30 mars 2021 | Mise à jour le 30 mars 2021
Le dernier producteur français de nitrate d'ammonium ferme, victime d'une faillite organisée par sa direction. Et c'est aux salariés d'en subir et gérer les conséquences, pour éviter un scénario catastrophe de type AZF ou Beyrouth. En jeu, au-delà de la dangerosité du site : l'emploi et l'indépendance économique dans ce domaine.
« En ce moment, on parle beaucoup du “Produire français”, mais cela n'est manifestement pas valable pour tout le monde », déplore amèrement Grégory Deboutez, délégué syndical chez Maxam Tan, entreprise située à Mazingarbe, dans le Pas-de-Calais. La dernière usine de production en France de nitrate d'ammonium, très utilisé dans la composition d'engrais chimiques voire dans la fabrication d'explosifs, va en effet fermer. Placée en liquidation judiciaire depuis le 13 janvier dernier.
« Seveso seuil haut »
« On est en poursuite d'activités normalement jusqu'au 13 avril mais les liquidateurs vont demander une prolongation. Pourquoi ? Tout simplement pour vider les produits dangereux qui restent et faire place nette pour la fermeture. »
Plus que nécessaire alors que l'usine entre dans la catégorie des sites dits « Seveso seuil haut » en raison des énormes quantités d'ammoniaque liquide et d'acide nitrique nécessaire à la fabrication du nitrate d'ammonium. Produits rendus tristement célèbres après l'explosion d'AZF à Toulouse, en 2001, ou, plus récemment, lors de la déflagration qui a dévasté Beyrouth, la capitale libanaise.
Des salariés responsables malgré la perte de leur emploi
Une dangerosité extrême donc, dont les 72 salariés du site semblent encore les seuls à se préoccuper malgré la perte annoncée de leur emploi. « Le groupe à qui appartient l'usine est un fonds de pension américain, Rhône Capital, et la direction européenne est à Madrid. Or depuis un an, notre direction est inexistante », dénonce Grégory. « Ils ne veulent pas se déplacer. Nos discussions se font toujours par visioconférence et nous, on se retrouve tout seuls à faire ce que l'on peut avec ce que l'on a. » Quant au PSE annoncé, il se limite à « seulement 5 000 euros par personne ». « Injuste », pour Grégory.
« Les salariés sont complètement lâchés par Maxam qui, selon la Direccte, a organisé la faillite du site de Marzingarbe en prenant l'argent qui y était pour l'investir dans un autre pays », accuse Philippe Dutkiewitcz, membre de l'UD cgt du Pas-de-Calais, mais aussi adjoint au maire de la commune. « On joue sur leur conscience professionnelle pour qu'ils nettoient au mieux, mais la peur des élus, c'est qu'il y ait une fuite d'ammoniaque et qu'il devienne gazeux. »
Et pour cause : « Ça pourrait nous faire des dizaines de milliers de victimes et des morts sur Mazingarbe et les douze communes alentours ». Et l'élu de dénoncer le manque d'engagement des autorités publiques, régionales et nationales. « Ils se sont plus axés sur Bridgestone, à Béthune, qui est à 11 km d'ici et nos courriers sont restés sans réponses. C'est quand même un site Seveso ! » Sans oublier que, « après, on se retrouvera avec un site où l'on ne peut rien faire dessus pendant les 70 à 100 ans à venir parce qu'il est il hyper pollué ».
Questions d'indépendance économique et d'emploi
Le scénario d'un film catastrophe, si ce n'est d'horreur, à éviter. « Il nous reste 300 à 350 tonnes à vider sur les 1 000 qu'il y avait il y a un mois et demi », rassure Grégory Deboutez qui estime que « la procédure devrait se prolonger jusqu'à mi-mai ».
Après ? « On mettra les clés sur la porte et il faudra se fournir en nitrate d'ammonium à l'étranger. » Avec des dizaines de travailleurs et travailleuses qui seront à leur tour en recherche d'emploi. Pour eux, la lutte n'est donc pas finie.