa politique néolibérale et a ratifié ce traité.

Pour un pays insulaire comme le Japon, aux ressources naturelles limitées, le commerce international semble pourtant primordial ?

Keisuke Fuse : C’est précisément l’argument du gouvernement, mais nous pensons que ce traité représente un risque pour l’agriculture et la société japonaises. Les produits agricoles américains pourraient avoir accès à notre marché, or notre agriculture est déjà à l’agonie, nous sommes loin de la souveraineté alimentaire, nous voulons continuer à défendre notre agriculture. Selon le ministère de l’agriculture lui-même, le TPP pourrait coûter près de 600 000 emplois dans le secteur agro-industriel.

D’un point de vue syndical, nous sommes aussi inquiets de l'impact sur notre marché du travail d’un traité avec des pays où les salaires et les conditions de travail sont plus bas qu’au Japon, comme au Vietnam ou en Malaisie. Nous avons déjà des cas où des travailleurs vietnamiens travaillent au Japon pour 2/3 du salaire minimum et sont menacés de reconduite à la frontière s’ils osent se plaindre à un syndicat ou à la police.

La question des « mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États » (ISDS) nous inquiète également. Ces mécanismes, prévus dans certains traités, permettent aux entreprises de poursuivre un Etat en justice en cas de réglementation sociale leurs portant préjudice !

Dès son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a retiré son pays des négociations autour du TPP, quelle est votre réaction ?

Keisuke Fuse : La décision du président Trump est en fait une très bonne chose pour nous. Mais en réalité, ce n’est pas Trump qui a tué le TPP, mais plutôt nos campagnes syndicales dans nos pays respectifs, et la pression que le mouvement syndical a exercé sur les gouvernements des Etats concernés. Donald Trump est un peu fou, et nous ne pouvons pas l’accepter, mais ce qu’il a fait répond au mécontentement des ouvriers américains. Nous devons proposer des alternatives saines à l’argument des multinationales sans tomber dans le nationalisme et la xénophobie, sinon, c’est la porte ouverte pour des gens comme Donald Trump, Nigel Farage ou Marine Le Pen.

Faut-il s’attendre à une nouvelle version du traité ?

Keisuke Fuse : Donald Trump est en faveur d’un accord de libre échange bilatéral avec le Japon, de telle manière que nos deux économies seraient plus ou moins incorporées l’une à l’autre. Ce que nous rejetons.

Des négociations existent aussi autour du RCEP (Partenariat économique régional global), à l’initiative de la Chine, qui concerne le pays de l’ANASE (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) mais aussi la Chine, la Nouvelle-Zélande et le Japon, qui serait aussi néfaste que le TPP.

Un autre accord entre le Japon et l’Europe est aussi sur la table et prévoit des ISDS. Enfin, des négociations ultrasecrètes ont lieu autour du TiSA (Trade in Services Agreement, ou Accord sur le commerce des services), rassemblant essentiellement des pays de l’OCDE, et pour lesquels nous demandons au gouvernement japonais de publier des informations, car cela pourrait avoir un impact lourd sur notre secteur public, la sécurité sociale, les transports. Donc oui, au delà du TPP, de nombreux autres fronts sont ouverts.

Le Japon est face à de nombreux défis : une population vieillissante, une balance commerciale négative, le problème des ressources naturelles… Quelles alternatives proposez-vous ?

Keisuke Fuse : Historiquement, l’économie du Japon repose sur le commerce international et l’industrie. Nous devons réduire cette dépendance aux exportations industrielles. Nous devons développer nos services publics, investir dans l’économie de la santé, des soins de longue durée et pour cela, il faut organiser le secteur autour de conditions de travail décentes, d’un salaire minimum. Des usines s’installent en Chine ou en Thaïlande, mais dans notre communauté, nous aurons toujours besoin d’infrastructures sociales. Il faut que le Japon se concentre sur cette communauté et dépende moins de la mondialisation.

En ce qui concerne les États-Unis, quelle est la position du SEIU ?

Nick Allen : En ce qui concerne ces accords de libre-échange, nous nous opposons sur le principe de ces modèles de négociations secrètes et opaques qui nous ont déjà donné l’ALENA ou le CAFTA. Ce modèle n’est pas en mesure de répondre aux besoins des travailleurs des deux côtés de l’accord. Ce sont plutôt des sortes de chartes dans l’intérêt des multinationales. Nous exigeons des accords qui protègent les travailleurs avant tout, dans les deux pays, qui protègent l’environnement et les droits civiques.

Pendant la campagne, que ce soit Donald Trump, Hillary Clinton ou Bernie Sanders, toute la classe politique américaine était plus ou moins opposée à l’accord. Donald Trump l’a annulé, c’est une très bonne chose. Mais soyons clairs, il est évident qu’il l’a fait pour des raisons complètement différentes des nôtres, des raisons nationalistes. Maintenant que l’accord n’existe plus, il reste à voir ce qui va le remplacer. Nous ferons notre possible pour peser à ce sujet.

Depuis le début du mandat de Donald Tump, il mène des assauts violents sur tous les fronts : les droits des travailleurs, les droits des minorités, l’environnement. Trump a fait quelque chose dont les résultats, par coïncidence, nous conviennent, mais vous savez, une horloge cassée est à l’heure deux fois par jours. Il ne fait aucun doute que nous serons en confrontation frontale sur les sujets qui nous tiennent à cœur.

Au moment de signer le décret, Donald Trump commente son acte en disant « une très bonne chose pour le travailleur américain », partagez-vous cette analyse ?

Nick Allen : Au même moment, il signe un gel des embauches de fonctionnaires fédéraux, nomme, comme ministre du travail, un ancien PDG d’une chaine de fast-food complètement réactionnaire en ce qui concerne le droit du travail, introduit un projet de loi au congrès pour un « Right to work » (ou « droit de travailler ») national, c’est à dire qu’il démantèle les quelques droits qui nous restaient et prive les syndicats de financement. C’est au-delà de la caricature, il vise à réduire le syndicalisme en divisant les travailleurs, en donnant quelques miettes aux syndicats du bâtiment par exemple pour mieux nous diviser. A nous de nous assurer que nous restons unis.

Donc même si Donald Trump annule le TPP ou annonce la construction d’autoroutes—ce que nous soutenons—il fait, au même moment dix choses qui détruisent la vie des travailleurs. Il faut regarder sa politique dans son ensemble.

Le libre échange c’est aussi la libre circulation des personnes, qu’en pense le SEIU, un syndicat du secteur des services ?

Nick Allen : Notre syndicat est très positionné pour la défense des droits des immigrés. Nous sommes partisans d’un accord sur l’immigration qui doit protéger les droits des près de 11 millions de travailleurs sans-papiers. Une ouverture totale des frontières n’est peut-être pas complètement réaliste politiquement, mais nous ne sommes pas non plus en faveur de leur fermeture.

Le décret anti-immigration visant des pays musulmans du président Trump a envoyé un signal fort montrant à quoi ressemblera son administration. Ce n’est absolument pas acceptable. Certains de nos adhérents ont même été empêchés de rentrer sur le territoire.