Rencontre avec l'activiste climatique Camille Etienne
Militante écologiste, Camille Etienne a fait le choix de la désobéissance civile pour mener des campagnes d’alerte contre les grands projets climaticides. Dans son livre,... Lire la suite
L'été 2021 est un vrai coup de semonce pour les 195 États signataires de l'accord de Paris pour le climat (COP21 en 2015). À une centaine de jours de l'ouverture de la 26e conférence annuelle de l'Organisation des Nations unies sur le climat (COP26) à Glasgow, au Royaume-Uni, du 1er au 12 novembre, des phénomènes météorologiques exceptionnels ont dramatiquement rappelé que les effets du réchauffement climatique ne se conjuguent plus au futur, mais au présent : inondations meurtrières en Allemagne et en Belgique, incendies historiques et ravageurs en Russie, en Grèce et dans l'Ouest américain, « dômes de chaleur » au Canada, en Espagne et au Maroc, famine à Madagascar, déluge en Inde et en Chine, etc.
La réalité a rattrapé le premier volet du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publié le 9 août. Celui-ci conclut notamment que le dérèglement s'intensifie à un rythme très rapide et sans précédent dans toutes les régions du monde. Mais « l'espoir est maigre tant les États ne parviennent pas à prendre des décisions politiques ambitieuses et contraignantes », alerte l'instance onusienne.
Fin février, parlant de 2021 comme d'une année « charnière » pour faire face à l'urgence climatique mondiale, Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, avait non seulement rappelé que pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C – l'objectif vers lequel les signataires de l'Accord de Paris tendent – le monde doit réduire, d'ici à 2030, ses émissions de gaz à effets de serre de 45 % par rapport à 2010, mais aussi que les plans de relance économique post-Covid-19 offrent la possibilité de « reconstruire plus vert et plus propre ». Rien que les gouvernants ne sachent déjà.
Las ! En juillet un rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a établi que seulement 2 % des plans de relance mondiaux ont financé les énergies propres. De plus, il anticipe un record d'émission de CO2 en 2023, bien loin de l'objectif de neutralité carbone.
Décrits par le GIEC, le processus et les effets d'un emballement du réchauffement climatique sont connus : des forêts très vulnérables stockant moins de carbone ; le dégel du pergélisol (sols gelés en permanence) libérant virus, bactéries, dioxyde de carbone et méthane — gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO2 ; la mise en péril de la riziculture dans 40 % des régions productrices par manque d'eau ; la malnutrition qui guette 180 millions de pauvres en Afrique et en Asie du Sud-est ; le destin « lugubre » de nombreuses villes côtières ; etc.
Déjà, les récifs coralliens dont dépendent plus de 500 millions d'habitants sont menacés, et l'élévation du niveau de la mer salinise les sols, provoque la disparition des mangroves et met en péril l'équilibre de vie – y compris humaine – sur de nombreux littoraux dans le monde. L'optimisme (rationnel) – car il en faut – ne se trouve pas du côté des climatologues qui s'appuient sur des données scientifiques, mais chez les sociologues. Ces chercheurs-là voient émerger ce qu'ils appellent un « point de bascule sociologique », c'est-à-dire le franchissement d'un seuil critique à partir duquel le mouvement en faveur de la lutte contre la crise climatique va devenir irréversible.
Sur le plan économique, au-delà des promesses des grands producteurs d'énergie fossile sur leur future neutralité carbone, il s'agit, par exemple, de la réorientation de l'industrie automobile mondiale vers la voiture électrique ou bien, aiguillonnée par des groupes de pression, de la naissance et de l'influence grandissante d'une finance désengagée des secteurs polluants. Sur le plan politique, c'est le retour de Washington dans l'Accord de Paris, puis l'annonce par la Chine de sa neutralité carbone pour 2060, mais, surtout, l'accélération de la prise de conscience de l'opinion publique, notamment grâce au mouvement planétaire de la jeunesse pour le climat.
De plus, une gigantesque enquête menée pour l'ONU (The Peoples' Climate Vote – le vote populaire pour le climat) par Stephen Fisher, professeur de sociologie politique à l'université d'Oxford, montre que la plupart des citoyens souhaitent clairement l'adoption de politiques fortes et d'envergure. Dès lors, il devrait devenir rationnellement difficile pour les décideurs, et plus encore pour les gouvernants, de faire l'impasse sur la transition bas carbone.
Plus de cinq ans après les engagements de la COP21, l'enjeu de la COP26 est le passage à l'action, d'urgence. D'ici à novembre les États auront présenté leur nouvelle feuille de route. Ils devront alors se mettre d'accord sur un système mondial de taxation du carbone, la fin de la dépendance au charbon, la réduction progressive des combustibles fossiles et la fin des investissements dans l'économie brune (basée sur les énergies et les ressources fossiles sans tenir compte des impacts sur l'environnement). Un programme ambitieux.
Toutefois, dans un contexte d'explosion des inégalités, exacerbées par la crise du Covid, au Nord comme au Sud, un passage à une économie décarbonée, qui appauvrirait davantage les populations, susciterait à coup sûr leur hostilité, accentuant la déstabilisation des sociétés. En France, le mouvement des Gilets jaunes, fondé sur le rejet de la taxe carbone sur le carburant, en a déjà fait la démonstration. La condition sine qua non de la réussite d'une transition bas carbone est donc qu'elle soit « juste » et socialement acceptable grâce à des politiques qui en minimisent les impacts négatifs — pertes d'emplois dues à la fin de l'extraction du charbon ou de la production de moteurs thermiques, coût des transformations à opérer individuellement telles que le changement de véhicule ou de système de chauffage.
