Jupiter est nu. Les tentatives de faire peur pour décourager les manifestations des gilets jaunes n'ont pas essoufflé la mobilisation. Samedi 8 décembre, la colère s'est de nouveau exprimée dans toute la France, disant l'exigence populaire de justice sociale et de respect.
La journée de vendredi avait été celle des discours en boucle sur les menaces supposées que feraient courir à la République les gilets jaunes. La peur était à la Une des petits écrans. Aux images de la mobilisation populaire s'étaient substituées celles des seuls actes de violence. Tour à tour des membres du gouvernement avaient expliqué les risques encourus dans la capitale et même annoncé qu'il pourrait y avoir des morts. « Barricadez-vous, ne manifestez pas ».
Profitant de l'aubaine l'exécutif a même fait interpeller et mettre en garde à vue de façon préventive (selon quels critères ?) des militants politiques (de gauche) et le responsable de l'association écologiste Les Amis de la Terre, organisateur d'une marche pour le climat. L'exécutif a sorti, pour la première fois, les blindés dans les rues de Paris et excité les porteurs de Flash-Ball.
Et ça n'a pas pris. Malgré ça, la foule s'est de nouveau emparée des rues.
Ras-le-bol social d'ampleur
La population en colère crie sur les réseaux sociaux, aux carrefours, dans la rue, sans doute de façon désordonnée, son exigence de justice sociale et de dignité. Les gilets jaunes disent, avec leurs mots : fin de mois, pouvoir d'achat, augmentation du SMIC, fin des injustices, retour de l'ISF, fin du mépris et de l'arrogance de classe, démocratie… Pas étonnant que les femmes soient si nombreuses sur les carrefours ou dans la rue, elles qui souvent portent la charge du budget familial et savent le prix des fins de mois difficiles.
Le gouvernement voulait faire croire que ces manifestants menaçaient l'environnement ? Ils lui ont répondu, comme la NVO l'a constaté dans les défilés parisiens, « Fin du monde, fin du mois, c'est pour nous le même combat », ou « Sauvez les banquises, pas les banquiers ».
Retour en force du social
C'est aussi le respect et la dignité que revendiquent les manifestants. Quand des mômes de banlieue, et pas n'importe quelle banlieue, celle de Mantes-la-Jolie, sont humiliés collectivement par un escadron de policiers (dont certains portant les insignes spartiates que revendiquent en général les mouvements identitaires), les lycéens, qui sont venus élargir le mouvement, puis les gilets jaunes, s'agenouillent à leur tour les mains sur la tête dans un grand mouvement de solidarité pour faire de cette humiliation son contraire : une revendication de fierté.
Sur les carrefours, la fierté retrouvée, celle « d'en être », nourrit l'apprentissage accéléré du politique. Avec toutes ses contradictions. Avec parfois ses débordements. Et même ses dérapages racistes et homophobes, qu'il faut combattre et qui d'ailleurs s'avèrent minoritaires. Car alors que l'identitaire pourrissait le débat de ces dernières années, c'est le social qui revient en force, se nourrit du collectif dans le combat revendicatif commun. Durablement ? Rien ne permet de le croire. L'extrême droite, celle-là même qui disait non à la hausse du Smic, reste à l'affût.
Gouvernement : le choix de la répression
Au soir de ce samedi, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a annoncé 125 000 manifestants, dont 8000 à Paris où la police a dénombré… quelque 17 000 personnes, et les organisateurs 25 000. Alors que 89 000 membres des forces de l'ordre étaient mobilisés, dont 8 000 à Paris avec 14 véhicules blindés à roue de la gendarmerie déployés pour la première fois de leur histoire dans la capitale, les blessés sont nombreux. Plusieurs journalistes ont été blessés à Paris, dont certains par des tirs policiers, selon l'AFP qui cite « des témoignages publiés par leurs médias ou diffusés via les réseaux sociaux ». « Deux photographes du Parisien ont été touchés par des tirs de lanceurs de balles automatiques sur les Champs-Élysées, l'un à la nuque et l'autre au genou (…) Le premier a été transporté à l'hôpital pour un bilan. Sur Twitter, il a indiqué que l'auteur du tir à bout portant, un membre des forces de l'ordre, s'était excusé auprès de lui. ».
Toujours selon l'AFP, la photographe de guerre Véronique de Viguerie, primée cette année au festival de photojournalisme Visa pour l'image a tweeté « peu après qu'elle s'était retrouvée exposée aux gaz lacrymogènes sans pouvoir s'en protéger » : « Casques et masques de protection volés par les CRS parce que je prenais une photo ».
Quelque 1 385 interpellations ont eu lieu.
Les jeunes victimes de répression
De son côté, le syndicat lycéen UNL a déposé plainte après l'arrestation jeudi de 151 jeunes à Mantes-la-Jolie, notamment pour « violences sur mineurs de 15 ans et plus par personne dépositaire de l'autorité publique ». Le Défenseur des droits, lui, ouvre une enquête.
« La jeunesse est victime d'une répression inadmissible visant à juguler l'agglomération des exaspérations. Les lycéens, qui se mobilisent contre le tri social pour l'entrée à l'université, qui veulent des moyens pour l'éducation et avoir le droit d'espérer un avenir de progrès, sont la cible d'une répression violente. La CGT ne peut pas accepter que le pouvoir frappe et tape nos enfants, ceux de la République ! », écrit la CGT.
Et de poursuivre : « Gouvernements et patronat, qui depuis des années, restent sourds à tout progrès social, qui s'accaparent les richesses que les travailleurs créent, sont responsables de la désespérance qu'ils tentent de faire payer à la jeunesse. La CGT n'a jamais prôné l'action violente. Mais la violence est d'abord sociale, il y a urgence à augmenter le SMIC à 1800 euros, les pensions, les minima sociaux, le dégel du point d'indice. Urgence à instaurer une réelle justice fiscale qui fasse contribuer les plus riches, à développer des politiques publiques de transport et logement qui répondent aux besoins de la population ».
La CGT appelle à la mobilisation le 14 décembre
Face à la colère, le président de la République refuse encore de change de cap. Il a annoncé… qu'il s'exprimera. La population, les salariés, les précaires, les privés d'emploi, les retraités, les lycéens… ne se contenteront pas de miettes.
De son côté, la CGT appelle à une grande journée d'action le 14 décembre sur l'ensemble du territoire. Car « Il faut agir pour une augmentation immédiate des salaires, pensions et de la protection sociale ».