29 novembre 2022 | Mise à jour le 29 novembre 2022
En grève depuis le 23 novembre, 80 des 146 personnels de la clinique Floréal de Bagnolet se battent pour des augmentations générales des salaires à la hauteur de l'inflation. Face au refus de la direction, qui a fait réquisitionner des grévistes, l'assemblée générale du 28 novembre vient de voter la reconduction de la grève.
Des NAO (négociations annuelles obligatoires) sur fond d'inflation galopante qui se soldent par 0% d'augmentation générale des salaires, alors qu'ils n'ont pas été revalorisés depuis des années. Une prime de participation aux bénéfices nulle, pour la première fois de l'histoire de cette clinique historiquement rentable (2 millions d'euros de bénéfices net par an en moyenne). Des malversations comptables mises au jour par un cabinet d'expertise. Des conditions de travail en mode dégradé. Des démissions en cascade et un dialogue social indexé sur la surdité à toute revendication.
«Ici, on n'est pas au souk », « Ni à Bamako !»
Depuis sa reprise en main par le groupe Almaviva Santé (*) il y a tout juste un an, rien ne va plus chez Floréal. Côté dialogue social, les représentants des salariés essuient au mieux des fins de non-recevoir à chacune de leurs revendications et au pire, des marques de mépris. Pépites extraites des dernières réunions de NAO où la section syndicale CGT réclamait des augmentations générales de 5 à 15 % pour compenser l'inflation. Réponse de la direction : «Ici, on n'est pas au souk », relate Marie Melgire, la déléguée syndicale CGT de Floréal, élue du CSE. « Une manière de dire qu'il n'y avait rien à négocier en nous renvoyant à nos origines ethniques, ce qui m'a fait rétorquer qu'on n'était pas non plus à Bamako », ironise la syndicaliste.
Flexi-relaxation, chaussures crocs et polaires publicitaires
Plus subtiles mais non moins féroces, les réponses de la direction aux revendications d'un 13ème mois, d'une prime d'habillage et de journées supplémentaires pour « enfant malade » : un fauteuil massant pour 146 salariés ; une prime de flexibilité de 37 à 100 euros maximum; une enveloppe budgétaire pour financer des cours de sophrologie ; l'achat de chaussures « crocs » et de polaires estampillées Almaviva Santé. Plus sérieuse, la décision de la direction de créer deux postes de soignants, après que 46 des ces personnels aient démissionné dès début 2022 en raison de la faiblesse des salaires et des mauvaises conditions de travail.
De l'entreprise familiale à l'entreprise financiarisée
« Avant la reprise par Almaviva Santé, Floréal était une entreprise familiale où le dialogue social fonctionnait », évoque Marie Melgire : « Jamais nous n'avions fait grève et quand on n'obtenait pas d'augmentation des salaires, on touchait des primes annuelles jusqu'à 4000 euros qui correspondaient à un 13ème mois. On touchait aussi la participation aux bénéfices qui a bizarrement disparu depuis la reprise par Almaviva Santé au motif que l'entreprise n'aurait réalisé que 15 000 euros de bénéfices ».
D'où la décision du CSE de déclencher un droit d'alerte économique dont le rapport d'expertise a révélé de potentielles malversations, notamment dans la captation-redistribution d'aides publiques d'Etat destinées aux salariés du secteur médico-social, mais dont les personnels n'ont jamais vu la couleur. Un épineux dossier qui aura nécessité le recours en justice pour l'obtention de documents que la direction refusait de transmettre aux experts comptables.
Réquisition des grévistes
A quoi s'ajoutent des méthodes brutales dans la gestion de ce conflit social : la saisie de l'ARS (agence régionale de santé) et du préfet de Seine-Saint-Denis afin de pouvoir réquisitionner 40 des 80 grévistes, alors que la clinique relève du secteur privé. « En d'autres termes, un pur déni du droit de grève», s'insurge Marie Melgire.
Conscients de l'importance de leurs métiers sur un territoire où l'offre de soins est déficiente et les recrutements de soignants, très problématiques, les salariés de Floréal ont décidé d'élever le rapport de force et de reconduire la grève. Avec le soutien de la CGT Santé et action sociale, de l'union départementale CGT de Seine-Saint-Denis et de l'Union locale CGT de Bagnolet dont les militants s'alternent à tour de rôle sur le piquet de grève, ils cherchent à donner de la visibilité à leur lutte et à susciter la solidarité. Et ça urge : « La direction sait qu'on ne pourra pas tenir éternellement sans salaires et joue la carte du pourrissement », confie Marie Melgire.
10 salariés prêts à raccrocher les gants
Bonne pioche, ce lundi 28 novembre : les députés NUPES Aurélie Trouvé et Alexis Corbière, ainsi que le maire de Bagnolet ont rejoint les grévistes pour les soutenir publiquement et réaffirmer l'importance de cet enjeux de santé publique : le bon traitement des patients dépend avant tout des bonnes conditions de travail des soignants. Charge, désormais, à la direction de Floréal de sortir par le haut de ce conflit social. Et si possible, en s'évitant 10 nouvelles démissions de soignants qui viennent d'annoncer vouloir raccrocher les gants.
(*)Almaviva Santé est le 4e plus important groupe de cliniques privées en France. Il est détenu à 60 % par le fonds koweitien Wren House Infrastructure et 16 % par Bpifrance. En 2021, Almaviva Santé regroupe 41 établissements privés dont 17 en région Sud, 19 en Ile-de-France et 5 en Corse (source, Wikipedia)