Ainsi, que ce soit pour renouveler le parc automobile, qu'ils veulent électrique, ou pour aider les entreprises les plus fragiles à se décarboner, les États doivent mettre la main à la poche. Et donner aux travailleurs des secteurs en restructuration, pour cause de transition, la possibilité de se convertir à de nouveaux emplois et de disposer d'une protection sociale adéquate. En cela, les réformes de la formation professionnelle et de l'assurance chômage françaises marchent à rebours. Nécessaires, ces politiques redistributives sont toutefois incompatibles avec les actuelles baisses constantes d'impôts, pour les plus riches et les sociétés, et avec les pratiques d'évasion fiscale.
Mais si les États estiment qu'ils ne peuvent pas tout, ils sont tout à fait en mesure d'inciter les établissements financiers à soutenir l'investissement des entreprises dans un outil de production décarboné, à orienter les capitaux vers une transition juste et à proposer des instruments financiers adaptés. Avec un bémol : les pays pauvres ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre budgétaires que les pays développés pour mener à bien ces nouvelles politiques.
Ajouté à cela que depuis le début de l'ère industrielle, ces derniers sont les principaux responsables du réchauffement climatique, les notions de « solidarité climatique » et de « juste contribution » ont fini par s'imposer dans les négociations internationales. À ceci près qu'en dépit de leurs engagements chiffrés (Accord de Copenhague, 2009), les pays riches ont pris du retard dans le versement des sommes dues aux petits États insulaires et autres pays parmi les moins avancés qui paient déjà un lourd tribut au réchauffement climatique.
En pleine accélération, les déplacements internes de populations sont de plus en plus liés à des catastrophes environnementales. À 98 % d'origine climatique, celles-ci sont responsables des trois quarts des départs (31 millions de personnes en 2020) et de la progression des nouveaux déplacements, estime l'Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC). Brutales (inondations, ouragans, typhons et autres tempêtes…) ou plus lentes (désertification et dégradations des sols, élévation du niveau des mers…), ces catastrophes empêchent souvent le retour de personnes qui, avec leurs familles, viennent gonfler les bidonvilles des grandes villes où elles sont exploitées.
À commencer par les femmes, qui représentent 80 % des réfugiés climatiques et 70 % des personnes les plus pauvres de la planète. Elles sont aussi les principales victimes d'esclavage moderne. Autre phénomène qui prend de l'ampleur, le « stress thermique » fait référence à la chaleur à partir de laquelle le corps humain peut subir un dommage physiologique (températures supérieures à 35 °C avec un fort taux d'humidité).
Dans un rapport publié en juillet 2019, l'Organisation internationale du travail (OIT) avertit que l'augmentation du « stress thermique » pourrait se traduire par une perte de productivité équivalant à 80 millions d'emplois d'ici à 2030. Soit 2,2 % du total des heures travaillées dans le monde qui pourraient être perdues en raison de températures élevées (projections établies sur la base d'une hausse des températures mondiale de 1,5 °C à la fin de ce siècle).
Si l'agriculture, la construction et les transports sont touchés en premier lieu, tous les secteurs d'activité le sont, entraînant un énorme coût économique qui accroît les inégalités entre les pays. L'OIT alerte aussi sur l'impact concernant le travail décent. Alors que ce phénomène de « stress thermique » est déjà palpable, l'étude des répercussions de l'augmentation de la chaleur sur le milieu du travail est récente (2007 et 2014, 4e et 5e rapports du GIEC).
Outre le fait d'encourir le risque de perdre leur outil de travail à la suite de catastrophes naturelles, les travailleurs qui exercent en extérieur les métiers les plus physiques et les moins bien rémunérés voient leurs conditions de travail devenir de plus en difficiles du fait de l'envolée des températures. Les multiples menaces auxquelles ils sont exposés ont été mises en évidence, que ce soit des risques pour la santé au sens large (déshydratation, malaises…) ou des accidents du travail en lien, par exemple, avec la baisse de la vigilance.
Lors de la COP21, les syndicats s'étaient emparés de la question climatique au niveau mondial, et avaient obtenu que les gouvernements s'engagent à promouvoir le travail décent, les emplois de qualité, ainsi qu'à soutenir les travailleurs par des stratégies de transition juste. La question est de nouveau sur la table, intacte, pour la COP26. Et une fois de plus les organisations de travailleurs fourbissent leurs argumentaires.
Outre la Confédération syndicale internationale, la Confédération européenne des syndicats ou encore IndustriAll global union, 140 organisations syndicales et ONG issues de 50 pays se sont alliées dans ce but à l'initiative de la CGT. Une configuration inédite qui, du 14 au 19 juin 2021, a déjà tenu en visioconférence un « Forum syndical international des transitions écologiques et sociales ».
L'objectif était notamment de parler de la transformation du système énergétique, des transitions sectorielles et des stratégies de construction du rapport de force. Il s'est conclu par un appel unitaire en perspective de la COP26 de Glasgow. Celui-ci a également été « adressé à l'ensemble des forces sociales engagées dans la construction d'une transformation écologique et sociale ».
Industrie et climat : un champ d'action syndical au niveau mondial
Militante écologiste, Camille Etienne a fait le choix de la désobéissance civile pour mener des campagnes d’alerte contre les grands projets climaticides. Dans son livre,... Lire la suite
Par la voix de la Confédération syndicale internationale, les syndicats du monde entier ont averti les dirigeants mondiaux présents à la COP26 à Glasgow le dimanche 31... Lire la suite