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Coronavirus

Coronavirus : urgence sanitaire et droits des salariés

20 mars 2020 | Mise à jour le 25 mars 2020
Par | Photo(s) : Estelle Ruiz/AFP
Coronavirus : urgence sanitaire et droits des salariés

Un supermarché en Loire-Atlantique, le 19 mars 2020

Le gouvernement a décrété l'état d'urgence sanitaire, que devrait adopter l'Assemblée nationale, après le Sénat. Peut-on à la fois déclarer « la guerre » à la pandémie, décréter l'état urgence sanitaire, et faire prendre des risques à des centaines de milliers de salariés tout en réduisant leurs droits ?

Qualifié d'« ennemi de l'humanité » par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Covid-19 a déjà contaminé plus 240 000 personnes dans le monde et, en ce vendredi 20 mars, on approche déjà des 10 000 morts officiellement recensés.

Face à cette pandémie sans précédent, plus d'un demi-milliard de personnes dans le monde doivent respecter des restrictions de circulation et sont appelées par les autorités à rester confinées chez elles.

En France, après les mesures de confinement, mais tandis que nombre de salariés continuent de devoir emprunter les transports en commun pour travailler sur site, le gouvernement a autorisé mercredi l'instauration d'un « état d'urgence sanitaire », accompagné de mesures d'urgence présentées comme nécessaires à l'économie.

Adopté jeudi 19 mars en première lecture par le Sénat en comité restreint, il devait l'être vendredi 20 mars par l'Assemblée nationale. Mais, au-delà de son aspect sanitaire, il vise aussi à réduire les droits des salariés au nom des nécessités économiques, tandis que, par ailleurs, le Président de la République et des membres de l'exécutif appellent les citoyens à poursuivre le travail. En dépit des risques. Explications.

État d'urgence sanitaire

L'état d'urgence sanitaire, déclaré par décret en Conseil des ministres, nécessite une adoption législative par le Sénat et l'Assemblée nationale, dès lors qu'il est prévu pour une durée de plus de douze jours. C'est donc ce que devaient faire les deux Assemblées. La déclaration de l'état d'urgence sanitaire (qui traite aussi du report des élections municipales) donne alors « pouvoir au Premier ministre de prendre par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, les mesures générales limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tout bien et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire (…) ». Ces mesures, précise le texte de loi, « sont proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. »

Le texte donne également le pouvoir au ministre de la Santé de prescrire par arrêté d'autres mesures générales ou individuelles et précise qu'un comité de scientifiques est réuni.

L'Assemblée nationale et le Sénat seront informés « sans délai » des mesures prises pendant cet état d'urgence.

Des mesures pour les entreprises

Le gouvernement est habilité à prendre par ordonnances une série de mesures pour soutenir les entreprises et « limiter les cessations d'activité ». Parmi elles, des mesures de « soutien à la trésorerie », d'« aide directe ou indirecte » ou de « facilitation du recours à l'activité partielle », notamment dans un contexte où pour l'instant les recettes fiscales nettes prévues en 2020 seraient inférieures de 10,7 milliards d'euros à ce qu'il avait initialement escompté, avec une chute du PIB de 1 %. Un fonds est créé dont le financement « sera partagé avec les collectivités territoriales ».

Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, a ainsi annoncé la mobilisation « immédiate » de 45 milliards d'euros, alors que le gouvernement n'était pas en mesure, disait-il tous ces derniers mois, de trouver les fonds nécessaires à la survie de l'hôpital et notamment des urgences, dont les professionnels continuent aujourd'hui de tout faire pour sauver des vies.

Comme l'a rappelé la CGT, 17 500 lits ont été fermés depuis 2013 (source ministère santé décembre 2019) 78 % concernant le secteur public, et plusieurs centaines de milliers de postes manquent dans les hôpitaux, les EHPAD, le secteur du maintien et du soin à domicile…

Le ministre prévoit le report de paiement des cotisations fiscales et sociales des entreprises et, de ce point de vue, ne distingue pas en fonction de leur taille et des bénéfices réalisés, alors que la Sécurité sociale devra assumer des dépenses supplémentaires importantes. 35 milliards d'euros de report sont ainsi prévus, le ministère précisant que cela ne devrait pas avoir d'impact sur le déficit public en 2020, si les sommes dues sont versées avant la fin de l'année.

Quant aux entreprises en difficulté comme Air France — KLM, Bruno Le Maire a envisagé l'hypothèse d'une nationalisation, précisant : « nous ne prendrons aucune décision (…) sans une concertation étroite avec notre partenaire hollandais ». De même, le Premier ministre Édouard Philippe n'a pas exclu, mardi, le principe de nationalisations. En tout cas, tant que la ou les entreprises concernées seraient en difficulté…

En revanche, « interdire de licencier, je ne crois pas que nous en arrivions là », a-t-il affirmé.

