6 février 2015 | Mise à jour le 3 avril 2017
Humains cotés en bourse ou jetés à la rue par les banques, l’horreur économique inspire BD et littérature comme en témoignent les albums Human Stock Exchange » et le roman « Fannie et Freddie ».
BD – DEMAIN, L'ÊTRE HUMAIN SERA COTÉ EN BOURSE
Et si la crise financière de 2008 durait ? Et si elle empirait ? Dans un monde globalisé et ultra-concurrentiel où la spéculation boursière traque inlassablement la meilleure plus value, quelle place reste-t-il pour l'humain ?
De l'extrapolation de ce scénario catastrophe, Xavier Dorison a tiré une bande dessinée d'anticipation économique effrayante car aux accents très réalistes.
Félix Fox est jeune, motivé, ambitieux, il étouffe dans son costume de vendeur de voitures. Il aspire à une évolution professionnelle, il rêve de réussite sociale et de fonder une famille. La seule voie d'ascension sociale serait de se faire coter en bourse pour lever des fonds et vivre dans un beau quartier, dans une belle demeure, avec une belle voiture, etc.
Le tome 1 de HSE s'emploie à installer cette situation de désir, de conquête et d'épanouissement de l'individu. Dans le tome 2, ce paradis rêvé se révèle hautement asservissant : sous surveillance d'un CA, la côte de cette devise est surveillée à l'aune du retour sur investissement. Tout ce qui influe sur la vie humaine est scruté, des critères physiques comme le taux de diabète jusqu'aux émotions les plus intimes comme le plaisir sexuel et amoureux. C'est la perte des illusions, l'heure des choix du héros devenu adulte et conscient du prix à payer…
Le scénario est classique, efficace : le parcours initiatique d'un personnage central, dans un monde nouveau permet d'en révéler les promesses et les risques. Thomas Allart adopte une mise en scène à l'unisson. Son trait est droit, épuré. Les couleurs sont froides, ternes, les tonalités grises dominent et traduisent un monde hostile, une société aseptisée. D. M.
Human Stock Exchange Tome 1 & 2, de Xavier Dorison et Thomas Allart, Ed. Dargaud. Chaque volume 13,99€.
ROMAN – FANNIE ET FREDDIE
Fannie a perdu ses parents qu'elle aimait plus que tout et qui avaient trimé dur pour acheter leur modeste maison. Parce qu'un jour on leur avait dit : « Vous voulez devenir propriétaire ? Posséder votre propre logement ? Maintenant, c'est possible. C'est facile. Voyez les crédits sensationnels qu'on vous propose. A des taux imbattables. Une offre qu'on ne peut refuser. N'en rêvez plus, faites-le ! », son père, sidérurgiste à la Bethlehem Steel Corporation avait signé pour une maison à lui et à léguer un jour à sa fille. Dirigée par le magnat Eugene Grace, cette énorme aciérie de Pennsylvanie fut le deuxième producteur d’acier des Etats-Unis avant le rachat, la faillite puis de tomber dans l’escarcelle du groupe Mittal…
Or, ce modeste logement, acquis « grâce au généreux crédit accordé par la Harvest & Logan Manhattan Chase » la crise des subprimes allait le reprendre aux parents de Fannie, les jetant froidement à la rue. « On leur avait menti, on les avait bernés, on leur avait fait rendre jusqu'à leur dernier sou, et maintenant on allait leur prendre la dernière chose qu'il leur restait : leur toit. »
Sauf que le vieux couple en a décidé autrement…
Mue par une colère sans bornes, Fannie décide alors d'enlever Frederick, trader à Wall Street. Et de lui rappeler à sa manière que l'on ne peut passer les êtres humains, leur vie de labeur, leurs espoirs, leurs luttes et leurs rêves par pertes et profits…
Fannie n'a pas choisi Frederick au hasard, mais a longuement préparé ce kidnapping, épié les moindres habitudes de ce jeune beau et riche célibataire qui travaille … pour la Harvest & Logan Manhattan Chase ! De plus, son diminutif est Freddie : « Fannie et Freddie. Comme Fanny Mae et Freddie Mac. Les géants du crédit. La reine et le roi des hypothèques. » (*)
Fanny réserve un sort surprenant au trader sans scrupules, somme de la rage et du désespoir accumulé par des générations de petites gens écrasés par la loi du profit pendant que le capitalisme paternaliste d’Eugene Grace cédait la place au capitalisme financier de Wall Street :
« Hier c'était Eugene Grace. Aujourd'hui, ils portent d'autres noms. Hier ils dirigeaient des usines. Aujourd'hui ils gèrent des banques ou des compagnies d'assurance ou des fonds d'investissement. Mais qu'est-ce qui a changé en réalité ? Rien. Rien de rien. C'est la même histoire. »
Avec ce court et percutant roman, suivi de la nouvelle « Ceux qui construisent les bateaux ne les prennent pas », Marcus Malte signe un puissant et haletant petit livre sur fonds d'horreur économique.
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(*) La Federal National Mortgage Association (FNMA, phonétiquement Fanny Mae) et La Federal Home Loan Mortgage Corporation (FHLMC/Freddie Mac), société par actions, ont été créée par le gouvernement fédéral américain pour augmenter la taille du marché des prêts hypothécaires.
En 2008, conséquence de la crise des subprimes aux États-Unis, Fannie Mae et Freddie Mac subissent des pertes de plusieurs milliards de dollars et sont incapables de financer le secteur des prêts hypothécaires.
Le gouvernement fédéral américain en prend le contrôle. En 2009, malgré un sauvetage financier réalisé par le gouvernement suite à des performances financières catastrophiques, plusieurs cadres de Fannie Mae et Freddie Mac recevront pourtant des bonus pouvant atteindre jusqu’à 100 000 dollars…
Fanny et Freddie de Marcus Malte.
Editions Zulma.
160 p., 15,50 €.