Le BHV Marais arrache un accord
Notre ministre de l'Économie doit s'en frotter les mains. Grâce à sa loi permettant de déroger au repos dominical, le BHV – célèbre enseigne du groupe Galeries Lafayette – entre dans la modernité sociale. Et pas à petits pas.
Situé au cœur d'un quartier déclaré zone touristique internationale par le truchement de la même loi Macron, le BHV de rue de Rivoli (Paris) peut théoriquement garder ses portes ouvertes tous les dimanches de l'année, jusqu'à plus soif.
À condition toutefois – modernité démocratique oblige – que ses salariés soient majoritairement d'accord et que, dans ce cas, les syndicats présents dans l'entreprise négocient en leur nom un accord définissant des conditions sociales spécifiques devant s'appliquer aux dimanches travaillés. Mais voilà, c'est bien connu, les salariés sont rétifs à la modernité. Consultés par référendum en novembre dernier, ils s'exprimaient majoritairement contre le travail dominical.
DROIT D'OPPOSITION
Qu'à cela ne tienne pour la direction du BHV qui, quelques mois plus loin et passait outre cette expression démocratique, et relançait les négociations. À la surprise générale, elle obtient la signature de deux syndicats : Sud-BHV – pourtant historiquement opposé au travail dominical – et CFE-CGC, qui représente les effectifs cadres.
Petit problème, ces deux syndicats ne cumulent que 37 % des voix aux élections professionnelles, loin derrière les deux syndicats majoritaires, la CGT (34 %) et la CFTC (30 %), toutes deux farouchement opposées à la création des zones touristiques internationales comme au travail le dimanche.
« Nous avons fait jouer notre droit d'opposition à cet accord, par principe et par souci de cohérence, mais en pure perte puisque la CFTC, elle, renonce s'y opposer alors qu'elle n'y est pourtant pas favorable », explique, désabusée, Florine Biais, déléguée syndicale centrale CGT du BHV.
BAISSE DES RÉMUNÉRATIONS
Mais jugeons sur pièce du contenu de cet accord. Il prévoit l'ouverture du magasin de Rivoli 52 dimanches par an, tous assortis d'une journée de repos compensateur.
Bien évidemment, nul ne sera contraint de travailler le dimanche, mais tous, et en particulier les plus précaires (les mi-temps, les temps partiels, etc.) y seront incités, notamment par les majorations de salaires. Celles-ci sont de 100 % supplémentaires pour les 16 premiers dimanches, et de 50 % pour les 36 restants. Quant à décrypter l'intérêt, pour les salariés volontaires, de cette dégressivité…
Habituer les travailleurs du dimanche à un futur et progressif « retour à la normalité » ?
C'est, sans ambiguïté, l'avis de Florine Biais : « Hélas, nous connaissons parfaitement la finalité de cet accord, elle est d'abaisser les rémunérations en “normalisant” le travail du dimanche.
Un seul exemple : alors que nous sommes dans la morosité totale depuis les attentats, la direction a déjà prévu d'augmenter les objectifs de ventes de sorte à abaisser mécaniquement la part variable du salaire et pousser ainsi les salariés à se rabattre sur le dimanche pour compenser les pertes. Bref, les contraintes actuellement majorées seront de moins en moins payées, et demain, plus du tout. »
ATTENDUE AU TOURNANT
Pas vaincue pour autant, la CGT-BHV attend sa direction au tournant. D'abord sur les bénéfices supplémentaires attendus de l'ouverture du magasin le dimanche. Pour avoir soumis la question à diverses expertises, l'US-Commerce CGT Paris a acquis la certitude que ces prétendus gains supplémentaires sont improbables ou, au mieux, qu'ils seront résorbés par les majorations de salaire.
Autre épine dans le pied de la direction, l'impact de l'ouverture du magasin le dimanche sur l'organisation du travail : livraisons, gestion technique du magasin, travail prolongé en horaires nocturnes, sociétés extérieures (vendeurs placés sur les devantures du magasin), modifications horaires ingérables pour une majorité de salariés. « Il va falloir qu'ils nous expliquent comment ils entendent gérer tout cela sans mettre en danger la rentabilité de l'activité », conclut, sibylline, Florine Biais.