Fret ferroviaire : la CGT s'insurge contre un scandale d'Etat
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Chiffres clésParis–Lyon en TGV : 466 km – 1 h 57 – 97 €
Lyon–Clermont-Ferrand en bus : 168 km – 3 h 20 – 8,90 €
Clermont-Ferrand–Brive-La-Gaillarde en bus : 179 km – 3 h – 11,90 €
Brive-La-Gaillarde–Bordeaux : 204 km – 2 h 30 – 19 €
Lyon–Bordeaux en bus : 550 km en 8 h 50 – 40 €
Bordeaux–Paris en TGV : 567 km – 2 h 8 – 73 €
Dans ce monde globalisé où les mouvements se multiplient et s'accélèrent, l'évolution des modes de transport impacte tous les jours nos vies d'usagers, de salariés, de citoyens. L'offre massive et grandissante du low cost aérien, la suprématie des axes TGV, la suppression de lignes de trains secondaires au profit de lignes de cars, la généralisation du covoiturage, l'explosion des livraisons à domicile… Le paysage des transports s'est profondément transformé ces dernières années. Au gré des besoins des usagers ? De l'aménagement du territoire ? De l'urgence écologique ? On pourrait le croire dans le pays du Grenelle de l'environnement et autre COP 21… Sauf qu'à chaque fois, « les transports y sont quasiment inexistants […] alors même qu'ils sont le premier émetteur de gaz à effet de serre [GES], note Dominique Launay, secrétaire général de l'Union interfédérale des transports CGT. On est complètement à l'opposé. » Comme en témoignent notamment la généralisation du camion 44 tonnes, l'abandon de l'écotaxe des poids lourds, la loi Macron sur la libéralisation des services d'autocars, les plans de relance autoroutiers successifs, les choix politiques conduisant à l'abandon des trains d'équilibre du territoire (TET) – dont les trains de nuit – par l'État.
Dans les faits, c'est bien la loi du marché qui prime. La tendance réelle reste la recherche des plus gros profits à court terme « Dès qu'on aborde la question des transports de voyageurs ou de marchandises, on touche au noyau dur des échanges mondiaux et donc du capitalisme, note le syndicaliste. Le dumping social est tel dans les transports qu'ils ne coûtent “rien”. » Et rapportent donc beaucoup. Par exemple, sur le prix final d'un aspirateur venu d'Asie et vendu 200 dollars en Occident, le coût du transport est de 1 dollar, soit 0,5 %.
Lors de la renégociation de la convention d'exploitation État-SNCF 2016-2020, l'État souhaitait réduire le déficit annuel d'exploitation des TET de 400 à 250 millions d'euros. Comment ? En transférant ce financement aux régions. Six régions se sont ainsi vu assigner le rôle d'autorité organisatrice pour 18 des 24 lignes de TET en échange de promesses d'investissements importants dans le matériel roulant. Et, pour la ligne Cévenol, un peu dans les infrastructures. Or, « la maintenance de cette ligne représente une énorme charge financière », explique Jean de Lescure, secrétaire de l'Association des élus pour la défense du Cévenol et maire de Saint-André-Capcèze, une commune de Lozère traversée par la ligne. « Si la région [Occitanie], un jour, est seule à supporter cette charge, elle ne le pourra pas. » Pour cet élu local, l'État tord le bras des régions pour les obliger à cofinancer des lignes qui relèvent pourtant d'un projet national de continuité territoriale. « On ne voit pas pourquoi un Bordeaux-Lyon serait dévolu aux régions », abonde Julien Cabanne, secrétaire régional en Auvergne pour la CGT cheminots. Pourtant, « l'État a tout simplement décidé de supprimer le TET Bordeaux-Lyon. À charge pour les régions de le reprendre si elles le souhaitent ».
