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LOI TRAVAIL

La mobilisation s’enracine

25 mai 2016 | Mise à jour le 14 février 2017
Par | Photo(s) : Jean-Sébastien Evrard/AFP et Daniel Maunoury
La mobilisation s’enracine

Face à un mouvement social qui se développe et se durcit, le gouvernement a choisi le bras-de-fer plutôt que le dialogue. Il veut faire passer coûte que coûte sa loi dite « travail », passant outre le refus des salariés, de la majorité de l'opinion comme du parlement.

Après son passage en force et l'usage du 49.3 pour que la loi dite « travail » soit adoptée sans débat, pas plus donc au parlement qu'avec les organisations syndicales, le gouvernement de Manuel Valls espérait un essoufflement de la mobilisation sociale. Abusant de la méthode Coué, il a même tenté de persuader les salariés et une opinion publique massivement opposée tant au projet de loi (à plus de 70 %, selon les sondages) qu'à l'usage de l'article 49.3 (75 %) que la rue se vidait.

Autrement dit, qu'il était temps de se résigner. Les centaines de milliers de manifestants dans tout le pays, le 19 mai, les mobilisations dans les entreprises, les grèves votées alors – à bulletins secrets ou non – par l'immense majorité des salariés concernés, et la détermination unitaire des organisations syndicales de salariés, lycéens et étudiants opposées au démantèlement du droit du travail (CGT, FO, Sud-Solidaires, FSU, Unef, UNL, Fidl) le contraignent à revoir sa stratégie.

QUAND LES SALARIÉS VOTENT LA GRÈVE

Raffineries, dépôts de carburants, SNCF, énergie, RATP, Amazon, bois et construction, secteur aérien, routiers, ports et docks, etc., de secteur en secteur, d'assemblée générale en assemblée générale, les salariés font le choix de débrayages, mais aussi de la grève et de sa reconduction. En même temps, l'intersyndicale appelle dans l'unité à une nouvelle journée de grève et de manifestation ce jeudi 26 mai, avant une journée de grève interprofessionnelle avec manifestation nationale à Paris le 14 juin, au début des débats au Sénat.

Les sept organisations syndicales appellent aussi « à multiplier d'ici là, sur tout le territoire, des mobilisations sous des formes diversifiées ».

Elles ont aussi décidé d'une « grande votation dans les entreprises, les administrations et les lieux d'étude, qui se déroulera dans les semaines à venir, en parallèle au débat parlementaire, afin de poursuivre avec les salarié-e-s et les jeunes les débats sur la loi « travail », obtenir le retrait de ce texte pour gagner de nouveaux droits permettant le développement d'emplois stables et de qualité ».

Déjà, la lutte a permis des premiers succès. Ainsi par exemple pour les routiers, qui viennent de recevoir des « assurances » du gouvernement quant au calcul des heures supplémentaires.

LE PATRONAT SUR LE PIED DE GUERRE

L'ampleur et le développement des mobilisations et des grèves inquiètent le patronat et le gouvernement. Le 25 mai, les organisations patronales, Medef en tête, ont appelé l'État à « veiller au respect du droit » et à « prendre les mesures permettant de garantir l'intérêt général, la liberté de travailler et de circuler librement ».

Patronat et gouvernement devraient pourtant se souvenir que la grève demeure un droit, ou encore que l'Organisation internationale du travail (OIT) avait condamné les réquisitions forcées des raffineries lors du conflit de 2010 pour une autre réforme des retraites. Quant à « l'intérêt général », difficile de faire croire qu'il se résume aux exigences du patronat, lorsque la majorité de la population les rejette…

MANIPULATIONS ET BALLONS D'ESSAIS

Le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, Bruno Le Roux, invité mercredi 25 mai de l'émission Questions d'info (LCP, France Info, Le Monde, AFP), a pour sa part envisagé l'hypothèse d'une réflexion sur la « possibilité que la branche donne un avis a priori » plutôt qu'a posteriori sur les accords d'entreprises. Mais un avis pas nécessairement contraignant, et tout cela sans mettre en cause la philosophie et la raison d'être d'un texte de loi qui vise à faire primer l'accord d'entreprise (soumis, donc, au rapport de forces) sur la loi, dépossédant donc les salariés d'un socle de garanties minimales commun.

