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DISCRIMINATION SYNDICALE

La victoire est belle

24 mars 2014 | Mise à jour le 13 février 2017
Par | Photo(s) : DR
La victoire est belle

L'entreprise Ratier à Figeac (Lot) a été condamnée à verser un million d'euros en dédommagement de faits de discrimination syndicale envers neuf militants CGT. Les 2 et 3 mars derniers, les 9, entourés de leurs amis, ont fêté et rendu publique cette victoire.

Le million ! C'est ce qu'il va en coûter à la direction de Ratier Figeac (aéronautique) pour avoir piétiné les droits des syndicalistes pendant des lustres. Quelle joie pour celles et ceux qui ont subi la discrimination si longtemps, pour tous les militants dont la carrière a été entravée en raison de leur engagement à la CGT, pour leurs familles dont les revenus étaient amputés.
Ils se sont battus pendant quinze ans afin d'obtenir gain de cause. À un moment, on n'y croyait plus. Et puis, ils ont gagné. Les indemnisations individuelles vont de 30 700 euros à 174 811 euros, auxquelles s'ajoutent 5 000 euros chacun pour préjudice moral. Un des salariés encore en activité percevra plus de 165 000 euros et une réévaluation de son salaire de 589 euros avec effet rétroactif depuis novembre 2013. La fédération CGT de la métallurgie recevra quant à elle 10 500 euros pour le préjudice moral…

Le droit et la méthode

Dimanche 2 mars, l'événement est fêté dignement dans un petit restaurant de la région. On sable le champagne. Venus spécialement de Paris, François Clerc, de la FTM CGT, (l'inventeur de la fameuse « méthode Clerc », pour mettre en lumière la réalité des discriminations), et Emmanuel Boussard-Verrechia, l'avocate qui a défendu le dossier au cours des dernières années, sont honorés comme il se doit. « C'est un très bel arrêt qui vient d'être rendu, explique l'avocate, la cour d'appel restitue ce qui a été volé. Il y a le préjudice moral, mais aussi d'autres dommages, ce qui n'a pas pu être dépensé par les familles pour les études des enfants, les loisirs… Et il y a aussi l'atteinte à la liberté d'ordre public. En plus, le jugement est exécutoire… »
Autour de la table, les militants de Ratier et leurs conjointes, mais aussi des amis comme Xavier Pétrachi, délégué syndical central CGT chez Airbus. Pourquoi la CGT Airbus ? Parce que les syndicalistes de la même filière industrielle échangent entre eux. Ils sont solidaires et, lorsqu'en 2008 Airbus verse 22 millions de dédommagements pour 330 dossiers déposés en discrimination, ce succès donne le courage nécessaire à la poursuite de la lutte.

La « méthode Clerc » ?

Jean-Claude Arfélix, de la CGT IBM, fait aussi partie des invités. Ancien syndicaliste discriminé, Jean-Claude est devenu lui aussi un des spécialistes de la méthode Clerc : « J'ai mis au point un petit logiciel qui permet d'élaborer les courbes de carrière et je le mets à disposition des camarades qui me le demandent », explique-t-il modestement.
Sur le principe, la méthode Clerc n'est pas plus compliquée que cela : on établit un panel de référence avec les carrières des salariés lambda et leur évolution salariale. On superpose cette courbe à celle des militants CGT et là, la discrimination saute aux yeux. Chez Ratier, dès qu'un salarié prend un mandat syndical, la courbe s'aplatit. Et le différentiel ne fait que s'accroître année après année. Inaugurée par François Clerc chez Peugeot dans les années 2000, la méthode a essaimé. Avec ses 1 000 salariés et ses 9 dossiers, Ratier Figeac n'a évidemment pas la dimension d'Airbus, mais proportionnellement la victoire y est plus importante. Avec l'arrêt de la cour d'appel d'Agen du 11 février 2014, c'est aussi la première fois que des tableaux comparatifs de carrière sont intégrés comme tel dans les conclusions.

Les clés d'un succès

« Nous étions un collectif soudé, seuls, nous n'aurions pas pu tenir. C'est pour permettre aux gens de militer dans le syndicat de leur choix que nous sommes allés en justice », affirme Alain Parussie – l'un des plus anciens des neuf – sourire aux lèvres. En effet, au cours des quinze années de procédure, chacun des syndicalistes y est allé d'environ 7 000 euros de sa poche en frais de justice. Mais personne ne le regrette car « au bout de quatorze ans de procédures, justice est enfin rendue et ça, c'est une victoire pour le droit syndical », tonne Jean-Claude Laborie, l'un des vétérans de cette lutte.
Christian Mouminoux, l'un des fers de lance du combat, resitue les éléments déclencheurs de cette longue marche vers la victoire : « Ce qui nous a fait réagir, c'est la survie du syndicat. Au début des années 2000, on s'est aperçu que tous les militants étaient visés par la discrimination, or beaucoup étaient proches de la retraite. Qu'allions-nous laisser derrière nous ? Être sacrifié pouvait être considéré comme normal auparavant. Mais après l'affaire Peugeot, on s'est rendu compte qu'on pouvait faire autrement. Et, en plus, cette posture ne vaut rien en termes de renforcement syndical. »