Si elles le peuvent. Difficile de suivre pour un département de la « diagonale du vide » comme la Lozère – le moins peuplé de France. « On ne peut pas accepter, sous prétexte de vivre dans une région comme la nôtre, de n'avoir plus aucun service public, s'insurge Jean de Lescure. Il y a, au niveau de l'État, un manque d'équité qui est inacceptable. »
Prises tronçon par tronçon, de nombreuses liaisons ferroviaires entre villes de province ne sont effectivement pas rentables, mais elles participent à l'acheminement de passagers vers les grandes lignes, qui, elles, le sont. La libéralisation du marché du transport routier de personnes, en 2015, censée pallier la disparition des lignes ferroviaires, n'a rien réglé. En attendant, les autocars de substitution circulent sur des réseaux routiers secondaires parfois de mauvaise qualité, eux aussi financés… par les régions, donc par le contribuable.
Paris-Portbou : pari gagné« Une ligne historique de lien entre la France et l'Espagne. Paris à une heure du sud de la France : une demi-heure pour s'endormir et une demi-heure pour se réveiller », aiment à rappeler ceux qui l'ont tant défendue. Une petite heure, et voilà les passagers du train de nuit Paris-Portbou à destination après dix heures vingt-cinq minutes de voyage. Supprimée en décembre 2016, la ligne a été rétablie le 6 juillet dernier, principalement grâce à la mobilisation des cheminots CGT et des associations d'usagers comme « Oui au train de nuit », qui avaient lancé une pétition nationale.Résultat : un accord conclu entre l'État et la région Occitanie, chacun participant à hauteur de 1,4 million d'euros selon un engagement pour deux ans.
« C'est une première victoire qui motive, qui montre qu'on peut… mais elle est en demi-teinte, analyse Lucas Mas, secrétaire du syndicat des cheminots CGT de Perpignan. Car ce train ne circule que durant les week-ends et les vacances scolaires. C'est fait pour que les Parisiens viennent passer le week-end dans le Sud. On en est ravis mais il y a aussi un besoin des gens du Sud qui voudraient aller travailler durant la semaine à Paris sans perdre une journée à voyager ou payer une nuit d'hôtel. » Et de poursuivre : « En outre, la SNCF fait tout pour qu'elle se casse la gueule car le train n'est ouvert à la réservation que sur les grands trajets… Impossible de le prendre pour rallier Toulouse à Perpignan, par exemple. Il n'y a pas de desserte régionale alors que c'est la région qui paie ! »
La reprise d'une desserte de Narbonne – fermée à la suite d'effectifs supprimés – est un autre point sur lequel la CGT continue à batailler.
«Les coûts externes de la politique de transports actuelle – c'est-à-dire les coûts indirectement pris en charge par le contribuable – se chiffrent en dizaines de milliards, analyse Dominique Launay. En 2011, un calcul des coûts externes de la route, y compris les coûts de la saturation routière dans 27 pays européens, aboutissait à plus de 5 % du PIB… C'est dire s'il y a une manne financière à exploiter autrement. Les transports peuvent coûter moins cher et permettre de mieux répondre à l'intérêt général en développant leur complémentarité. Mais ça suppose de sortir du “tout autoroutier” pour aller vers un service public ferroviaire dans une logique qui combine plusieurs types de transport.» Sur le terrain, au quotidien, la CGT ne cesse de défendre cet autre modèle et ferraille souvent aux côtés d'ONG, comme le Réseau action climat, et d'associations d'usagers, comme « Oui aux trains de nuit », pour s'opposer à la suppression de certaines lignes de train. Parfois avec un certain succès, puisque la mobilisation a permis le maintien partiel du train de nuit Paris-Portbou (voir l'encadré ci-dessous). D'autres avec plus de difficultés : la lutte pour le maintien de la Palombe bleue, le train de nuit qui reliait Paris à Irun jusqu'au 1er juillet dernier (voir l'encadré page précédente), est toujours en cours.
Le transport de marchandises est également un terrain de lutte : aux côtés de salariés pour la ligne de fret Perpignan-Rungis, qui a été maintenue et dont le développement est envisagé ; ou aux côtés d'associations de riverains, comme pour la convention en cours de signature en faveur de la création d'une plateforme logistique qui pourrait mener à une liaison ferroviaire entre Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) et le port du Havre (Seine-Maritime).
