L’action du patron tombe, allô !
Le conflit à Appel 24 vient de franchir une nouvelle étape. Les salariées y sont en effet en grève depuis le 16 mars pour des augmentations de salaire et contre des conditions de travail plus que déplorables. Car non seulement les professionnelles n'ont pas reçu la moindre réponse, mais, en plus, leur patron vient d'embaucher, en pleine grève. Et qui plus est, en CDI. Difficile de croire qu'il ne s'agirait pas de contourner la grève… Les salariées d'Appel 24 sont donc passées à la contre-offensive. Et quelle offensive ! Qu'on en juge.
LA RIPOSTE
Les grévistes, en effet, ont toutes ensemble décidé de… réintégrer leurs postes de travail. Mais avec en tête un plan d'action aux petits oignons : vendredi 24 avril, elles arrivent ensemble au bureau à 7 heures du matin. Les jeunes femmes s'enferment à clé sur le plateau d'appels et bloquent toutes les lignes téléphoniques pendant plusieurs heures. Au grand dam du patron, qui a trouvé porte close à son arrivée. Et de ses clients, cabinets médicaux ou laboratoires pharmaceutiques, pour lesquels elles assurent rendez-vous et plannings. Bis repetita, le lundi 27 avril, de l'opération blocage des appels et des emails.
Fou de rage, le patron fait illico appel à la police. Qui envoie quatre agents, censés convaincre les salariées de libérer les locaux : «Que la police intervienne ainsi dans un conflit du travail, c'est du jamais vu dans ma vie de militant», assure Jean-Louis Bétoux, le secrétaire de l'Union locale CGT d'Evry.
«COMME SI L'ENTREPRISE ÉTAIT UNE ZONE DE NON-DROIT»
Pour suivre et soutenir ce conflit de travail depuis son commencement, Jean-Louis n'en n'est pourtant plus à un exotisme près de la part de ce patron «qui ose tout». Non seulement un traitement particulier des grévistes, avec ce recrutement de CDI pour les remplacer et le refus de tout dialogue. Mais aussi un mépris de ces femmes au travail, mépris qui les a décidées à mener ce mouvement : pauses sanitaires déduites du salaire, interdiction de réchauffer les plats dans le réfectoire de l'entreprise, heures supplémentaires déclarées «solidaires».
Sans compter les deux réunions de médiation tentées par les services de l'inspection du travail que l'inénarrable patron a laissées sans suite. «Il se comporte comme si l'entreprise était une zone de non-droit, comme si nous, les salariées, n'avions aucun droit, comme si le droit de grève n'existait pas, comme si nous devions accepter l'inacceptable et même nous laisser traiter de « connes » par une de ses proches et tout ça, sans jamais nous plaindre sous peine d'être sanctionnées», s'exaspère la porte-parole des grévistes.
PATRON BOUTÉ… ET DÉBOUTÉ
Bientôt six semaines de grève, et toujours pas de réponse, donc, aux revendications des salariées. En revanche, il porte plainte, et les voilà convoquées au TGI pour «entrave à la liberté de travailler» – ça ne s'invente pas – lorsqu'elles ont interpellé les candidates au recrutement pour leur expliquer les raisons du piquet de grève. Bien évidemment, le plaignant a été débouté de sa demande sans fondement, tandis que, de son côté, la CGT a contre-attaqué pour entrave au droit de grève, travail de nuit au tarif de jour, non-paiement des heures de pause sanitaire et des heures supplémentaires dites «solidaires».
LA CARTE MOISIE DU POURRISSEMENT
«Jouer le pourrissement de la grève jusqu'à ce point, alors que les manquements à la législation du travail sont nombreux et plutôt graves, moi non plus je n'avais jamais rien vu de tel en 15 ans de services militants», commentait Eric Lesage (pôle Droits, libertés, actions juridiques-DLAJ de l'UD-CGT de l'Essonne) lors du rassemblement de soutien organisé par la CGT 91 et la fédération des sociétés d'étude (FSE)-CGT une semaine auparavant. Plusieurs élus PC de l'Essonne et du Val-de-Marne sont venus contribuer à la caisse de solidarité au soutien des grévistes; et presser l'employeur d'accepter la voie du dialogue et de la négociation.
EFFET BOOMERANG
Et de fait, une délégation composée d'une salariée, d'Eric Lesage et de Xavier Burot, le secrétaire de la FSE-CGT, a fini par être reçue par l'employeur. Seules avancées concédées : le droit de consommer des plats chauds – mais sans pour autant fournir l'équipement nécessaire – et la possibilité d'organiser des élections professionnelles. «Nous avons pointé de nouvelles infractions, comme le refus d'appliquer l'avenant centres d'appels de la convention collective; le non-paiement des heures supplémentaires effectuées; l'exigence d'une clause de dédit de formation (dans les contrats de travail, ndlr) alors que celle-ci est financée par le Pôle emploi; des ponctions sur les salaires sans justifier ces retenues…», énumère Xavier Burot.
L'inflexible patron est donc prévenu : faute de sortie par le haut de ce conflit, c'est en saisissant les tribunaux que la FSE-CGT et la CGT de l'Essonne rétabliront les salariées dans leurs droits. Fortes de cette première lutte, et dans la perspective des suites à donner à leur combat, les salariées, elles, ont toutes choisi d'adhérer à la CGT.