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Transport

Fin des CDI dans les plateformes de livraison ?

21 septembre 2022 | Mise à jour le 19 octobre 2022
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Fin des CDI dans les plateformes de livraison ?

Conférence de presse des livreurs à vélo, devant le siège Just eat, à Paris le 20 septembre 2022

Les bons chiffres enregistrés pendant la crise de la Covid-19 ne sont plus là, jurent les plateformes de livraison qui, après avoir fait la promotion de leurs contrats en CDI, veulent revenir au temps de l'auto-entrepreneuriat. À l'image de Just Eat… dont les négociations annuelles obligatoires se sont transformées en plan de licenciements. Les coursiers CGT tenaient une conférence de presse devant le siège français de la plateforme ce mardi 20 septembre.
« Depuis deux ans, on voit l'arrivée de nouvelles boites sur le marché qui promettent des contrats de travail, mais cet argument commercial n'a qu'un temps. Les conditions de travail sont revues à la baisse et il y a une volonté de rogner sur les salaires. » Ludovic Rioux sait de quoi il parle. Engagé ce mardi 20 septembre dans des NAO avec la direction nationale de Just Eat, le livreur de cette plateforme de livraison « n'attend plus rien ».
Et pour cause, depuis le mois d'avril le groupe anglo-néerlandais souffle le chaud et le froid sur les salariés. Annonçait finalement, mi-juillet, supprimer ses équipes dans vingt-six villes, seule Paris étant épargnée, et justifiait sa décision par une « dynamique difficile du marché » français. « Malgré quelque 600 millions d'euros d'aide “Emploi Jeunes » en 2021 », rappelle Ludovic. Résultat : 330 coursiers et une trentaine d'administratifs sur le carreau. Ou quand les NAO se transforment en plan de licenciements.

Soupçon de travail dissimulé

Fin des équipes donc, mais pas des services. Et c'est là que le bât blesse, entre autres, pour le représentant syndical CGT. Car la plate-forme continue ses activités. « Dans plusieurs villes, les livraisons sont faites par les coursiers de chez Stuart. » Stuart ? Un service de livraison à domicile contrôlée depuis 2017 par le groupe La Poste, l'État français donc ainsi que la Caisse des dépôts, qui, pour ses prestations, recourt au travail… d'auto-entrepreneurs. Sans contrats ni couverture sociale d'aucun ordre, mais surtout payé à la course. Beaucoup moins cher. Et quand en plus viennent se greffer des soupçons de « travail dissimulé » et de livreurs « payés au black », c'est tout bénéfice.

Quand la justice s’en mêle, les amendes tombent

Un « retour en arrière digne du XIXe siècle » qui n'est hélas pas seulement l'apanage de Just Eat et témoigne de la volonté assumée des plateformes de la « gig economy » de s'affranchir autant que faire se peut des lois, des codes du travail des pays où elles opèrent. À l'exemple de Deliveroo, reconnue coupable là encore de travail dissimulé et condamné par le tribunal de Paris le 1er septembre dernier à verser 9,7 millions d'euros pour des retards de cotisations et de contributions sociales à l'Urssaf.
Volonté des plateformes, certes, mais pas que comme l'ont révélé les Uber Files et l'enquête menée par un consortium de journalistes publiée en juillet dernier. Laquelle démontre clairement l'influence de ces plateformes sur certains politiques de premier plan pour faire passer des lois en leur faveur. À l'image d'un Emmanuel Macron, chantre de la « Start-up Nation » et promoteur de la gig economy en France mais aussi en Europe qui n'hésite pas à intervenir en faveur de cette nouvelle économie. Une économie de petits boulots, payés à la tâche, bien loin du « modèle social » qu'affirme pourtant vouloir défendre le président.
« Il y a là un soutien assez explicite de l'État à des boites dont le but semble être de remplacer des jeunes précaires par des jeunes encore plus précaires », constate Ludovic Rioux, rejoint en cela par des camarades des plateformes parisiennes Gorillas, Flink ou Frichti venus apporter leur soutien à ceux de Just Eat. En attendant de « se retrouver tous le 29 septembre pour revendiquer de bonnes conditions de travail, des conditions “humaines” ».

Témoignage Ahmed : « Sans la CGT, ils nous “tueraient” »

« C'est mon premier boulot », confie Ahmed, livreur lyonnais pour la plateforme Just Eat depuis l'arrivé de celle-ci dans la capitale de Gaules, il y a un an et demi. « Avant, tout allait “bien”, on avait du travail », précise ce jeune homme de 22 ans devenu depuis représentant syndical CGT des coursiers lyonnais.
Certes les conditions n'étaient pas faciles, mais à la différence de ses collègues d'autres plateformes, Ahmed bénéficiait d'un CDI. « Avec des congés payés, le droit au chômage, à l'assurance maladie, le minimum… »
Mais ça, c'était « avant ». Depuis, les choses ont changé. Il y a d'abord eu les premières menaces de licenciements en avril dernier. Avec des conséquences qui se sont répercutées y compris sur la filiale lyonnaise de Just Eat pourtant épargnée par cette première annonce.
« Je travaille désormais sur deux horaires, le midi et le soir où il faut être disponible jusqu'à 2 heures du matin », précise Ahmed. « Sans que nos heures de nuit soient majorées ni que nous ayons droit à un repas. Pareil si nous travaillons le dimanche qui n'est pas non plus majoré. » Tout cela pour « 1 300 euros nets par mois ».
L'avenir ? Difficile à envisager alors que Just Eat vient d'annoncer mettre fin à ses équipes françaises hors Paris. Pas question pour autant de baisser les bras pour Ahmed qui se réjouit du soutien de la CGT et de la présence de la presse lors des NAO qui ont eu lieu dans la capitale ce mardi 20 septembre. « Si la CGT n'était pas là, on ne serait pas visibles. Et là, ils nous tueraient”. »