En juillet dernier, Emmanuel Macron annonçait la tenue d'assises de la mobilité en septembre, en vue d'une loi d'orientation au premier semestre 2018. La CGT y participera pour défendre ses propositions, en plaçant au centre des débats les questions sociales, environnementales, de santé publique, d'aménagement du territoire et de réindustrialisation. Le renouveau du service public des transports en dépend.
La bataille du fretEn mai dernier, la CGT a lancé une campagne et une pétition afin de maintenir le dernier train qui achemine quotidiennement 1 400 tonnes de primeurs depuis Perpignan (Pyrénées-Orientales) jusqu'à la gare du Marché d'intérêt national de Rungis (Val-de-Marne) pour « nourrir » Paris. Principale raison invoquée pour sa suppression : la concurrence féroce du transport par route. « Comment faire pour que la SNCF s'intéresse à un projet de transport de marchandises ? s'interroge Alexandre Boyer, cheminot CGT Paris Sud-Est. Alors que dans le même temps, elle a racheté Géodis (premier transporteur routier d'Europe) pour investir dans une logique concurrentielle. Ce n'est plus la priorité au rail. »
La CGT œuvre aussi pour la création d'une ligne de fret ferroviaire entre Le Havre et Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) pour acheminer les marchandises depuis le port vers la capitale.
Chez Ouibus, les conducteurs sont appelés « capitaines ». Un doux euphémisme plus facile à traduire pour les marchés étrangers. Rémy Haddad est l'un d'eux. Depuis la création de la filiale, en 2012 – avant la loi « Macron » lorsque l'entreprise s'appelait encore IDBus et ne pouvait desservir que des destinations internationales –, il conduit ses passagers des Hauts-de-France vers Londres. Il est également délégué syndical CGT. En voiture !
Au début, ça se passait très bien. Pour attirer les conducteurs, la société proposait des conditions plus avantageuses que la convention collective : des hôtels confortables lors des déplacements, du matériel tout neuf, des temps de repos un peu plus longs. Mais, après avoir appâté, il faut maintenant faire des gains de productivité, donc les conditions de travail se dégradent. On nous appelle au dernier moment, les cadences augmentent, il faut casser au maximum les temps morts quitte, parfois, à contrevenir à la convention collective, comme lorsqu'on travaille six dimanches d'affilée. La pression psychologique est énorme. Ça commence à peser sur la vie familiale, et certains conducteurs ont eu des accrochages parce qu'ils s'endorment au volant. Et puis, il faut aussi gérer les clients, qui ne sont pas toujours faciles.
Des études de marchés sont réalisées, mais les lignes dépendent aussi de la concurrence. Un jour Guillaume Pepy (Président directeur général de la SNCF.) m'a dit : « La SNCF ne peut pas être absente là où les autres sont présents. » Ça veut dire que là où Flixbus ouvre une ligne, Ouibus s'y engouffre, et inversement. Au début, il n'y avait pas vraiment de concurrence avec le train, nous ne pouvions faire du cabotage qu'au départ ou à destination de l'international, mais depuis l'ouverture du marché national, en 2015, comme il faut rentabiliser au maximum, la réponse de la SNCF a été de nous mettre en concurrence. Donc on vient marcher sur les plates-bandes du train. La SNCF place ses pions en prévision de l'ouverture du rail à la concurrence.
L'autocariste sous-traitant se voit confier une mission avec une ligne, des horaires, un nombre de kilomètres. C'est un contrat. Mais de plus en plus, nos sociétés font appel à des franchisés. Ils sont libres de déterminer eux-mêmes les lignes, mais avec des prix fixés par Ouibus. Tout ce qui est matériel, hommes et logistique est à leur charge et ils reversent une partie de leurs bénéfices en exploitant la marque Ouibus. Le quidam, lui, ne verra pas la différence, mais pour les conducteurs, elle peut être grande. À Lyon, des conducteurs Ouibus ont refusé d'être transférés à Faure Express, parce que leurs conditions de travail et leurs rémunérations auraient été touchées. Ils ont fait grève et ont reçu leurs lettres de licenciement. Deux procédures judiciaires sont en cours.