Le droit du travail en ligne de mire

Du point de vue du gouvernement, le soutien à l'activité passe-t-il par de nouvelles mises à mal des droits sociaux ? C'est en tout cas ce que permet le texte de loi.

Ainsi de plusieurs articles. L'un vise par exemple à « modifier les conditions d'acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d'une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation définis par le livre 1er de la troisième partie du Code du travail, les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique ».

Un autre article permet « aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger de droit aux règles d'ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ».

Malgré les risques, les salariés au travail ?

« Notre pays traverse une crise sanitaire sans précédent depuis un siècle. Cette crise nécessite des mesures fortes pour prévenir, pour contenir et pour gérer l'épidémie », a déclaré Édouard Philippe. Une règle d'or : rester chez soi. Mais Emmanuel Macron a exhorté jeudi 19 les entreprises et les salariés à poursuivre leur activité « dans le respect des règles de sécurité sanitaire ».

La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, qui a salué jeudi les salariés allant travailler « avec la boule au ventre », estime en même temps que le droit de retrait ne s'applique pas si l'employeur (devenu juge et partie) assure « la sécurité sanitaire qui leur est due ».

Si le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a jugé « inacceptables » les pressions qu'exerce le géant de la distribution par internet Amazon sur ses salariés, qui ne sont pas payés s'ils exercent leur droit de retrait pour des raisons sanitaires, il reste que parmi les travailleurs qui prennent des risques au profit de tous, comme les éboueurs ou les ambulanciers, beaucoup ne disposent même pas de masque. Mais le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner a affirmé jeudi, à propos des policiers, qu'ils « ne sont pas en risque »…

Quant à Muriel Pénicaud, elle a osé se dire « scandalisée » que des fédérations d'employeurs incitent leurs membres à suspendre leur activité, en particulier dans le bâtiment. Alors que la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) a demandé que tous les chantiers non urgents cessent au plus vite, la ministre du a estimé que ce serait faire preuve d'un « manque de civisme ». Selon Mediapart, elle aurait même demandé aux administrations locales de « challenger » les entreprises qui veulent fermer pour cause de coronavirus, afin qu'elles tentent de maintenir leur activité. Vendredi 20 mars, Bruno Le Maire a enfin annoncé que les entreprises du BTP à l'arrêt auraient droit au chômage partiel.

La santé doit être la priorité

L'exécutif a-t-il pris toute la mesure de ses responsabilités face aux risques que fait courir la pandémie aux travailleurs et aux citoyens  ? On est aussi en droit d'en douter après les aveux de l'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, affirmant avoir alerté, dès janvier, le Premier ministre sur la gravité de l'épidémie de Coronavirus et évoquant « une mascarade » au sujet des élection. Une expression qu'elle a ensuite dit regretter.

Trois médecins, représentants d'un collectif de soignants, ont d'ailleurs porté plainte jeudi 19 auprès de la commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR) contre le Premier ministre Édouard Philippe et l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn. Ils les accusent de s'être « abstenus » de prendre à temps des mesures pour endiguer l'épidémie de Covid-19, alors qu'ils « avaient conscience du péril et disposaient des moyens d'action, qu'ils ont toutefois choisi de ne pas exercer », estiment-ils.

Pour la CGT, la santé des citoyens et du monde du travail doit être la priorité. Saluant « tous les agents hospitaliers, des services et entreprises publics qui, attachés à leur mission et au service des citoyens, poursuivent leur travail dans des conditions extrêmes » et « tous les salariés du privé, du commerce, des transports, de l'agroalimentaire, etc. des secteurs où la crise montre à quel point leur travail est nécessaire », elle rappelle que « beaucoup trop d'entreprises à l'heure actuelle refusent de suspendre leurs activités — alors que celles-ci ne sont pas indispensables à la vie de la nation — et continuent à faire travailler des salariés, sous-traitants, intérimaires, sans même respecter les précautions élémentaires ».

Pour la confédération, « On ne peut pas d'un côté écouter les discours des scientifiques, chercheurs, médecins qui appellent à une véritable mobilisation citoyenne pour sauver des vies, déclarer l'état de guerre, comme l'a fait le Président Macron et accepter que des entreprises ne contribuent pas à ce nécessaire effort de solidarité nationale ».

La CGT, qui « refuse également que soient renforcées des dérogations généralisées au Code du travail en matière d'horaires de travail, de repos hebdomadaires, de prises de congés », « demande solennellement que les organisations syndicales et patronales ainsi que le gouvernement listent ensemble les entreprises essentielles à la continuité de notre vie, que celles-ci s'engagent à protéger leurs salariés, tant par la fourniture d'équipements individuels que par la mise en place de mesures collectives, et que les autres diffèrent toutes leurs activités avec paiement des salariés ».

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