À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
CARNETS

Dessines-moi le monde

21 novembre 2014 | Mise à jour le 7 avril 2017
Par
Dessines-moi le monde

La banlieue parisienne, la Chine en mutation, le rapport amoureux, la vieillesse, les paysannes et la mémoire de l'immigration autant de thèmes dont « Les Carnettistes Tribulants » se sont saisis et qu'ils ont croqué sur le vif. Au-delà de leur beauté, leurs images ont du sens et leurs textes sont le fruit d'un vrai travail de reporters.

L'association est née en 2003 pour défendre les couleurs du carnet de voyage, un genre en pleine ébullition, ainsi qu'on a pu le constater au Festival « Carnet de voyage » qui a eu lieu du 14 au 16 novembre à Clermont-Ferrand (*).

« Promouvoir le carnet de voyage dans sa diversité et son audace, défendre leurs intérêts auprès des éditeurs et des médias, favoriser la pédagogie du carnet de voyage et intervenir en tant que carnettistes dans les évènements contemporains » sont les raisons d'être de l'association.

Ce collectif à géométrie variable d'une quinzaine de membres, regroupe des femmes et hommes « venus d'horizons professionnels divers (graphisme, illustration, infographie, livres pour enfants, peinture, littérature, enseignement, etc.), et voués à des horizons géographiques plus divers encore, tous gravement atteints par le virus du voyage ».

Leur premier chantier collectif, « Banlieue nomade, carnets de voyage autour de Paris » (Alternatives, 2005), a connu un franc succès au point d'être aujourd'hui épuisé. Il faut dire que le terrain d'exploration de ce « carnet-manifeste » sortait des sentiers battus, explorant un ailleurs tout proche : la banlieue, alors agitée par des événements violents qui ont marqué les mémoires.

L’IMAGE, C’EST DU SENS !

Dix carnets ont tourné de commune en commune et de main en main pour casser les stéréotypes de la banlieue et donner à voir autrement ce tissu urbain hétérogène, aussi méconnu qu'exotique.

Marie-Sophie André, plasticienne qui réalise notamment des livres d'artiste et carnettiste tribulante se souvient de cette première expérience : « On montrait une banlieue différente, une partie de la petite ceinture parisienne, et c'est un projet qui m'a vraiment plu. »

L'association, qui avait lancé une souscription pour ce premier carnet, trouve alors un éditeur, ce qui va lui permettre de se lancer dans un deuxième défi, se tournant cette fois vers la sphère intime.

 

 

  

Ainsi naît « Ce que j'aime en toi, carnets de voyage en intimité » que l'éditeur (Alternatives) définit comme « une succession de petites déclarations d'amour qui osent s'offrir en partage.

Certains s'arrêtent sur un regard empli de tendresse tissée par des années de vie commune, d'autres proposent leur complicité érotique, le souvenir d'amours passées ou encore se livrent pudiquement sous le voile de l'humour.

SORTIR DE L'ATELIER

Pour ces artistes souvent isolés, les carnettistes sont une vraie respiration, souvent née d'une rencontre. C'est grâce à un voisin d'atelier carnettiste que David Chambard, artiste peintre, reconnu, fait la connaissance du groupe, il y a quatre ans. « Ce qui m'a intéressé, c'est sortir de l'atelier, changer de format et changer de monde, et aussi l'aspect collégial. Jusqu'alors, je ne m'étais pas approprié ce domaine des carnets, et je n'en appréciais pas toujours l'aspect un peu stéréotypé qu'il peut avoir parfois en France. Mais j'ai été attiré par cet aspect de projet moins égoïste, le côté reportage.

 

Etant peintre, un domaine artistique arrivé à maturité, j'ai pu constater le danger pour les œuvres d'être considérés comme des objets de commerce, avec des modes, et des dérives mercantiles. C'est un milieu où l'on « consomme de l'artiste » avec énormément de jeunisme. Donc l'idée de partir dans autre chose m'a séduit, comme l'expérimentation d'un autre format, une richesse dont on se prive souvent, surtout en France. Et puis il y a un rapport au temps très différent de celui de la peinture. Pour les carnets, il faut une rapidité d'exécution qui requiert une capacité d'analyse différente. On doit aller plus vite à l'essentiel. D'ailleurs ça a modifié ma pratique et dynamisé mes tableaux. »

Un enthousiasme que partage Marie-Sophie André : « J'ai appris à travailler plus vite, à être plus décontractée, car j'étais perfectionniste. C'est un vrai travail de reporter, car on dessine sur le terrain en pensant à un texte. J'aime bien le dessin libre des carnets de voyage, j'ai découvert tout un monde. Et puis j'ai aussi appris à travailler avec les autres, ce qui est très enrichissant. » «C'est stimulant et on se remet en cause » renchérit David Chambard « Quelqu'un a une idée, la lance en l'air quelqu'un d'autre la colore. On est dans la vie et c'est une sacrée respiration. Les gens voient ce qu'on a dessiné, j'apprécie ce côté direct, alors que dans les galeries, c'est fini, la chose est faite. J'aime ce contact direct avec les gens » poursuit Marie-Sophie André « Le dessin provoque l'échange et les gens sont très disponibles pour se laisser dessiner et partager ce moment. Ça ne leur pose pas de problèmes. »

