13 février 2024 | Mise à jour le 13 février 2024
Enseignante-chercheuse en études théâtrales, Bérénice Hamidi questionne la culture du viol, ainsi que le poids de nos représentations. Et revient sur les polémiques qui secouent le monde du cinéma.
Que vous a inspiré le soutien d'Emmanuel Macron au comédien Gérard Depardieu, accusé d'agressions sexuelles et de viols ?
Il y a en France un vernis de culture de l'égalité qui craque très vite quand il s'agit des droits des étrangers, des femmes et des enfants. Le président a dit qu'il était pour la liberté. Mais la liberté des dominants – les hommes blancs, hétérosexuels, de classe supérieure – d'écraser les autres. Cette parole est raccord avec son imaginaire jupitérien de toute-puissance, avec le fait qu'il y ait des vies qui ne comptent pas.
Des collectifs manifestaient contre l'impunité des agresseurs sexuels, le 11 janvier. La parole des victimes est-elle plus audible depuis #MeToo ?
Récemment, l'écrivaine Christine Angot estimait que la honte n'a pas changé de camp ; ce qui a changé, c'est que les victimes ne se sentent plus seules. Pendant très longtemps, elles étaient dans un silence absolu. Il y aura toujours des personnes qui refuseront de voir et de croire, mais les victimes qui parlent savent désormais que d'autres les écoutent.
Des comédiennes, notamment, osent enfin témoigner…
Ce qui m'a le plus bouleversée, c'est le témoignage d'Anouk Grinberg, qui a beaucoup fréquenté Depardieu sur les plateaux. Témoin impuissant, elle décrit ces stratégies d'humiliation collective. Mais quand on parle de main baladeuse, ce qu'a fait Depardieu en glissant sa main dans la culotte d'une jeune fille mineure, en droit, c'est une agression sexuelle. Quand on parle de viol, on a l'image d'un violeur sur un parking armé d'un couteau. C'est une image rassurante, car éloignée de nous. Mais, statistiquement, le violeur est souvent un proche de la victime : c'est un père, un copain, un entraîneur de sport… Et la solution de facilité, c'est de ne pas voir.
L'association MeTooMédia a accusé Emmanuel Macron de « valider la culture du viol ». De quoi s'agit-il ?
Il s'agit de normaliser et d'érotiser des formes de violence dans les relations sexuelles, notamment dans les productions culturelles. De Pénélope à La Belle au bois dormant, la femme est passive et attend. On retrouve encore aujourd'hui cette chosification des femmes, avec une érotisation du non-consentement. Les plateaux de théâtre et de cinéma sont des scènes de crime. Sharon Stone a expliqué qu'elle n'avait pas été informée de la scène torride qu'elle a tournée dans Basic Instinct. Ça s'est fait sans son consentement. La culture du viol est en nous et beaucoup rejettent cette discussion, car elle oblige à un examen de conscience.
Le spectacle que vous préparez questionne cette culture du viol…
Il s'agit d'un procès fictif – avec de vrais jurés, des magistrats, des expertes littéraires –, qui part d'une lettre ouverte de candidates adressée en 2017 au jury du concours de l'agrégation, pour savoir si elles seraient sanctionnées en qualifiant un poème du xviiie siècle, à l'étude, de scène de viol, alors qu'on leur enseignait que c'était une scène de séduction. C'est ce que j'appelle la « zone grise littéraire » : pourquoi érotise-t-on la violence dans les relations sexuelles ? Il faut questionner cet imaginaire, sinon, on n'avancera pas.
Article paru dans La Vie Ouvrière Ensemble n°22, février 2024