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ÉLECTIONS US

Bernie Sanders, le candidat socialiste, toujours dans la course…

2 mars 2016 | Mise à jour le 20 février 2017
Par | Photo(s) : DR
Bernie Sanders, le candidat socialiste, toujours dans la course…

Ce 1er mars avait lieu le « Super Tuesday », moment clé des primaires à l’élection présidentielle nord-américaine. Alors que Donald Trump s'impose comme le candidat républicain, Hillary Clinton devance Bernie Sanders chez les démocrates. Décryptage d'une candidature socialiste qui compte encore.
Entretien avec Rick Fantasia, sociologue, professeur au Smith College, université de Northampton (Massachusetts, USA). Coauteur de « Des syndicats domestiques : répression patronale et résistance syndicale aux États-Unis », éd. Raisons d'agir, 2003.

Dans la course à l‘investiture du côté du Parti démocrate, Bernie Sanders, sénateur du Vermont et visage du socialisme à l'américaine réalise des scores non négligeables et sa candidature remporte l’adhésion des jeunes et des ouvriers.

QUE REPRÉSENTE LA CANDIDATURE DE BERNIE SANDERS ? EST-CE LE RÉSULTAT D'UN VOTE CONTESTATAIRE OU L'EXPRESSION D'UN ESPOIR ?

La candidature de Bernie Sanders est sortie de nulle part. Bien que sénateur depuis des années, il vient d'un petit État – très rural de surcroît – qui a peu de visibilité dans le pays ; il n'a donc jamais été unefigure éminente de la scène politique nationale. Les gens de gauche le connaissent bien, et apprécient qu'il se soit ouvertement identifié comme socialiste – dans une société où cela a été interdit pendant les soixante-quinze dernières années –, mais il n'avait jamais été considéré comme une force politique sérieuse, jusqu'ici.

Hors de la gauche, et donc pour la plupart des Américains, Bernie Sanders était un parfait inconnu, ou, à la rigueur, une curiosité inoffensive. C'est pour cette raison que sa candidature a autant attiré l'attention. En d'autres termes, le contexte de cette soudaine percée et la raison pour laquelle elle n'a été prédite par personne sont dus à une situation exceptionnelle : un vide idéologique de plusieurs décennies durant lesquelles étaient proscrites les idées et notions de base de gauche (telles que les classes, la lutte des classes, l'exploitation, la classe dominante, etc.) dans le discours politique.

La plupart des Américains, et particulièrement les jeunes, entendent ce genre de discours pour la première fois alors que la division de classes aux USA est plus éblouissante que jamais. En raison de l'écart entre l'étanchéité du discours politique américain aux réalités de classes et sa prégnance réelle dans la société, le discours de Bernie Sanders a résonné avec force.

Avec sa représentation pour le moins inusitée de la société américaine, Bernie Sanders était relativement méconnu et donc « vierge », dans une société où les votants considèrent la plupart des politiciens avec mépris. Son côté « naturel », y compris son style vestimentaire, tranche avec les sempiternels profils sophistiqués et flagorneurs. Autant pour ses supporters que pour ses détracteurs, il est le gars authentique, honnête.

C'est un juif de Brooklyn, sénateur dans le Vermont, pétri de contre-culture alternative. Pour résumer, c'est un peu « notre » José Bové. Bernie Sanders offre aux Américains une grille de lecture de ce qui est en train de se produire dans notre société, et donc de leur arriver. C'est un contre-pied aux discours politiques qui reposent souvent sur un mélange d'euphémismes et de malhonnêteté pour dissimuler ce qui se passe. C'est aussi l'expression d'un espoir de changement de la société américaine, c'est-à-dire moins corrompue, moins inégale et plus juste.

BERNIE SANDERS EST-IL LE CANDIDAT DES OUVRIERS ? DE LA JEUNESSE ? DES FEMMES ? QUE MONTRE SA TRAJECTOIRE DANS LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ?

D'après les études reliant les niveaux de revenus et les candidats, le soutien à Bernie Sanders est important parmi les ouvriers (plus les niveaux de salaires sont bas, et plus les électeurs votent pour lui, au détriment de Hillary Clinton), mais cela doit être nuancé à plusieurs titres. D'abord, et le plus important à prendre en compte au sujet du vote des ouvriers, c'est qu'ils ne votent pas (et particulièrement depuis ces dernières décennies).

En d'autres termes, ils « votent » par abstention. En outre, quand les ouvriers votent, ce n’est pas nécessairement en faveur des démocrates. Certes, les syndiqués et leurs familles ont tendance à voter pour les démocrates mais, d'autre part, de moins en moins de travailleurs sont syndiqués – plus à cause d'un antisyndicalisme institutionnalisé que par choix propre. Les ouvriers non syndiqués votent différemment selon les régions du pays.

Les ouvriers blancs non syndiqués, par exemple, votent autant pour les démocrates que pour les républicains, spécialement dans le sud et au centre du pays. Les travailleurs afro-américains syndiqués ou non, eux, votent à une majorité écrasante pour les démocrates, mais ils ne constituent que 13 % de la population. Tout cela montre une situation politique américaine très diverse.

Les femmes, à ce stade, semblent autant voter pour Bernie Sanders que pour Hillary Clinton, ce qui est une surprise. Encore plus surprenant est l'attrait exercé par ce vote chez les jeunes. Il recueille 80 % des votes chez les moins de 30 ans. Ce qui est extraordinaire, mais doit également être nuancé par le fait que cette classe d'âge est celle qui vote le moins aux élections nationales.