ESTHÉTIQUE ET SOCIOLOGIQUE

« Gratte-ciel & soupe de nouilles », publié en 2010 « a été réalisé au cours de nos errances dans Xian, l’ancienne capitale de la Chine où est enterré le premier empereur, dont l’armée de terre cuite, retrouvée dans les années 1970 est connue dans le monde entier, dans des villages, restés intacts, dans quelques belles montagnes révérées comme des trésors. Pourtant l’ancienne Chine disparaît, happée par une volonté et un désir fou de modernisation. Nous avons bien transpiré sur notre ouvrage, dessinant par tous les temps, pluie, vent, canicule, dialoguant par le biais du portrait avec les gens qui, malgré la barrière de la langue, nous ont offert des moments de leur vie, avec une disponibilité souriante. En Chine, même les enfants étaient très sages » se souvient Marie-Sophie André.

 

« Vivre vieux ! » Paru en septembre 2009 radicalisait leur démarche de carnettistes décidés à tordre le cou à l'imagerie naïve du carnet de voyage en prenant à bras le corps la question de la vieillesse aujourd'hui. Avec son très grand format et ses portraits d’hommes et femmes de tous les horizons, c’est l’un des hommages tonique et tendre aux « seniors ».

Dans leur avant-dernier carnet, « Paysannes », le travail réalisé a pris une belle ampleur. En effet, ce gros « carnet de rencontres avec des femmes engagées » brosse dix-neuf portraits d'agricultrices, viticultrices, éleveuses, agroforestières, maraîchères ou s'occupant d'accueil à la ferme. Dessins, aquarelles, dialogues et textes ont été réalisés par les carnettistes « C'était une belle rencontre avec des personnes qui accomplissent un travail énorme. Nous restions deux ou trois jours sur place » se souvient Marie-Sophie André.

Bien au-delà du simple carnet de dessins de vacances ou de la recherche artistique pure, les ouvrages des Carnettistes tribulants sont à la fois œuvre esthétique et outil quasi-sociologique.

Dans ce domaine, la bande dessinée a défriché le terrain avec les « bédéreportages » de Joe Sacco ou de Guy Delisle, ou même avec « Le photographe » d'Emmanuel Guibert…

C'est d'ailleurs désormais un éditeur de BD, la Boîte à bulles, qui édite les ouvrages de nos remuants carnettistes.

 

 

CARNETS DE DONS

Leur nouvel opus « Bringuebalés » (carnets de mémoires d'immigrés), préfacé par l'auteur de BD Rachid Boudjellal, prolonge l'exposition « Mémoires tribulantes » (carnets d'objets sans frontière) accueillie en septembre et octobre 2014 par le musée de la Cité nationale de l'immigration.

Cette exposition et l'ouvrage qui lui répond se sont saisi des témoignages des migrants et d'une sélection d'objets personnels de la Galerie des dons. Les onze auteurs ont illustré ces parcours de vie dans un carnet de voyage collectif enrichi par l’apport des visiteurs lors d’une performance sollicitant la participation du public. « L'histoire est une pièce de la mosaïque » explique David Chambard « Il faut entrer en relation avec ce don, cet objet. Il n'est pas question de l'illustrer. En plus de la relation avec l'objet, emblématique d'une vie, il se passe des choses autour. Pour ma part, l'objet était…une fraiseuse d'une tonne et demi. C'est une matière, un poids, une texture ! J'ai rencontré la donatrice et entendu des histoires merveilleuses. A moi de les capter et d'en dire et en faire quelque chose. J'en ai aussi conçu un modèle à découper qu'on peut emporter. »

Marie-Sophie André est d'abord un peu perplexe devant le projet. « Il s'agit d'Histoire, d'objet et de don… Mais fallait-il faire des recherches ou partir dans l'imaginaire ? Au début j'avais du mal. J'avais choisi une carte de séjour, avec des tampons, de l'écriture. Je suis partie du format et j'ai agrandi, puis j'ai fait plutôt un carnet avec des recherches. La personne venait de Hongrie, que je connais un peu. Elle a fait partie des Brigades internationales, dans ces années 1930 marquées par le chômage et le racisme. Le gouvernement français leur a proposé de partir en Espagne en échange d'une allocation aux familles. Finalement, la personne est partie aux USA, et j'ai ajouté des textes plus généraux sur l'immigration, Ellis Island, etc. »

Marie-Sophie André a été touchée par beaucoup d'objets superbes dans la galerie des dons de la Cité nationale de l'immigration : la machine à coudre d'une immigrée italienne couturière, et -signe que les rencontres des carnettistes peuvent se recouper- elle y a trouvé les papiers d'un syndicaliste qui était le beau-père d'une des paysannes des carnets précédents !

 

Le site des Carnettistes

 

(*) http://www.rendezvous-carnetdevoyage.com

 

Autres rendez-vous des amateurs de carnets de voyage : en juin le festival Ici et ailleurs de Brest (Finistère) :

http://www.ici-ailleurs.net/

et aussi en mai, en Isère :

http://carnet.beaurepaire.free.fr