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FINANCE

L'Union bancaire européenne : ça semble technique mais c'est politique...

22 mai 2014 | Mise à jour le 2 mai 2017
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L'Union bancaire européenne : ça semble technique mais c'est politique...

A la veille des élections européennes et au lendemain du vote par le Parlement européen du dernier volet de l’Union Bancaire Européenne, Andréas Botsch, économiste et conseiller à la CES, en charge des questions de réglementation financière et de politique économique, revient sur les avancées et les faiblesses de ce nouveau dispositif. Censé protéger l’Europe des crises financières, comme celle de 2008 qui a ébranlé sérieusement le système bancaire européen et entraîné des politiques d’austérité sans précédent, c’est selon lui un premier pas…

 


nvo : Le 15 avril dernier, le Parlement européen votait à une large majorité les textes constituant le dernier volet de l’Union bancaire européenne qualifiée par certains de « pas historique dans l’intégration européenne ». Partagez-vous cet enthousiasme ?
Andréas Botsch : C’est un pas important dans l’intégration européenne. Il est historique car pour la première fois la surveillance des banques a été établie au niveau européen. Dès la chute de la banque Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, le gouvernement néerlandais proposait un fond de résolution commun à l’UE, convaincu que cette crise allait toucher toute l’Europe. Quelques semaines après – alors que les épargnants commençaient à avoir des doutes et à retirer leur argent – on prenait conscience que ça allait effectivement dérailler. La France, l’Autriche soutenaient cette proposition. Allemagne enjoignait chacun de balayer devant sa porte. Sauf que dans la maison commune de l’union monétaire, il n’y a pas 18 portes, mais bien une seule. C’étaient bien les Européens tous ensemble qui devaient balayer devant leur porte.

 

N’est-ce pas ce qu’ils essaient de faire avec l’Union bancaire européenne ?

Andréas Botsch : Oui. Surtout qu’entre-temps nous avons eu la crise de l’euro qui a sérieusement ébranlé le système bancaire, et face à laquelle, les États ont pris à leur charge la garantie des banques et les dettes privées accumulées par celles-ci. Jusqu’en 2008, la dette publique s’élevait en moyenne à 65% dans l’union monétaire. Elle en est à 95% aujourd’hui. Bien sûr, la récession est passée par là, mais c’est surtout du au fait que les gouvernements ont repris les dettes privées à leur compte pour sauver le système bancaire. Cela a déstabilisé les finances publiques et incité à la spéculation contre l’union monétaire avec les conséquences qu’on connaît : plans d'austérité, chômage, baisse des dépenses publiques et l’idée qu’on pourrait sortir de la crise en épargnant.

Mais si tout le monde fait des économies, on est dans une situation keynésienne classique : d’un côté, crise de liquidités et de l’autre, des actifs, du patrimoine, qui cherche désespérément à faire des rendements (assurances vies, fonds de pension). C'est à ce moment-là que l’UE, qui comptait 18 systèmes de surveillance de réglementation bancaire différents, a émis l’idée de mutualiser la surveillance, les risques bancaires et de forcer les banques européennes à mettre en place un fond de résolution abondé par celles-ci et auquel elles auraient recours en cas de crise.

 

Etait-ce si important de faire cela au niveau européen ?

Andréas Botsch : Oui. L’intégration financière est très avancée. Elle est 60 fois plus importante que l’intégration économique. Les banques sont liées au delà des frontières, le capital est mobile. Un clic d’ordinateur et il se met en mouvement virtuellement. Ce qu’on appelle l’interconnexion des banques entre-elles est une réalité. L’idéal serait même d’avoir un cadre commun au niveau mondial mais pour les questions plus détaillées et techniques c’est bien l’union économique et monétaire européenne qu’il fallait viser.

 

Quelle analyse faites-vous de l’Union bancaire européenne et des différents mécanismes sur lesquels elle s’appuie ?

Andréas Botsch : Les principes sont bons. C’est le cas de la surveillance des banques européennes par la BCE qui, rappelons-le, a fait des prêts colossaux aux banques privées. Au titre de créditeur principal, elle a toute légitimité pour vérifier les livres des banques. Elle a en plus le rôle de gardien de la stabilité.
Le droit d’intervention, c’est-à-dire le droit de renflouer ou de fermer une banque selon les difficultés qu’elle traverse, est une bonne chose également. Après 2008, les gouvernements des pays membres ont eu des réflexes nationalistes forts, convaincus qu’il fallait sauver leurs banques, comme s’il s’agissait de banques publiques. C’était : « on s’occupe de nos banques, que les autres s’occupent de leurs ». Cela n’a pas marché, entre autres à cause de fortes disparités : le système bancaire irlandais, par exemple, est beaucoup plus fragile que le système bancaire français ; le niveau de risque de certaines banques beaucoup plus engagées aux USA étaient bien supérieur à celui des petites banques régionales, locales, souvent concentrées sur des missions traditionnelles. C’est-à-dire prendre des dépôts, fournir des crédits aux ménages et aux entreprises, assurer les systèmes de paiement. Le reste c’est le monde virtuel de la finance.