Justice est enfin rendue, une victoire pour le droit syndical

Comment tenir aussi longtemps sans perdre courage ? « En fait, dès que l'inspection du travail a constaté la discrimination avec la méthode des panels et qu'un premier jugement l'a confirmé, il n'était plus question de reculer. Nous sommes allés immédiatement déposer un pourvoi quand le tribunal d'Agen a donné un avis défavorable. » Le conseil de Christian : « Il ne faut pas laisser perdurer des situations ou essayer de les régler seul parce qu'il y a de nombreux pièges. Nous avons une structure, et c'est un travail collectif. Et, systématiquement, on s'aperçoit que, dès qu'un camarade est touché, ce n'est pas un cas isolé, mais c'est une politique générale de l'entreprise. »

Une lutte riche d'enseignements

Une telle affaire se heurte nécessairement à de nombreux obstacles technico-juridiques : « Il ne suffit pas d'un procès-verbal de l'inspection du travail. Beaucoup sont d'ailleurs classés sans suite. Il faut aussi que le syndicat se porte partie civile », explique encore Alain Parussie. « Avec la mise en place de l'individualisation des salaires, ou le développement des systèmes d'évaluation, on va produire des différenciations de traitements dont on peut se demander si la vocation n'est pas précisément de créer de la discrimination », s'interroge Jean-Claude Arfélix.
François Clerc analyse de son côté les objectifs de la discrimination : « En discriminant les militants CGT, le patronat cherche à affaiblir voire à éliminer l'organisation syndicale la plus armée pour la défense des salariés. Ces procédés visent au découragement et affectent gravement le renouvellement des forces vives. Combien de salariés ne franchissent pas le seuil de l'adhésion et de la prise de responsabilité par crainte de la répression. »

Savoir gagner

Le 3 mars, une conférence de presse était donnée par la CGT dans les locaux de la bourse du travail de Figeac. Malgré une invitation à partager ce moment de joie, Martin Malvy, président du conseil régional, n'était pas présent, de même que le maire de Figeac, qui était excusé. Au moment même de la conférence de presse, les services municipaux procédaient à de bruyantes opérations d'élagage… Qu'importe, en tout cas, rien ne saurait perturber la sérénité et l'excellente humeur des participants à cette initiative. C'est donc tout sourire que François Clerc indique qu'il est temps de passer à l'étape suivante, avec l'élaboration dans l'entreprise d'un observatoire de vérification et de contrôle de la gestion des militants. L'idée est de prévenir d'éventuelles nouvelles dérives discriminatoires. Au vu de la lourdeur des condamnations qui viennent de tomber, il s'agit aussi de « protéger les patrons contre eux-mêmes » et malgré eux…

Dernière minute / réaction de François Clerc

La direction émet la possibilité de se pourvoir en cassation. Prendront-ils le risque d'un quatrième échec devant la Cour de cassation ? Chiche  ! Ils semblent très mal conseillés.

Chronique de quinze ans de lutte

Action au pénal (1999-2009)

1999
La CGT Ratier Figeac intervient auprès de l'inspection du travail, qui mène une enquête sur la discrimination syndicale.

2000
Le procès-verbal dressé par l'inspecteur du travail confirme la discrimination envers huit militants CGT.

2002
Le procureur de la République engage des poursuites contre le PDG (M. Vitrat) et le DRH (M. Laporte)

2003
Le TGI de Cahors condamne l'employeur à des amendes et dommages et intérêts pour discriminations syndicales.

2004
La cour d'appel d'Agen relaxe les dirigeants de Ratier, mais la Cour de cassation donne raison aux huit et casse le jugement d'Agen.

2005
La cour d'appel de Bordeaux condamne les dirigeants de Ratier Figeac.

2006
Nouveau jugement en cassation favorable aux syndicalistes, nouveau renvoi en appel et nouvelle décision condamnant l'employeur.

2007
À nouveau, jugement en appel à Toulouse avec pour objet, cette fois, non pas l'existence de la discrimination, mais la durée sur laquelle doit se baser l'indemnisation du préjudice. Jugement favorable aux syndicalistes.

2008
La Cour de cassation confirme le jugement de Toulouse.

Action aux prud'hommes (2009-2013)

2009
L'affaire revient aux prud'hommes avec la réalisation d'une expertise.

2013
Au bout de presque cinq ans, le jugement est défavorable aux 9 syndicalistes.

2014 Épilogue

La cour d'appel d'Agen reconnaît la discrimination syndicale et ordonne la réparation intégrale du préjudice. Pour la première fois, les tableaux issus de la méthode Clerc (comparatif des courbes de carrière militants/non militants) sont reproduits in extenso dans les motivations d'un jugement.