AU DÉPART, BERNIE SANDERS PRÉTENDAIT-IL VRAIMENT À LA PRÉSIDENCE OU VOULAIT-IL SIMPLEMENT FAIRE PENCHER LE PROGRAMME DE HILLARY CLINTON VERS LA GAUCHE ?

Quand il s'est lancé dans la course, je pense qu'il l'a fait pour hisser au niveau national le débat autour des inégalités de richesses et de revenus dans notre société. Il a fait cela en traduisant en termes idéologiques et de programme électoral ce que les manifestations des « Occupy Wall Street » ont fait émerger il y a quelques années. Avant le mouvement d'« occupation », les inégalités de classe n'étaient pas un sujet de discussion répandu ou une préoccupation dans la sphère politique.

Avec Bernie Sanders, ce sont devenus des sujets centraux. Cela a été très important et a commencé à susciter une véritable prise de conscience sociale dans notre société. Quand il a réalisé combien cette perspective était bien reçue, il a commencé à mobiliser avec rapidité et stratégie, et a été capable de lever d'importants fonds pour financer sa campagne et construire une organisation en mesure de gagner.

Il n'a vraiment commencé à développer une campagne pour gagner les primaires que lorsqu’il s'est aperçu que ça devenait possible. Au-delà, il ne fait aucun doute que sa candidature a tiré la campagne de Hillary Clinton vers la gauche : elle a adopté toute une rhétorique contre l'avidité de la finance et en appelle à des augmentations substantielles du salaire minimum (Smic).

POURQUOI LA PLUPART DES SYNDICATS SOUTIENNENT-ILS HILLARY CLINTON ? EST-CE UNE STRATÉGIE PRAGMATIQUE OU LE REFLET DE LEURS LIGNES POLITIQUES ?

La majorité des syndicats soutiennent en effet la candidature de Hillary Clinton, ce qui n'est pas surprenant. Cela reflète : et une stratégie pragmatique, et la ligne politique de la plupart des hauts responsables syndicaux. Avec le temps, ils ont développé des « goûts de nécessité » utilitaires dans le sens où :

  • 1) les syndicats américains sont si fragiles et leur viabilité si précaire qu'ils ne peuvent pas se permettre de se séparer de Clinton (très probablement future présidente) ;
  • 2) et l'establishment du parti démocrate et la plupart de la génération des leaders syndicaux ont grandi dans le contexte de la guerre froide et de son héritage, ce qui était particulièrement ancré dans les structures et les organes de décision des organisations syndicales.

Pendant des décennies, les visions politiques anticommunistes et antisocialistes étaient obligatoires pour qui voulait entrer dans la sphère de la politique syndicale, ou en politique tout court. Ni les leaders syndicaux ni les syndiqués ne sont sortis indemnes des œillères de la guerre froide, ce qui donne un avantage substantiel à des candidats comme Hillary Clinton, au détriment de candidats de gauche comme Bernie Sanders.

C'est aussi ce qui a rendu la campagne de Sanders si remarquable. Cela a demandé un courage politique certain aux syndicats qui ont soutenu cette candidature : le syndicat américain des travailleurs de la poste (APWU), celui des travailleurs des télécommunications d'Amérique (CWA) et l'union nationale des infirmières. Même chose pour les politiques du Parti démocrate au niveau fédéral, étatique et local. Ils ont été relativement peu nombreux. Bien sûr, nombre d'entre eux considèrent son programme trop radical, mais c'est aussi la peur de se voir lâcher par l'establishment du Parti démocrate auquel ils sont liés qui les retient de le soutenir ouvertement.

Cela dit, il ne faut pas désespérer, car sa candidature a déjà remporté une grande victoire pour la gauche en élargissant grandement le débat. Cela faisait des décennies qu'il n'avait pas été aussi important. Cette campagne a non seulement permis d'asseoir l'enjeu des inégalités de classes comme un fait central de la vie sociale américaine, mais aussi d'avancer des politiques spécifiques pour s'y atteler en termes de programme. L'extraordinaire degré d'inégalité de richesses et de revenus de la société américaine a désormais été exposé à une large frange de l'électorat, ce qui est très important.

Essentiellement grâce à cette candidature, il y a une autre façon de voir les choses, qui regarde explicitement vers l'Europe en tant que modèle de protection sociale – cela, malgré l'affaiblissement du modèle social européen au fur et à mesure de son alignement sur le modèle économique américain !

Mais les Américains ont commencé à considérer que notre service public de protection vieillesse devait peut-être être étendu au lieu d’être réduit ; que les réformes de protection santé instaurées par Obama n'étaient peut-être pas allées assez loin, et qu'un système national de sécurité sociale pouvait être faisable ; que les étudiants et leurs familles ne devraient pas avoir besoin de profondément s'endetter pour prétendre à un bagage universitaire.

Sans vouloir terminer sur une touche d'optimisme, comme dans un film hollywoodien, il faut déjà reconnaître à la candidature de Bernie Sanders un effet important sur la culture de la politique américaine, bien qu’il ne deviendra vraisemblablement pas Président. Il faut être réaliste quant à la magnitude des forces alignées contre la gauche, qui sont tout à fait colossales aux États-Unis, où les entreprises dominent complètement, tant d'un point de vue institutionnel qu'idéologique. C'est précisément ce qui rend le phénomène Bernie Sanders aussi remarquable.