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Film

Documentaire : En Nous, portrait politique d’une jeunesse marseillaise

25 mars 2022 | Mise à jour le 25 mars 2022
Par | Photo(s) : DR
Documentaire : En Nous, portrait politique d’une jeunesse marseillaise

En 2011, le documentariste Régis Sauder donnait la parole à des élèves de terminale d'un lycée du nord de Marseille qui travaillaient au texte de La Princesse de Clèves avec leur prof de Français. Dix ans après, que sont-ils devenus ? En pleine séquence pré-électorale, leurs parcours émouvants dessinent un éclairant portrait de la France.

Sortie en sallele 23 mars
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Anaïs, Virginie, Abou, Morgane, Laura, Cadiatou, Albert, Sarah, Aurore et Emmanuelle, leur professeure de Français… Protagonistes, en 2011, du premier documentaire de Régis Sauder, qui filmait des élèves de terminale d'un lycée du Nord de Marseille, que sont-ils devenus aujourd'hui ?

Adolescence

Nous, Princesses de Clèves – le titre du film – constituait un geste politique fort qui répondait à la petite phrase condescendante de Nicolas Sarkozy à propos de cette œuvre de référence du patrimoine littéraire français. Montrer que l'étude de ce texte par ces jeunes de milieux défavorisés leur permettait d'exprimer leurs espoirs, leurs angoisses, leurs doutes, s'avérait un moyen de dénoncer le mépris d'une idéologie déjà tournée vers la sélection, l'utilitaire, l'employabilité, la rentabilité. Que pouvait apporter ce tiraillement existentiel et cette passion torturée, en date du 17ème siècle, à des adolescents de zones d'éducation prioritaires en ce début du 21ème siècle ? Objet commun, culture commune, patrimoine, réflexion, recul… ? Loin de l'inutilité supposée de l'apprentissage d'une vieillerie, ce texte les interpellait, leur donnait l'occasion d'entrer au musée du Louvre – parfois pour la première fois – et de confier leurs interrogations, leurs fragilités, leurs forces, au moment d'aborder le grand saut du BAC. Régis Sauder filmait à bonne distance leur lucidité quant à leurs aspirations intimes, leur avenir professionnel et les possibilités qu'ils avaient de déjouer les déterminismes sociaux. Un portrait sensible de la France dans toute sa diversité.

Âge adulte

Dix ans plus tard, il retrouve la dizaine de jeunes qu'il n'avait jamais vraiment perdus de vue et redonne en voix-off la parole à Emmanuelle, leur ancienne professeure de français. Le résultat est saisissant. Les regards, les corps, les voix ont changé. Les souvenirs se mêlent aux récits de leur vie et des obstacles qu'ils ont dû surmonter. Virginie est devenue mère très tôt et a dû quitter le père violent de son enfant, retourner chez ses parents, reprendre des études, pour finalement devenir laborantine sur le site universitaire de Marseille Luminy. Armelle est devenue cadre à la Sécurité sociale de Créteil et militante anti-raciste. Elle est fière de travailler pour le service public et de participer aux manifestations « Black lives matter » avec Cadiatou, qui habite à Paris où elle a trouvé une certaine liberté. Après des études de son et des responsabilités dans l'audiovisuel, elle poursuit le rêve de fabriquer des perruques. Laura est allée jusqu'à la thèse malgré la mort de sa mère. Elle est maintenant pharmacienne hospitalière dans un grand hôpital de Marseille, alors que sa jumelle Morgane est devenue préparatrice en pharmacie et s'apprête à avoir un deuxième enfant avec la femme qu'elle a épousée. Albert, lui, n'est pas monté à Paris pour vivre le grand amour qu'il évoquait il y a dix ans. Professeur d'auto-école, il est resté près de sa mère, non loin du quartier de son enfance, alors qu'Abou est allé chercher un nouvel emploi d'infirmier en Suisse après avoir été viré de l'hôpital public dont il avait osé critiquer le manque de moyens et les conditions d'exercice. Chacun joue son propre rôle et on sent la disponibilité et la sincérité qu'ils engagent dans cet exercice de retour sur leur parcours, au moment où ils abordent une nouvelle étape de leurs vies. « Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends », dit la Princesse de Clèves. Cette phrase du roman fait écho en eux. En nous. Que reste-t-il de leurs espoirs de liberté, d'égalité et de fraternité ?

Refus du mépris

La petite phrase condescendante de Nicolas Sarkozy à l'égard de La Princesse de Clèves remonte à février 2006, alors qu'il était ministre de l'Intérieur et candidat à l’élection présidentielle. Devant une assemblée de fonctionnaires, à Lyon, il promettait d'écarter des concours et des examens les sujets du genre de La Princesse de Clèves, jugés sans intérêt pour une « guichetière ». Tollé général contre ce qui fut reçu comme un mépris à peine voilé des agents du service public, une insulte à cette œuvre de référence de Mme de Lafayette et une attaque en règle contre la culture. Dix ans plus tard, force est de constater que les différentes réformes mises en place au sein de l'Éducation nationale n'ont fait que poursuivre l'appauvrissement des moyens dans les zones prioritaires et renforcé la logique méritocratique et de l'excellence, contraires à l'esprit d'égalité des chances. Comment ne pas entendre la lassitude dans la voix off d'Emmanuelle, professeure de Français ? Comment continuer de résister à cet endroit-là de la République, alors que le sujet est pratiquement absent de cette période pré-électorale ?

 

 

 

https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=282251.html