Plutôt que de low cost, je préfère parler de bas coût de la sécurité, des conditions de travail, de l'environnement, mais aussi de profit et de rentabilité pour les entreprises qui exploitent dans ces conditions. Ce n'est évidemment pas toujours perceptible par les usagers qui regardent d'abord leur pouvoir d'achat. Mais ces offres de transport – avion, autocar ou TGV Ouigo – ne sont pas exemptes de contraintes pour les usagers qui doivent supporter des frais additionnels pour, par exemple, se rendre à des gares éloignées ou voyager avec un bagage supplémentaire.
Ces modes de transport, parfois lancés par des acteurs publics comme la SNCF via des filiales, viennent concurrencer de manière déloyale les opérateurs publics et les fragilisent. Le bas coût se développe dans le ferroviaire : Ouibus transporte les usagers de la SNCF dans des bus pour répondre à des besoins de desserte qui ne sont plus assurés par des trains. Les offres à bas coût se développent aussi avec l'ubérisation : par exemple, les VTC concurrencent les taxis dans des conditions sociales moins favorables. Le bas coût se répand aussi dans le transport par autocar avec les « bus Macron ».
Dans tous les cas, on est loin de notre conception d'un véritable service public de transport, au service de l'intérêt général dans tous les sens du terme. La CGT considère que nous avons besoin de tous les modes de transport, mais dans une logique de complémentarité multimodale. Ça signifie qu'il faut sortir de cette concurrence mortifère.
Les conséquences se mesurent en termes de précarisation, de pertes d'emplois. On en a une parfaite illustration avec les salariés de Ouibus. C'est une filiale à 100 % de la SNCF, avec des salariés en propre, qui est en train de fermer des entités comme celle Lyon pour faire exploiter ses lignes par des sous-traitants. Ce système est source d'une déréglementation et d'un dumping social féroces. Dans le dernier rapport sur les comptes du transport, on s'aperçoit par exemple qu'il y a une explosion de l'intérim, tant dans le fret que dans le transport de voyageurs.
Dans le transport maritime, on est arrivé à un point où l'emploi de marins français aux conditions sociales de la marine marchande est en voie d'extinction. Dans le transport routier de marchandises, la courbe du transport sous pavillon français est en baisse, tout comme dans le fret ferroviaire.
Je le répète : les groupes publics comme Transdev ou la SNCF ont une grande part de responsabilité dans ce dumping. Ainsi, en Île-de-France, pour la ligne de tram-train T11 Express entre Le Bourget et Épinay-sur-Seine, la SNCF a mis en place une société de droit privé, elle-même filiale de Keolis, afin de ne pas appliquer aux salariés la convention collective et le statut de cheminots. On a des conducteurs qui vont se voir imposer une polyvalence de tâches qui dégrade leurs conditions de travail et, au final, la qualité de service, voire la sécurité.
Les derniers comptes du transport 2016 qui viennent d'être publiés montrent, comme en 2015, une augmentation des émissions de gaz à effet de serre du fait des transports. Avec 30 % des émissions, ce secteur est le premier responsable. Alors que, dans le même temps, il y a des améliorations en termes de motorisation. C'est donc l'augmentation de tous les trafics routiers (marchandises, voyageurs et véhicules légers) qui est la première cause de cette croissance. On constate, par exemple, une explosion du transport de marchandises par des milliers de petits camions bâchés immatriculés à l'étranger qui échappent à toutes les règles, en matière de temps de repos notamment.
On note en même temps une augmentation du trafic de voitures, qui est une conséquence directe de l'insuffisance de l'offre de transport collectif et de l'allongement des distances entre le domicile et le lieu de travail. On marche donc à l'envers, et on voit bien que les questions de l'environnement et du social sont intimement liées.
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