Ce qui n'empêche pas Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, d'aller plus loin encore que le projet El Khomri, s'appuyant sur la brèche qu'il ouvre. Il annonce ainsi dans un entretien aux Échos, le 23 mai, qu' « il faudra élargir le champ de la négociation collective au niveau de l'entreprise à d'autres domaines ». Notamment les salaires…

Provocation ou ballon d'essai : le ministre nous a habitués à confondre l'un et l'autre.

 

LE GOUVERNEMENT ENTRE USAGE DE LA FORCE…

Le gouvernement sait que beaucoup de choses se jouent durant la séquence actuelle. En premier lieu pour la loi qu'il veut imposer coûte que coûte et contre laquelle la mobilisation se durcit, mais aussi pour les ambitions politiques personnelles de ses membres.

À la veille de la manifestation du 26, Manuel Valls a ainsi reporté la remise d'un rapport sur le temps de travail des fonctionnaires, réalisé par Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine) et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT). Selon plusieurs fuites dans la presse, celui-ci met notamment en cause la durée des congés payés, des RTT et jours fériés, ainsi que des jours de fractionnement et le compte-épargne-temps…

Pour maintenir son texte en dépit de la volonté de la majorité des citoyens, le gouvernement a choisi une stratégie à double entrée. D'une part, s'appuyer sur les « forces de l'ordre » pour empêcher les grèves de jouer leur rôle : peser sur l'économie. De Douchy-les-Mines (Nord), à Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône), les CRS ont eu l'ordre d'utiliser les canons à eau voire, selon des salariés témoins, les Flash-Ball. Dans la même veine, le secrétaire d'État aux Transports, Alain Vidalies, a publié mercredi au Journal officiel un arrêté permettant aux transporteurs d'hydrocarbures de déroger aux règles en termes de repos des chauffeurs.

Pour approvisionner au plus vite certaines régions, estimant que « les blocages de dépôts de carburants dans le cadre d'un mouvement social engagé depuis le 17 mai 2016 perturbent l'approvisionnement en hydrocarbures de plusieurs régions et constituent un cas d'urgence », il autorise le dépassement de deux heures par jour de la durée de conduite, nonobstant la fatigue des chauffeurs et les dangers potentiels pour leur sécurité et celle des usagers de la route.

… ET TENTATIVE DE DÉLÉGITIMATION DE LA CGT

Mais en même temps qu'il cherche à rendre les grèves caduques, le gouvernement espère pouvoir délégitimer les grévistes, à commencer par la CGT. Les qualificatifs à l'encontre de la confédération se succèdent, qui tous visent à la décrire comme pour le moins irresponsable, fauteuse de troubles, ou encore préférant la confrontation au dialogue. Comme si le gouvernement avait permis le moindre dialogue, et comme si la CGT n'avait pas formulé des propositions précises pour un nouveau Code du travail digne du XXIe siècle.

Manuel Valls, tout en préférant jouer le bras-de-fer plutôt que le dialogue, pense-t-il préparer en même temps le « coup d'après », dans sa volonté manifeste de diviser les syndicats, de laisser supposer qu'il négocie avec les organisations qu'il qualifie de « réformistes » et donc selon lui sérieuses, faisant du gouvernement et du politique les arbitres hasardeux des débats voire des divergences entre bonnes et mauvaises organisations syndicales ?

Dans un contexte où le patronat ne cache pas son appétit boulimique de nouveaux reculs sociaux, et où l'extrême droite demeure en embuscade, en France comme en Autriche ou dans toute l'Europe, un tel jeu d'apprenti sorcier gouvernemental pourrait en tout cas s'avérer dangereux pour tout le pays.

ÉCOUTER LA SOCIÉTÉ

« Le gouvernement n'a pas d'autre issue que celle du dialogue avec les organisations qui luttent pour le retrait de ce projet de loi et pour être écoutées sur les revendications qu'elles portent », plaident ensemble CGT, FO, FSU, Solidaires et les organisations de jeunesse, UNEF, UNL et FIDL. Ensemble, elles « en appellent solennellement au président de la République ».

Soulignant leur détermination à faire respecter la démocratie et à amplifier le mouvement, elles doivent se retrouver « rapidement pour assurer l'organisation et la réussite de ces mobilisations et initiatives ».