OpenLux : le Luxembourg au cœur d’un nouveau scandale fiscal
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Les Panama Papers ont révélé les noms de 214 000 sociétés offshore et de leurs actionnaires : célébrités, hommes politiques, multinationales impliquées dans l'évasion fiscale. Quelle est votre réaction ?
Je suis scandalisé, mais pas surpris. Et puis, ce n'est qu'une partie du phénomène. Ce sont là les révélations d'un seul cabinet au Panama. Il y a beaucoup d'autres paradis fiscaux, beaucoup d'autres sociétés, des personnes physiques… ce n'est que la partie émergée de l'iceberg.
Après les WikiLeaks, les LuxLeaks, les SwissLeaks, etc., l'affaire des Panama Papers ne franchit-elle pas un cran dans l'envergure de la fraude révélée ?
Si, en effet. Et l'empilement de cette succession d'affaires est intéressant. On sent que quelque chose bouge. D'abord, il est devenu insupportable à l'opinion publique que 1 % de la population détienne 50 % de la richesse mondiale et que de surcroît ces 1 % refusent de mettre un peu de leurs revenus dans le pot commun pour répondre aux besoins des populations. Il y a un virage, la pression de l'opinion publique se fait plus forte sur cette question. Ensuite, les États ayant des problèmes de finances publiques prennent un peu plus au sérieux la question de paradis fiscaux et de l'évasion fiscale qu'ils ne le faisaient précédemment.
On progresse ?
Oui. À plusieurs titres. D'abord parce que les affaires se dévoilant les unes après les autres, ça déstabilise nombre d'intervenants du circuit de l'évasion fiscale, davantage gênés pour enfumer les foules…
Ensuite, la révélation de cette réalité oblige les politiques à modifier leur comportement. C'est ce que montrent les dispositions de reporting que doit prendre la Commission européenne [La proposition présentée le 11 avril par la Commission européenne vise à obliger les multinationales à faire la transparence sur les profits et les impôts payés pays par pays, NDLR] et qui sont un pas important. Nous réclamions cette mesure avec les ONG qui travaillent sur ce sujet depuis très longtemps.
Ces mesures devraient toucher des masses économiques importantes, des grandes multinationales dont on sait bien qu'elles sont en première ligne de la pratique de l'évasion fiscale. En revanche, la portée en est trop limitée : seules les entreprises ayant un chiffre d'affaires annuel de plus de 750 millions d'euros seront concernées. Il faudrait réduire le seuil de l'obligation à la transparence à 40 millions… Les Panama Papers le montrent bien : le profil des personnes concernées est loin des seules multinationales, c'est beaucoup plus large.
Cette mesure suffira-t-elle à empêcher les Google, Amazon, Apple, McDonald's, Starbucks… de pratiquer l'évasion et l'optimisation fiscales ?
Oui et non. C'est le problème et la difficulté pour être compréhensible dans le débat public. L'optimisation fiscale et la fraude fiscale sont deux sujets différents mais liés. Pour les personnes ou entreprises qui pratiquent ouvertement la fraude fiscale en allant dissimuler leur argent dans les paradis fiscaux, ces mesures vont constituer un véritable obstacle. Faut-il préciser que la fameuse « cellule de dégrisement » de Bercy est débordée depuis les Panama Papers ?
Beaucoup de personnes concernées par l'évasion fiscale se bousculent pour faire amende honorable et payer de suite ce qu'ils doivent aux finances publiques, sans poursuites. Ce qui est un scandale, car on leur donne l'opportunité de se faire gentiment taper sur les doigts sans autre conséquence alors que le contribuable lambda surpris à frauder le fisc subirait un redressement avec les pénalités en vigueur…
La limite de tout ça, c'est que malgré cette prochaine obligation de « reporting », les législations fiscales, parce qu'elles restent très différentes d'un pays à l'autre, permettent toujours de contourner légalement le paiement de l'impôt dans le pays où la richesse est produite.
Les montages de Google ou de Starbucks sont connus et ne sont pas remis en question. C'est la raison pour laquelle la CGT continue de réclamer la lutte contre les paradis fiscaux, la transparence, mais aussi l'harmonisation fiscale.
Le 14 avril, deux jours après que cette nouvelle obligation de transparence pour les grandes entreprises a été annoncée, la directive européenne sur la protection du secret des affaires, véritable obstacle aux lanceurs d'alertes, était adoptée à une large majorité par le Parlement européen. N'est-ce pas contradictoire ?
Bien sûr, c'est toute l'ambiguïté de l'échiquier européen sur lequel deux camps s'affrontent : celui des ONG, de l'opinion publique, des organisations syndicales, contre celui des lobbys, du patronat et des plus riches qui eux ont tout intérêt à ce que le système reste en l'état. La période politique est à ce titre démente : en plein scandale des Panama Papers qui révèlent des milliers de fraudeurs pris la main dans le sac, on vote une directive qui va rendre plus difficile la révélation de tels scandales…
Les Panama Papers nous donnent pourtant raison, à nous qui, il y a cinq ans déjà, évoquions 80 milliards d'euros de pertes fiscales pour la France. Aujourd'hui, ces chiffres sont repris par tout le monde. Les politiques au pouvoir étaient les premiers à contester nos analyses en la matière. Ce qui pose la question de savoir si ceux-ci sont incompétents ou s'ils jouent plutôt le jeu des lobbies financiers et des grandes multinationales que celui de la défense des intérêts de leurs concitoyens.
Grâce aux révélations successives, l'idée d'une société de classes faite de dominants et de dominés fait son chemin dans l'opinion publique, mais cette prise de conscience ne se fait pas en un jour. Pourtant, à l'heure où le projet de loi El Khomri prévoit de demander des efforts supplémentaires aux salariés, ceux-ci ne sont pas dupes de la rhétorique de la « compétitivité ».
Ils comprennent de plus en plus que l'évasion fiscale a des répercussions directes et concrètes sur leurs conditions de travail et de vie.
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