Le gouvernement pactise avec les entreprises
Après les ordonnances « travail » et la réforme fiscale en 2017, voici venir la loi « entreprise », dite Pacte — pour « plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises ». C'est l'un des nouveaux grands chantiers du gouvernement en 2018 et, dans la période, la « priorité » de Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie et des Finances. Il présentera le projet de loi en conseil des ministres au mois d'avril avec une première mouture à la mi-mars. Non seulement le futur texte entre dans sa seconde phase d'élaboration, mais Bruno Lemaire en a d'ores et déjà précisé les contours lors de ses vœux aux forces vives, le 15 janvier. Ainsi ce Pacte visera à « donner une nouvelle armature » à l'économie française avec pour double objectif de « faire grandir nos entreprises en associant mieux les salariés à leurs résultats ». Vaste programme. Et qui mériterait discussion.
La méthode Macron
Comme la « transformation de l'action publique (en langage macronien on ne dit pas « réforme », mais « transformation ») lancée quasiment « en même temps », le « plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises » dispose depuis ce 15 janvier d'une plateforme de consultation. Le 7 novembre dernier, Bercy expliquait en effet que le Pacte serait « élaboré selon la méthode de la co-construction avec tous les acteurs ».
Et, à ce stade de la « co-construction », ce sont les Français qui sont invités à donner leur avis (« d'accord », « pas d'accord », « mitigé »), commenter et éventuellement contribuer au projet mis en ligne le 15 janvier par Bercy sur un site Internet dédié. Le projet soumis est constitué des 31 propositions élaborées par des députés de la majorité et des chefs d'entreprises missionnés par le gouvernement et qui, eux, ont déjà donné leur avis. Ils ont planché par binômes sur la question entre novembre et décembre. Premier constat, les sujets qui auraient pu fâcher ont été exclus du Pacte : la désindexation du Smic — aujourd'hui aligné sur l'inflation et le salaire minimum horaire de base moyen des ouvriers et employés — et l'ouverture à la concurrence des professions réglementées. Mais il n'y a pas de temps perdu pour cela, le quinquennat n'en est qu'à ses débuts.
Mesures en faveur des entrepreneurs et de l'innovation
Parmi les propositions de mesures retenues par Bercy, on notera le renforcement des sanctions en cas de dépassement des délais de paiement, la mise en place d'un guichet unique pour l'export, la simplification des règles pour la transmission d'entreprise, etc. Une série de propositions est également destinée à « faciliter la création d'entreprises » (100 % des démarches administratives en ligne en 30 minutes, la suppression du stage préalable à l'installation des micro-entrepreneurs, etc.) ou à aider au « financement » des plus petites « pas armées pour faire face à la mondialisation » estime Bercy qui propose de « simplifier l'accès des PME aux marchés boursiers », d'« orienter davantage l'assurance-vie vers les placements longs et productifs », « un plan d'épargne en actions pour les jeunes », etc. Enfin, ce 15 janvier, Bruno Lemaire a donné le coup d'envoi au « fonds de l'innovation pour la rupture voulu par Emmanuel Macron. Le « développement » et l'« industrialisation » de ces innovations (numérique, robots…), « qui ne sont pas immédiatement rentables pour les entreprises », seront financés par ce fonds. Pour se lancer (dès février), celui-ci vient d'être doté de 10 milliards d'euros issus des cessions d'actifs d'Engie, Renault, EDF et Thalès. Il sera ensuite alimenté par les « cessions d'actifs » et les « privatisations » que la future loi Pacte autorisera.
La théorie du ruissellement
Les entreprises étant censées beaucoup mieux se porter grâce à toutes ces dispositions — et le texte en préparation se targuant d'être équilibré —, les salariés devront être « mieux associés aux résultats ». Pour ce faire, Bruno Lemaire a annoncé l'objectif de « 100 % des salariés […] couverts par un accord d'intéressement et de participation ». Bref, les bénéfices des entreprises devraient ruisseler sur les salariés. Mais cela n'apparaît pas si évident, car, en échange, et pour encourager l'épargne longue et l'actionnariat salarié, le gouvernement envisage de « réexaminer les règles du forfait social » : la taxe payée par l'employeur sur l'intéressement et la participation pourrait être allégée. Au diable le coût pour les finances publiques !
Le relèvement des seuils, une demande du Medef
La philosophie est d'ailleurs la même sur cet autre dossier que les employeurs n'ont jamais refermé : le relèvement des seuils sociaux et fiscaux. Il s'agit des cotisations patronales orientées notamment vers l'aide au logement, les transports et la formation professionnelle et qui se déclenchent lorsque les entreprises atteignent 10, 20 ou 50 salariés. Le projet Pacte devrait retenir le gel des obligations en cas de franchissement d'un de ces seuils pendant trois ans. Une proposition que le président du Medef, Pierre Gattaz, n'a pas manqué d'encourager.
À l'inverse celui-ci se montre hostile à une représentation élargie des salariés dans les conseils d'administration, entraînant à sa suite un Bruno Lemaire rendu très frileux sur la question. Qu'à cela ne tienne, si, malgré l'arsenal de mesures envisagé par Bercy, l'entreprise plonge quand même, parmi les pistes soumises à la consultation figurent des dispositions pour faciliter sa reprise par lesdits salariés…
Les syndicats contournés
Le dernier volet du projet portera sur « l'objet social des entreprises ». Pour en savoir davantage il faudra cependant attendre le 1er mars et les conclusions de la mission baptisée « Entreprise et intérêt général » que la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a confiée, le 5 janvier, à l'ex-secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat – désormais dirigeante de Vigeo (société d'évaluation des performances sociales et environnementales des entreprises) – et au président du groupe Michelin, Jean-Dominique Senard. Il leur est demandé de réfléchir à la redéfinition du rôle de l'entreprise. Son « objet social » datant du code napoléonien, l'exécutif en envisage la réforme, au grand dam du Medef qui préfèrerait un code de bonne conduite plutôt qu'une « contrainte législative ».
Reste qu'après les députés, les chefs d'entreprises et les Français, il ne serait pas superfétatoire qu'une discussion s'engage avec les syndicats. Le calendrier disponible sur le site de Bercy n'en dit rien. Non seulement de nombreux points du projet le mériteraient, mais d'autres propositions pourraient être faites. La CGT y a travaillé.