Tous ensemble contre la régression
Après la publication du projet de loi dit « El Khomri », les organisations syndicales de salariés, d’étudiants et de lycéens se sont réunies le 23 février au siège de... Lire la suite
La réforme du Code du travail censée accompagner la reprise économique et réduire le chômage se traduit par une salve de plans de suppressions d'emplois. Avec moins d'élus et de mandatés, les syndicats appréhendent la mise en place des nouvelles institutions représentatives du personnel.
Ce n'est qu'un début… Les ordonnances de la réforme du Code du travail à peine promulguées, le patronat s'est vite saisi des nouvelles règles du jeu. La mise en place des comités sociaux et économiques (CSE), qui fusionnent les délégués du personnel des CE et des CHSCT, est l'occasion qu'il attendait pour considérablement réduire les capacités d'intervention et de représentation des syndicats. Et, comme si les juristes des directions d'entreprises n'attendaient que cela, la rupture conventionnelle collective (RCC) s'est très tôt fait une place de choix dans l'actualité, avec les premiers projets d'accords examinés début janvier. Au point qu'il a vite fallu trouver une abréviation à ce nouvel outil : la RCC est entrée dans le vocabulaire (voir p. 42 notre rubrique juridique).
Au-delà des cas emblématiques de Pimkie, où l'unité syndicale et la mobilisation ont fait capoter l'adoption du projet de RCC, mais aussi de PSA, où tous les syndicats, sauf la CGT, ont signé un accord, d'autres dossiers sont plus ou moins passés sous les radars des médias. C'est le cas, par exemple, de Carlson Wagonlit Travel (CWT) qui après un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) en 2017 — ayant conduit à la suppression de 132 postes de travail — a annoncé, pour 2018, un plan de rupture conventionnelle collective pour supprimer 74 emplois. Dans l'Hexagone, CWT entend réduire sa masse salariale, notamment en délocalisant l'administratif en Inde et l'opérationnel en Espagne. On voit bien, dans ce cas, que la RCC facilite les délocalisations en simplifiant les suppressions d'emplois.
Cette facilitation et cette « sécurisation des licenciements » constituent une opportunité qu'IBM entend aussi saisir. Les négociations ouvertes le 12 février ont pour objectif de supprimer 99 emplois dans sa filiale France, via la RCC. Le géant informatique escomptant aboutir à ce plan avant fin mars 2018. Il s'agit, pour IBM, d'adapter « l'offre de compétences aux besoins du marché ». Cette stratégie, marquée ces dernières années par des plans de restructuration avec départs volontaires classiques, des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) avec licenciements secs, se poursuit désormais — mais en pire — avec la RCC. Vous avez dit renouveau de la politique sociale ?
À la Société Générale, la direction a mis sur la table, le 19 janvier dernier, un projet de RCC dans le cadre de la transformation de son réseau de banques de détail. L'entreprise avait annoncé, fin novembre, vouloir fermer 300 agences et supprimer 900 postes supplémentaires d'ici à 2020. Mais si l'on cumule toutes les annonces précédentes, ce serait 500 agences et 3 450 postes qui seraient élagués pour la période entre 2016 et fin 2019. La CGT de la banque a vite dénoncé les risques de la RCC pour les salariés : « Les indemnités légales prévues dans le cadre des “ruptures à l'amiable” sont sans commune mesure avec les indemnités que nous avons négociées dans le cadre des départs volontaires des PSE. D'autant plus qu'il faut ajouter à ces dernières les primes qui accompagnent les projets de reconversion (création d'entreprise ou formation) pour des montants de 25 000 à 30 000 euros. Le tout faisait que les salariés qui décidaient de quitter l'entreprise n'allaient pas grossir le volume de chômeurs », explique le syndicat sur son site.
Licencier low-cost, c'est aussi l'ambition chez le gestionnaire français de centres d'appels Teleperformance France, qui a confirmé, le 2 février, un projet de RCC concernant 130 téléconseillers et 90 agents de maîtrise et cadres. Selon la CGT, les premières propositions de la direction portent sur une prime d'incitation au départ allant de 2 000 à 10 000 euros suivant l'ancienneté, ainsi qu'une indemnité de RCC de trois mois de salaire net pour tout le monde. Téléperformance profite, comme la Société Générale, de la brèche ouverte par la réforme du Code du travail initiée par le président Macron en s'évitant les contraintes d'un PSE ou d'un plan de départs volontaires (PDV).
