« Considérer le numérique comme un bien commun ? », entretien avec Pierre Musso
Un point sur l’enjeu numérique avec Pierre Musso, philosophe de formation, professeur des sciences de l’information et de la communication. Lire la suite
Quel propriétaire d'iPhone n'a jamais interrogé Siri, l'assistant vocal d'Apple ? Watson, le logiciel cognitif d'aide à la décision d'IBM, se déploie dans les activités de services pour toutes sortes d'applications comme la relation client, les ressources humaines ou les services financiers comme au Crédit mutuel (lire l'entretien ci-contre). En quelques années, l'IA est devenue la nouvelle égérie technologique et fait le buzz : depuis celle récemment présentée à une élection municipale près de Tokyo, jusqu'à AlphaZero, l'IA de Google DeepMind, imbattable au jeu d'échecs depuis décembre 2017, en passant par le véhicule à conduite autonome qui provoque encore beaucoup trop d'accidents.
Lancé au milieu du XXe siècle, le programme de recherche en IA visait à essayer de comprendre comment fonctionne la cognition humaine et à la reproduire : réseaux de neurones, créativité, apprentissage par renforcement, etc. Elle s'est affirmée au fil du temps comme regroupant toutes les technologies qui peuvent permettre de réaliser par l'informatique les tâches cognitives traditionnellement effectuées par l'humain. Carburant aux données et aux algorithmes, l'IA a logiquement pris son envol ces dernières années ; d'une part, sous l'effet du décuplement des puissances de calcul et de l'explosion des gisements de données (« Big Data ») ; d'autre part, grâce aux très grandes entreprises qui disposent de moyens inédits.
Google, avec son programme de recherche Google Brain, a ainsi boosté l'apprentissage automatique (« machine learning ») qui veut que le programme informatique puisse apprendre de son environnement, comme un enfant. Les applications se multiplient, parfois avec succès comme dans le domaine du diagnostic médical ou de la traduction. Leur acceptation dépend cependant du service rendu, c'est-à-dire de leur possibilité à faire mieux que l'être humain ou d'en augmenter les capacités. Et si c'est encore loin d'être le cas dans nombre de domaines (droit, éducation, lutte contre le chômage…), les États-Unis et la Chine caracolent en tête avec leurs mastodontes détenteurs de données. Facebook, Microsoft, Google, IBM ou encore Baidu et Xiaomi investissent des milliards de dollars et embauchent les meilleurs chercheurs.
En France, ni les entreprises ni les responsables politiques ne veulent rater le train de l'IA, présidents de la République en tête. L'actuel, Emmanuel Macron, met la pression : « L'intelligence artificielle est une révolution technologique mais aussi économique, sociale et éthique. Elle est en train d'arriver. Des opportunités et des choix s'offrent déjà à nous. » Son prédécesseur, François Hollande, persuadé que la France avait une carte à jouer avec ses 270 start-up spécialisées en IA, affirmait un an plus tôt que « les nations qui maîtriseront l'IA seront les puissances de demain ».
Bref, toute question épineuse réclamant son rapport, à eux deux, Hollande et Macron en auront commandé quatre en moins d'un an : « France IA » (chercheurs, start-up, chefs d'entreprise, cadres institutionnels…) et « Pour une IA maîtrisée, utile et démystifiée » (parlementaires) remis en mars 2017, « Donner un sens à l'intelligence artificielle – Pour une stratégie nationale et européenne » du député mathématicien Cédric Villani et « Intelligence artificielle et travail » de France Stratégie, rendus en mars 2018. Il ressort de toute cette littérature qu'en IA, la recherche privée prend une part prépondérante et qu'il faudrait, au niveau européen, revaloriser la recherche publique. Sur cette question, Cédric Villani, qui propose d'enrayer la fuite des cerveaux en doublant les salaires des chercheurs et en incitant financièrement ceux qui sont déjà expatriés, a essuyé le refus élyséen.
Faute d'un « Google européen », le député et son équipe défendent la création d'un « écosystème européen de la donnée ». De fait, sans carburant (les données fournies en quantité massive pour nourir les algorithmes) pas d'IA. La mission Villani propose donc d'ouvrir les données publiques et privées et de les mutualiser de façon sécurisée sous l'égide des pouvoirs publics. Quatre secteurs « d'intérêt général » seraient concernés dans un premier temps : santé, environnement, transports-mobilité et défense-sécurité. Outre les problèmes de formation des travailleurs aux nouveaux enjeux (techniques, éthiques, juridiques, économiques), de sécurisation des parcours professionnels et de conditions de travail (perte d'autonomie, intensification…), France Stratégie met l'accent sur la responsabilité des pouvoirs publics : ils doivent « définir une voie correspondant aux attentes sociales des citoyens ».
Obnubilé par les entreprises, Emmanuel Macron semble en effet ne voir dans l'IA qu'un instrument au service de leur performance économique, laquelle rejaillirait, comme par magie, sur la société entière. Or, l'IA – et le numérique en général – n'est qu'une technologie. Évoquant à son sujet « une révolution (…) sociale et éthique », notre président de la République s'exonère donc à bon compte d'un projet politique pour l'ensemble des citoyens. Au risque, et ce n'est pas de la science-fiction, d'être rattrapé pour de bon par la question sociale.
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