 

L’Union Bancaire Européenne est-elle de nature à tempérer les engagements des banques dans la finance ?

Andréas Botsch : Le « single rule book », c’est-à-dire le manuel de réglementation unique suppose en effet une harmonisation de la réglementation bancaire pour la surveillance et les affaires courantes. Il y a, à ce niveau là, un transfert de souveraineté nationale au niveau européen. C’est là qu’on s’aperçoit que la transposition des règles de Bâle III au niveau européen est insuffisante. Nous avons commis l’erreur de laisser à la charge des banques l’évaluation de la qualité de leurs capital propre ; pis, Bâle ou la CDRD4 (la directive de réglementation sur les capitaux des banques) ne tiennent pas compte de la composition des portefeuilles bancaires. Il se peut donc que le montant du capital d’une banque semble suffisamment important mais qu’il se concentre sur un ou deux types d’actifs, l’immobilier, l’industrie automobile, etc. Or, si l’une de ces branches d’activité économique entrait en crise, le prix de ces actif s’effondrerait et le capital propre s'avérerait sur-évalué…

 

Les règles d’évaluation du capital des banques ne sont donc pas assez strictes ?

Andréas Botsch : Elles ne sont pas assez strictes tant au niveau quantitatif que qualitatif. De plus, c’est aux banques de définir le risque qu’elles ont pris ou sont prêtes à prendre. Elles auto-évaluent leurs risques à l'aide de modèles mathématiques sophistiqués que seuls les auteurs de modèles arrivent à comprendre. C'est pourquoi on a besoin de garde-fous plus puissants. L'auto-évaluation – l'idée que les banques savent le mieux ce qu'elles font – n’a pas changé depuis 2008 et c’est la grande faiblesse de cette nouvelle réglementation européenne.

 

Quelle analyse faites-vous du dernier volet de l’Union bancaire européenne qui prévoit la garantie de 100 000€ par épargnant ?

Andréas Botsch : Les petits épargnants devraient désormais être en sécurité. Auparavant, le minimum des sommes assurées se situait entre 10 et 20 000€ selon les pays. L’augmentation de ce minimum à 100000€ pour tous les Européens est une bonne chose. En outre, ce troisième volet prévoit une hiérarchisation des responsabilités convoquées en cas de crise, une cascade de sauvetages. Jusqu’à aujourd’hui, on a fait du « bail out », c’est-à-dire le sauvetage des banques par les États. Désormais, on parle de « bail in », c’est-à-dire que les actionnaires ou les propriétaires des banques seront les premiers appelés à contribuer au sauvetage de la banque concernée. Le bail-in suppose que les créanciers épongent les pertes alors que le bail-out fait appel aux contribuables. Les États ne seront amenés à intervenir qu’en tout dernier lieu. Enfin, la capacité du fond unique de résolution est insuffisant : dans huit ans, il atteindra 55 Mds€ alors que le volume du bilan d’une simple banque régionale est déjà d’environ 30 Mds€. Vous imaginez la goutte d’eau pour une grande banque dont le bilan peut être plusieurs fois supérieur au PIB national du pays où elle est implantée.
 

Au vu de ces éléments, l’Union Bancaire Européenne pourra-t-elle nous protéger contre une nouvelle crise financière ?

Andréas Botsch : Non. Nous avons établi de nouveaux principes pour faire face à une nouvelle crise éventuelle, mais nous ne ferons que limiter la casse tout au plus.

 

La BCE va voir ses prérogatives s'accroître avec ses nouvelles fonctions de superviseur, or elle a peu de comptes à rendre aux instances européennes élues…

Andréas Botsch : La BCE doit d’abord remplir son rôle établi par le traité européen : assurer la stabilité des prix, gérer la politique monétaire… Nous pensons, nous à la CES, que ses fonctions devraient être élargies pour garantir une politique monétaire favorisant l'emploi et la croissance. Ensuite, elle doit rendre des comptes au Parlement Européen.

C’est la raison pour laquelle on a besoin d’un parlement fort, légitime, et donc largement élu. D’où l’importance d’une forte participation aux élections européennes. Si un Parlement n’est élu qu’avec 30 ou 35% des voix on a tendance à le prendre moins au sérieux, considérant que les deux tiers des citoyens s’en désintéressent. Or, cette institution est devenue centrale, c’est la seule qui soit démocratique. Quatre fois par an, le président de la BCE doit rendre des comptes devant le Parlement européen. Plus, celui-ci sera souverain et plus il pourra se faire entendre.

