
Souffrances au travail : un combat syndical
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Une femme sur dix souffre d'endométriose. 65% d’entre elles déclarent que leur maladie a des impacts négatifs sur leur travail.
« Ce qui m'arrangerait, c'est que vous démissionniez ». La réflexion de son ex-supérieur hiérarchique a marqué Marie-Rose Galiès, alors assistante de justice au sein d'un cabinet d'avocats à Paris, contrainte de se mettre en arrêt maladie plusieurs semaines à cause de son endométriose. La « super endogirl », comme elle se définit elle-même sur les réseaux sociaux, est aujourd'hui juriste dans un autre cabinet . Même si elle affirme désormais travailler dans une « safe place », elle confie avoir toujours peur. « J'ai l'impression d'être sur un siège éjectable ».
Arrêts-maladies répétés, interruptions fréquentes du travail pour aller aux toilettes, difficulté à se concentrer, à tenir les cadences à cause des douleurs qui plient littéralement en deux, risque d'isolement… L'endométriose, qui touche une femme sur dix, peut avoir des effets délétères sur la vie professionnelle de celles qui en souffrent. 65% d'entre elles déclarent que leur maladie a des impacts négatifs sur leur travail, selon une enquête de l'association EndoFrance en 2020. En dépit du fait qu'en 2022, le gouvernement de l'époque a lancé une stratégie de lutte contre l'endométriose, la pathologie reste relativement taboue et méconnue.
« Si le sujet est compliqué à aborder en entreprise, c'est parce que ça concerne le vagin de la femme. On se dit qu'on n'est pas assez légitime pour parler de nos douleurs, on n'est pas assez forte », témoigne Angèle Ingremeau qui après une première expérience professionnelle malheureuse, a préféré opter pour le statut d'indépendante. Une situation qui lui permet de cohabiter avec son « araignée dans le ventre », pour plagier le titre du livre de la journaliste Anne Steiger publié en 2018 aux éditions Autrement, où elle raconte son combat contre l'endométriose. Angèle Ingremeau, qui travaille sur les réseaux sociaux continue de militer pour la reconnaissance de la maladie et a écrit un livre intitulé « l'endométriose dans mon intimité ». Encore aujourd'hui, les femmes continuent à serrer des dents et à souffrir en silence plusieurs jours par mois, par crainte d'être stigmatisées et mises à l'écart. Angélina a 24 ans et travaille comme maîtresse d'école et éducatrice Montessori. « J'ai décidé de ne pas dire à ma direction que j'étais malade, je viens d'arriver, je ne veux pas prendre ce risque. » C'est également le cas de Léonore, 25 ans, infirmière, qui craint la réaction de ses supérieurs et de ses collègues : « au travail, je fais en sorte que Ça ne se voit pas ».
L'autrice de ces lignes a elle-même reçu un courriel de sa patronne, alors qu'elle faisait une saison l'été dernier dans la restauration rapide: « Si j'avais su que tu étais atteinte d'endométriose, je ne t'aurais jamais embauchée ». La majorité des femmes rencontrées témoignent d'un sentiment de honte. Honte d'être malade, de saigner, d'aller aux toilettes toutes les cinq minutes du fait des effets de la maladie. L'endométriose peut d'autant plus affecter la carrière des femmes que les symptômes les plus douloureux surviennent entre 20 et 35 ans, au moment où se construisent les carrières et où le désir de maternité se fait sentir. Or, la maladie affecte la fertilité des femmes, contraintes de faire une pause dans leur travail pour tenter de devenir mères.
Si l'endométriose est progressivement sortie de l'ombre grâce notamment aux témoignages de personnalités, sa prise en compte au travail reste embryonnaire. La proposition de loi visant à créer un congé menstruel de deux jours par mois a été rejetée par le Sénat le 15 février 2024. Reste l'aménagement du poste, le mi-temps thérapeutique, la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH). Le docteur Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail syndiqué CGT, explique : « Dans un premier temps, on tente l'aménagement du travail, si ça ne fonctionne pas, on propose la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) ». Quelques entreprises se sont emparées du sujet, se contentant le plus souvent d'accords modestes. Ainsi, L'Oréal a signé un accord en janvier 2023 visant à accorder trois jours d'absence par an aux salariées souffrant d'endométriose, sur présentation d'un justificatif médical. Le groupe Carrefour a aussi communiqué largement sur la mise en place de 12 jours d'absence médicale par an depuis juillet 2023, à condition que les salariées concernées attestent d'une RQTH. Céline Arnaud, déléguée nationale adjointe CGT chez Carrefour dénonce cette méthode : « Ces déclarations ne vont pas forcément aider les salariées souffrant d'endométriose. Même si c'est une évolution, la proposition d'avenant est discriminatoire et stigmatisante car elle force les femmes à demander une RQTH ». Raison pour laquelle le syndicat n’a pas signé l'avenant à l'accord sur l'égalité homme-femme. Pour la déléguée syndicale, une attestation médicale devrait amplement suffire pour obtenir ces jours de congés, sans passer par un parcours administratif long et fastidieux. Dans un secteur où les conditions de travail d'une population largement féminisée restent pénibles, « Carrefour fait une pub de sensibilisation sur la maladie, et derrière, il n'y a rien », conclut la militante de la CGT.
Plus globalement, la question de la santé des femmes, et en particulier au travail reste encore un sujet impensé. Selon Santé publique France, « bien que les femmes représentent 49 % de la population active, des disparités demeurent en termes d'emploi, de conditions de travail et de conséquences de travail sur la santé. Selon les données officielles, 11 % des femmes salariées sont concernées par une maladie en lien avec le travail ». L'étude révèle que « la souffrance psychique en lien avec le travail est deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes : 6 % contre 3 % ». Maryse Thaëron-Chopin, cheminote retraitée, militante à la CGT et présidente de la fédération « les comités féminins pour la prévention et le dépistage des cancers » dénonce l'androcentrisme de la société et de la médecine. « Tant que ça ne changera pas, les femmes seront mal soignées, mal prises en charge et leurs maladies professionnelles ignorées, voir niées ». Côté syndical toujours, le collectif Femme Mixité (CGT) travaille depuis plusieurs mois sur une plateforme pour la santé des femmes au travail, qui ne se limite pas aux pathologies liées au cycle menstruel. Parmi les revendications que porte la CGT : ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée, la fin des jours de carences, une campagne de dépistage. « C'est une maladie importante qui demande des droits, il faut prendre l'endométriose très au sérieux », évalue Fanny de Coster, membre du collectif.
Nina Breux Swysen

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