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Santé au travail

Un crime dont on ne connait pas l'heure

28 juin 2017 | Mise à jour le 29 juin 2017
Par | Photo(s) : Jean-Marie Huron /Signatures
Un crime dont on ne connait pas l'heure

L'interminable combat des victimes de l'amiante et de leurs familles a connu ce mardi 27 juin une nouvelle péripétie avec la demande du Parquet que soit mis fin aux investigations dans plusieurs enquêtes pénales, considérant qu'il est impossible de déterminer avec certitude quand les victimes ont été intoxiquées. Les pouvoirs publics s'apprêtent à absoudre le patronat et L'État de leurs responsabilités dans une vingtaine de dossiers emblématiques.

« Le diagnostic d'une pathologie liée à l'amiante fait la preuve de l'intoxication, mais ne permet pas de dater l'exposition ni la contamination », a estimé le 13 juin le parquet de Paris dans ses réquisitions suivant l'avis des juges d'instruction chargés des dossiers au pénal. Exonérant de fait, les entreprises qui ont empoisonné leurs salariés, voire contaminé l'environnement proche, les magistrats ont estimé qu'il était impossible de les renvoyer devant un tribunal faute de pouvoir déterminer quand les victimes ont été contaminées. On savait que sans cadavre il n'y a pas de crime, voici que sans heure du crime… il n'y a pas crime. Pour en arriver à cette conclusion, les magistrats se sont appuyés sur une expertise judiciaire réalisée en 2016 pour établir le lien entre la fibre dont l'utilisation est interdite en France depuis 1997 et certaines maladies. Or pour l'un des défenseurs des victimes, Me Sylvie Topaloff, avocat de l'Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante), les experts avaient alors estimé que « dès que l'on a été exposé, on a été contaminé ».

Un non-lieu choquant

« C'est un scandale absolu d'arriver à une telle conclusion après 20 ans d'instruction », s'insurge François Desriaux, l'un des porte-paroles de l'Andeva. L'absolution de fait ainsi accordée par le Parquet est évidemment choquante eu égard aux souffrances des salariés victimes, au calvaire des familles, à la longueur des procédures entamées dans la foulée de la plainte pour homicides et blessures involontaires déposée par d'anciens salariés d'Eternit en 1996. Cette douche glaciale fait suite à un autre revers juridique infligé par la Cour de cassation en 2015 qui avait remis en cause la responsabilité des pouvoirs publics dans l'ensemble des dossiers annulant la mise en examen de plusieurs hauts fonctionnaires, dont l'ex-directrice des relations du travail entre 1984 et 1987, Martine Aubry.

Cette perspective de non-lieu est d'autant plus dramatique qu'elle pourrait mettre un point final à une vingtaine de dossiers : celui de la société Eternit, premier producteur français d'amiante-ciment, de l'usine de Condé-sur-Noireau dans le Calvados, de l'entreprise Everite implantée par Saint-Gobain, des anciens chantiers navals de la Normed à Dunkerque ou encore du campus universitaire de Jussieu. Tout aussi grave, cette décision pourrait faire jurisprudence. Aucun responsable exposant ses salariés à un produit cancérogène ne pourrait être poursuivi puisqu'on ne connaît jamais la date précise d'une contamination. Or selon les autorités sanitaires 10 à 20 % des cancers du poumon seraient imputables l'amiante. Ce scandale de santé pourrait se chiffrer à 100 000 décès d'ici à 2025. L'Andeva estimant de son côté que 3000 personnes en meurent chaque année.

Permis de tuer

La CGT, dont plusieurs fédérations professionnelles sont concernées par l’amiante, met en garde dans un communiqué: « Cette décision inique, si elle est confirmée, participe de la banalisation du mauvais traitement des salariés et valide qu'aucun responsable exposant en toute connaissance de causes des travailleurs à des produits CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques, NDLR) ne peut être poursuivi pénalement uniquement par l'imprécision de la date de contamination, même si le lien de causalité est établi. C'est une impunité générale accordée aux industriels : un permis de tuer ! »

Cette décision intervient alors que le 21 juin près de 150 cheminots SNCF ont réclamé aux Prud'hommes Paris de reconnaître à égalité avec les salariés du privé leur « préjudice d'anxiété », suite à leur exposition à l'amiante. Le Conseil des prud'hommes de Paris rendra son jugement le 26 octobre. Elle intervient aussi alors que le Medef réclame à cor et à cri la fin du compte pénibilité qui, si imparfait et complexe qu'il soit, introduirait un semblant de traçabilité sanitaire dans les parcours professionnels des salariés exposés.