 

La centralisation que suppose l’Union Bancaire Européenne ne risque-t-elle pas de créer un éloignement contre-productif ?

Andréas Botsch : Au contraire. Les États membres ont déjà abandonné l’élément le plus important de souveraineté nationale : celui de battre monnaie eux-mêmes. L’impression de la monnaie est déjà éloignée, on partage une même et seule monnaie. Mais cette union économique et monétaire a des défauts de construction parce que nous en sommes restés à la dimension monétaire, sans jamais la compléter par une vraie union économique.

 

N’aurait-il pas été plus pertinent d’associer les contrôleurs nationaux, qui connaissent le terrain et ont l’expertise, à cette nouvelle mission de la BCE ?

Andréas Botsch : Non. La preuve : en 2008 et 2009, l’idée qui prévalait était « chacun sa banque » ou plutôt, si vous me permettez, « chacun sa merde ». Le problème, c’est qu’ « on est tous dans la même merde ». C’est pourquoi s’appuyer sur une coopération renforcée des autorités de surveillance nationale ne suffirait pas pour intervenir en cas de crise ; ça ferait comme en 2008 où chaque État se sentait uniquement responsable de son système bancaire alors que, justement, ce système bancaire se fiche complètement des frontières nationales.

 

Pensez-vous que ce nouveau dispositif puisse remettre les flux financiers européens au service de l’économie réelle ?

Andréas Botsch : Ça reste à voir. L’important est que la confiance soit rétablie, car c’est sur elle que repose notre système monétaire et notre système capitaliste, qui n’est pas garanti par l’or ou d’autres biens généralement reconnus comme ayant de la valeur. Or, la finance est encore moins qu’un papier imprimé, ce n’est qu’un chiffre virtuel. Sans confiance, plus de flux de capitaux à travers les frontières ni au sein de l’économie. C’est dans cette mesure que l'Union bancaire européenne pourrait contribuer à remettre des flux financiers au service de l’économie réelle.

Mais si on regarde la réaction du gouvernement américain lors de la crise financière, on s’aperçoit que la réserve fédérale américaine est intervenue aussi massivement que la BCE pour renflouer les banques en crise, mais en échange le gouvernement américain a exigé d’avoir son mot à dire dans les affaires bancaires. C’est, selon moi, la principale raison pour laquelle la crise bancaire aux USA est pratiquement résolue, l’économie marche mieux, la confiance est revenue.

 

Il faut donc assortir les prêts de la BCE de contre-parties pour les banques. Pourquoi sommes-nous incapables de le faire en Europe ?

Andréas Botsch : Parce que nous devons nous mettre d’accord à 28 dans ce domaine, et au moins à 18 quand il s'agit de l'UEM…Aux USA, il y a un seul gouvernement fédéral.

 

L’Union Bancaire Européenne favoriserait-elle ce type de décision commune ?

Andréas Botsch : Oui. Notamment maintenant que nous savons comment une crise bancaire peut mettre un pays entier à genoux et nous envoyer dans le mur. Le cas de la Grèce est emblématique : contrairement à l’idée répandue, nous n’avons pas renfloué ce pays. Nous avons fait payer les Grecs pour résoudre nos problèmes bancaires chez nous, en France et en Allemagne. Nous n’avons pas « sauvés les pays en crise » comme nous aimons à le dire, mais plutôt fait payer les contribuables et les salariés de ces pays là pour renflouer les caisses de nos banques BNP Paribas, Société Générale, Deutsche Bank, Commerzbank, etc. Ce n’est pas l’Europe que veut la CES.

 

La CGT reproche à ce « bouclier anti-crise financière » une dimension trop technocratique et trop peu démocratique. Et vous ?

Andréas Botsch : Moi aussi, dans la mesure où la dimension institutionnelle n’est pas assez transparente, il n’y a pas de participation des élus, du parlement européen. Ce n’est qu’a posteriori que le conseil doit rendre des comptes au Parlement, une fois les décisions prises et appliquées. Il aurait fallu élargir ce conseil à des élus et à des représentants de la société civile. Je ne crois pas en revanche, à l’aspect technocratique. Lire un bilan bancaire est un exercice compliqué, technique, qui n’est pas à la porté du citoyen ou de l’élu européen lambda. Mais il y a toujours des choix politiques derrière la technique. Et c'est là où il nous faut plus de transparence et d'avantage de participation démocratique.

 

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