La RCC lui permet, là aussi, de supprimer rapidement des postes sans devoir justifier du motif économique, alors même que le groupe a enregistré une année record en 2016 avec un chiffre d'affaires de 3,6 milliards d'euros, en croissance de + 7,4 %.
Les ordonnances étaient aussi très attendues par la direction de Gemalto, le leader mondial de la sécurité numérique (cartes à puces, cartes SIM et cartes bancaires) — racheté par Thalès —, qui a annoncé en décembre un plan de licenciement concernant 288 postes. Alors que l'entreprise affiche des bénéfices nets de 453 millions d'euros en 2016 pour un chiffre d'affaires de 3,1 milliards et un taux de rendement de 15 %, la multinationale justifie les suppressions par un déficit de la filiale française à hauteur de 17 millions d'euros. Un tour de passe-passe rendu possible par une disposition des ordonnances Macron qui permet de ne plus tenir compte de la santé d'un groupe à l'échelle mondiale.
Si la réforme du Code du travail est censée redonner confiance aux entreprises pour embaucher, elle a surtout pour but de rassurer les investisseurs, comme on le voit dans le cas d'Alès Groupe (cosmétique, produits de soins ou de coloration capillaire, parfums). Le groupe affiche sur son site internet « un chiffre d'affaires de près de 239,5 millions d'euros se répartissant pour 57 % à l'international et pour 43 % en France » en 2016, mais il a récemment émis un « profit warning » (avertissement sur les résultats) à l'adresse de ses actionnaires pour les informer que les résultats ne seront pas en phase avec ceux prévus par les analystes. Et il a annoncé dans la foulée, le 6 février, un plan de transformation incluant une procédure de rupture conventionnelle collective.
Rassurer, conforter les actionnaires, c'est aussi une priorité chez PSA dont le bénéfice est passé de 1,2 milliard en 2015 à 2,15 milliards en 2016 et qui a dégagé une enveloppe totale de 388 millions pour les dividendes. Alors que 25 000 emplois y ont été supprimés depuis cinq ans, le constructeur a annoncé début janvier une procédure de rupture conventionnelle collective pour supprimer 1 300 emplois… mais il prévoit dans le même temps d'embaucher 1 300 CDI en 2018 et d'augmenter le recours au travail intérimaire. En vidant le CDI de ce qui permettait sa relative pérennité, la RCC pourrait donc bien devenir un mode de gestion habituel des effectifs du constructeur. Elle va considérablement lui simplifier la vie, par exemple sur les sites de Sochaux et Belchamp (Doubs) où 574 emplois ont été supprimés en 2017 tandis que l'effectif d'intérimaires augmentait de 1 019 salariés. La RCC permet de se séparer des salariés devenus « trop chers » pour les remplacer par des intérimaires ou des salariés en CDI devenus « jetables ».
La rupture conventionnelle collective plaît donc aux chefs de petites comme de plus grandes entreprises. Interrogés par Opinion Way pour CCI France/La Tribune/Europe 1 en janvier : 62 % se disent favorables à cette mesure. Ils sont 71 % à penser que la RCC est moins contraignante qu'un plan de départs volontaires, ou qu'un plan social (ou plan de sauvegarde de l'emploi). Lucidité ou cynisme, seuls 4 % des 607 patrons interrogés jugent que le volet « sécurité » des salariés est favorisé par l'exécutif, quand 61 % pensent qu'il soutient davantage les entreprises en leur donnant plus de flexibilité. Comment s'étonner, dès lors que dans un autre sondage de l'Observatoire social de l'entreprise, publié le 14 décembre, 42 % des salariés se montrent hostiles aux ordonnances. Pire, la majorité des sondés — salariés comme dirigeants — n'en attendent aucun impact positif, ni sur l'emploi ni sur le dialogue social : 59 % des patrons annoncent qu'ils n'embaucheront ni plus ni moins en CDI dans les six prochains mois. Et 10 % des dirigeants reconnaissent même qu'ils licencieront.
En ce qui concerne l'amélioration du dialogue social, il faudra repasser. En effet, moins d'un quart des dirigeants considèrent la réforme favorable à son maintien tandis que 41 % des salariés anticipent sa dégradation.
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