À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
TÉLÉVISION

Conscience ouvrière

14 mars 2016 | Mise à jour le 16 février 2017
Par | Photo(s) : 13Productions
Conscience ouvrière

Sous-représentés en politique et dans les médias, les ouvriers représentent un quart de la population active française. Si leur conscience de classe s'efface, leur condition demeure, comme en témoigne la série documentaire « Nous, ouvriers » à voir sur France 3.

En réalisant cette belle série documentaire en trois époques que présente Philippe Torreton, qui en est la « voix off », Claire Feinstein et Gilles Pérez braquent le projecteur sur sept millions de nos concitoyens dont la condition est occultée et dont la conscience d'appartenir à un même groupe social s'est diluée. Cependant, comme le précise l'historienne Marion Fontaine : « Les ouvriers existent toujours bel et bien. Mais il y a un éclatement de tout ce qui politiquement, culturellement ou socialement faisait d'eux un groupe unifié. Il y a toujours des ouvriers, mais plus de classe ouvrière. »

Une cinquantaine de familles de toutes les régions et de tous les métiers ont accepté de prêter leur concours à ce portrait très vivant de la condition ouvrière de 1945 à nos jours. Ils en sont les grands témoins, la mémoire, en contrepoint de l'analyse des historiens Xavier Vigna et Marion Fontaine.

Nos mains ont reconstruit la France rappelle la période 1945-1963, avec, notamment, le témoignage exceptionnel et si lucide d'Achille Blondeau, ancien mineur et syndicaliste CGT qui n'a rien oublié. Ni la période où les mineurs étaient considérés comme des héros, dont le travail allait permettre la reconstruction du pays, ni les grèves massives de 1948 où le ministre socialiste de l'intérieur Jules Moch envoie la troupe contre les grévistes. Six morts, de nombreux blessés et des dizaines de milliers de travailleurs licenciés, « l'âge d'or » des ouvriers aura été de courte durée…

Un important rappel historique alors que la criminalisation de l'action syndicale est à nouveau d'une brûlante actualité.

La deuxième partie Nos rêves ont façonné la société (1963-1983) marque un bouleversement avec l'introduction massive de la taylorisation. L'ouvrier devient une machine à produire, quand il n'est pas lui-même « au service de la machine ». L'automatisation, présentée et parfois utilisée pour alléger les tâches répétitives, insalubres ou dangereuses va vite être mise au service d'un productivisme visant à une rentabilité qui bénéficie avant tout au patronat paternaliste puis à l'actionnariat le plus avide. Les cadences sont créées et ne feront que s'accélérer, vidant le travail de son sens : les ouvriers ne fabriquent plus une pièce ou un objet, ils exécutent un geste.
Avec cette parcellisation du travail, la fierté ouvrière tend à disparaître. Dépossédé de son ouvrage et de la satisfaction d'avoir accompli une tâche utile et valorisante, l'ouvrier, notamment sur les chaînes, ressent un malaise qui mènera à l'explosion de 1968, les plus grandes grèves du XXe siècle.
Les conflits éclatent un peu partout, dont le plus emblématique, celui des Lip à Besançon, vont prouver qu'il existe une formidable intelligence ouvrière, qui a la capacité d'imaginer et de proposer d'autres manières de travailler dans un autre système de valeurs.

La dernière époque Nos cœurs battent encore (1983 à nos jours) est le temps du repli, de la désillusion, de l'accélération de la mondialisation ultralibérale avec son cortège de désindustrialisation, de casse de pans entiers de savoir-faire et la mise en concurrence de travailleurs de toute la planète.

En France, on appelle alors un ouvrier du nettoyage « technicien de surface », un OS « opérateur ». La chaîne de montage est rebaptisée « ligne », et le recul massif de l'industrie au profit des services déplace le prolétariat vers les métiers du tri, de la logistique, des services à la personne, du nettoyage, de l'hôtellerie et de la restauration, du petit commerce, etc.

Le langage ainsi manipulé tend à faire croire qu'on est « employé » plutôt qu'ouvrier, comme si ce beau terme était honteux…

Les témoignages des ouvriers et ouvrières interrogés sont formidables de lucidité, d'intelligence, de finesse du sens critique avec des notes d'humour qui n'excluent pas une légitime colère. Bref, une conscience sociopolitique que ce documentaire met parfaitement en valeur.

Seul regret, qui n'incombe pas aux réalisateurs, mais à la programmation télévisuelle : les trois époques sont diffusées le lundi soir à 23 h 30, un horaire qui ne favorise pas ceux qui se lèvent tôt, qui privilégieront donc les rediffusions.

 

Nous ouvriers, de Claire Feinstein et Gilles Pérez.

France 3 à 23 h 30 – 14, 21 et 28 mars 2016 – 3 x 52 minutes.