Après 118 ans d'existence, la distillerie Deulep de Saint-Gilles, dans le Gard, est menacée de fermer à la fin du mois avec à la clé, le licenciement de 33 personnes et des menaces indirectes sur une centaine d'autres. Mais les salariés et leur syndicat CGT soutiennent, au contraire, un projet de développement écologique, social et prometteur pour la région.
« Cela fait 15 ans que je suis dans l'entreprise et, franchement, on n'a jamais aussi bien fonctionné », affirme Christophe Borie, secrétaire du CE et délégué du personnel CGT de Deulep, distillerie installée dans le Gard depuis plus d'un siècle.
« L'entreprise a investi environ 12 millions d'euros au cours de ces cinq dernières années et l'on est vraiment au top. » Le spécialiste de la fabrication d'« alcool de bouche », celui utilisé dans la fabrication de spiritueux ou l'industrie pharmaceutique, et de biocarburant de « première génération », l'éthanol destiné aux pétroliers, à partir de déchets viniques n'a effectivement pas lésiné. Installation d'une unité de déméthanolage, d'un nouveau poste de chargement permettant « d'importantes économies d'énergie », construction de nouveaux bureaux « avec un laboratoire tout neuf », l'outil est plus performant et la production, au rendez-vous.
Fermeture : une annonce qui ne passe pas
Alors, quand, en novembre dernier, la direction annonce la fermeture, c'est le coup de massue. Les premières lettres de licenciement sont arrivées le 1er mars
D'autant plus violent que les raisons invoquées sont loin de convaincre. « La direction fonde cette fermeture sur un problème économique or un cabinet indépendant conteste cet aspect en concluant à notre viabilité », précise le délégué. Une opinion partagée par le commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) de la région Occitanie – les anciens commissaires au redressement productifs de Montebourg. Impliqué dans le dossier, après avoir visité le site il y a une dizaine de jour, il « ne comprenait pas pourquoi on faisait autant d'investissements pour tout bazarder après ».
C'est aussi l'avis des maire de Saint-Gilles et de Saint-Louis-du-Rhône, où Deulep possède des silos de stockage pour ses biocarburants, oui des élus départementaux et régionaux, au premier rang desquels la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, qui « a fait un courrier au ministre Bruno Le Maire ».
Manque d'anticipation
Pour Christophe Borie, la réponse est à chercher dans la politique de l'entreprise. Longtemps familiale, la distillerie est, depuis 2005, la propriété du groupe Cristal Union, deuxième groupe sucrier français et troisième européen. « Ils n'ont pas anticipé qu'avec la fin des quotas au niveau européen [en octobre 2017, ndlr] et l'ouverture du marché mondial, d'autres pays producteurs comme le Pakistan ou l'Inde allaient inonder le monde de sucre à bas prix. Le cours du sucre s'est effondré et ils sont aujourd'hui en grosses difficultés », explique Christophe. « Leurs comptes ne sont pas bons et les actionnaires râlent. Et donc, on ferme des filiales, on restructure, on recentralise. »
Un projet industriel utile et viable
Une logique que refusent les salariés de Deulep qui ont décidé de tout faire pour sauver leur distillerie. « On a bossé plus d'un mois, presque jour et nuit, les weekends. » Résultat : un « Plan alternatif » présenté devant la Direccte de Nîmes, lequel se veut tout à la fois « écologique, social et régional ».
« On veut partir sur de la biocarburation de “seconde génération”, à partir de déchets ligneux, bois, paille de riz, sagnes et autres végétaux. Cette technologie existe, mais elle n'est pas encore arrivée en France », précise le délégué.
Une technologie qui permettrait de répondre, entre autres, à l'un des problèmes récurrents de la Camargue : la paille de riz [la Camargue produit environ 100.000 tonnes de riz par an, ndlr] dont la combustion provoque des rejets de carbone et silicifie les sols.
Autre argument développé, et non des moindres, le développement du biocarburant. « Le marché s'est inversé. On vend de moins en moins de véhicules diesel et plus d'essence. D'autre part, les députés ont récemment voté [en décembre dernier, ndlr] une incorporation supplémentaire du taux de biocarburant dans les essences qui va passer de 7,5 % aujourd'hui à 8,2 % d'ici à 2020 et l'on parle de 15 % en 2030. Et l'on veut fermer la seule entreprise du sud de la France qui en fabrique ? »
Urgence
Une table ronde réunissant les différents acteurs, politiques, syndicaux, patronaux et salariés est prévue pour le 22 mars. « Il est clair qu'aujourd'hui, Cristal Union est seule contre tous et que tout le monde est derrière ce projet », constate Christophe Borie. « Mais rien n'est jamais sûr. » Il est pourtant urgent d'agir.. Patrick Chesnet