Aux funérailles de Madeleine Riffaud, des chants et de l'émotion
Ce mercredi 20 novembre 2024 au cimetière du Montparnasse, se tenaient les funérailles de Madeleine Riffaud, décédée le 6 novembre dernier à l'âge de 100 ans. Dans un... Lire la suite
Qui pouvait s'empêcher, parmi la centaine de personnes réunies, ce 7 janvier à 15 hures, devant le 6, rue Appert, de se rejouer les scènes tant de fois racontées? Les frères Kouachi cherchant l’entrée de Charlie Hebdo, obligeant la dessinatrice Coco, mise en joue alors qu’elle faisait sa pause cigarette, à composer le code de la porte du journal, le massacre de l’agent de maintenance Frédéric Boisseau, puis des journalistes Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, de la psychanalyste Elsa Cayat, de l’économiste Bernard Maris, du correcteur Mustapha Ourrad, du policier Franck Brinsolaro, de Michel Renault, créateur du festival des Carnets de Voyage, à Clermont-Ferrand… Puis la sortie des terroristes, leurs rafales qui tuent Ahmed Merabet, un dernier policier, et les cris « On a tué Charlie Hebdo ! On a vengé le prophète ! »… Sans compter les images des survivants abîmés à jamais, la mort, en octobre dernier, de Simon Fieschi, l’ex-webmaster du journal… Dix ans après la tuerie, à l’appel des syndicats de journalistes, une petite foule se presse, malgré le froid, comme pour conjurer le sort, et rendre hommage aux douze vies fauchées ce matin du 7 janvier 2015.
Entre deux « minutes d’applaudissements » plutôt que de silence, les consœurs et confrères des journalistes de Charlie Hebdo font le point sur une décennie difficile pour la profession, au travers d’un texte commun à trois syndicats de journalistes : « Ce 7 janvier 2015, notre profession, comme la France entière, a été bouleversée. Malgré la douleur et la colère, une immense vague de solidarité est née. Je suis Charlie est devenu universel. La caricature ne faisait plus débat ni polémique. Dix ans plus tard, que reste-t-il de cette journée ? Les Je suis Charlie sont trop souvent prolongés par un « mais », limitant la liberté d’expression, pilier de notre démocratie », déplore Agnès Briançon, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ). « Le combat pour la liberté d’expression doit être mené tous les jours par nos crayons, nos stylos, nos caméras et nos claviers, car rien n’est acquis. Depuis dix ans, on ne compte plus les menaces contre les journalistes, les insultes, les procédures judiciaires qui se multiplient, dont de graves tentatives d’atteintes au secret des sources. Les réseaux sociaux sont devenus un terrain de jeu pour ceux qui menacent et manipulent l’information », poursuit Pablo Aiquel, secrétaire général du SNJ-CGT. Élise Decaen, secrétaire générale de la CFDT Journalistes, termine la lecture de ce texte écrit à six mains : « Nous devons garder notre liberté d’informer. Nous avons le devoir d’informer, de questionner, décrypter, confronter, donner à réfléchir. Il est important de rappeler que les dessinateurs de presse sont des journalistes, et qu’il n’existe pas de liberté de la presse sans salaire digne. Ces combats, nous ne pouvons pas les mener seuls. Il nous faut le soutien de ceux qui croient en une information libre et indépendante. »
Malgré l’énorme mobilisation du 11 janvier 2015, au lendemain des attentats, la décennie fut plutôt marquée par un déclin de la liberté d’expression, en France et à l’international. « C’était le premier massacre d’une rédaction pour l'empêcher d’informer. Mais depuis dix ans, des centaines de journalistes ont été tués », rappelle Dominique Pradalié, secrétaire générale de la Fédération internationale des journalistes. L’année 2024 détient un triste record avec 122 professionnels tombés en exercice, dont 77 % au Proche-Orient. A Gaza, 162 journalistes ont été tués par les frappes israéliennes depuis le début du conflit. « Les chefs d'État, qui ont pourtant défilé derrière les survivants, les familles des victimes et leurs syndicats, soutiennent aujourd’hui des lois liberticides. La loi sur le renseignement, adoptée six mois à peine après les attentats de Charlie, permet de nous géolocaliser, de nous fliquer », fustige l’ancienne rédactrice en chef d’Antenne 2, avant d’appeler la France à se positionner pour l’adoption d’une convention internationale qui permettrait de poursuivre les assassins et les commanditaires d’assassinats de journalistes.
Mais l’onde de choc des attentats de Charlie a dépassé, et de loin, le périmètre des professionnels du journalisme. Derrière les impertinents dessinateurs de presse, c’est toute la gauche qui était dans le viseur : « Charlie, c’est le journal qui, quelle que soit notre génération, a accompagné notre parcours militant. Charlie nous a fait souvent rire, nous a parfois énervés, toujours fait réagir ou réfléchir. Nous partageons les valeurs alors portées par le journal satirique : la liberté de ton et de pensée, la détermination dans la dénonciation des injustices, l’autodérision comme ressort de mobilisation », rappelle Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Charb dessinait d’ailleurs chaque mois pour Ensemble le mensuel de la CGT. « Par cet acte terroriste, l’islamisme intégriste s’est attaqué aux fondements de la République française, à la liberté de la presse et d’expression, à l’ordre républicain incarné par la police, à la diversité d’origine, de culte et la laïcité. Juive, musulmane, chrétienne ou athées, les victimes étaient à l’image de la France », ajoute Sophie Binet. Dix ans plus tard, l’heure n’est toujours pas à la victoire des idéaux portés par Charlie Hebdo, loin de là : « Nous avons du résister à la tentation sécuritaire et aux sirènes guerrières, à l’installation de gouvernements d’extrême droite, aux forces de l’argent qui s'accaparent les médias, à l’image d’Elon Musk ou de Vincent Bolloré, à résister contre l’intégrisme religieux qui continue de tuer en France et dans le monde. Dix ans plus tard, il est minuit moins le quart, et nous sommes dans un moment crucial qui doit permettre à celles et ceux qui résistent à l’intégrisme, l’antisémitisme et à l’extrême droite de se rassembler contre la haine de l’autre, pour les libertés, le vivre-ensemble et la solidarité », poursuit la secrétaire générale. « Ils veulent nous diviser, plus que jamais, restons unis », conclut-elle.
Des mots à la résonance particulière. Dans l’auditoire, s’est formée une ligne composée de députés Insoumis, ceints de leurs écharpes tricolores. « Il y a dix ans, j’ai été l’un des premiers élus à arriver sur place, car je travaillais tout près. Pour moi, Charlie, c’étaient les nôtres. C’est pour ça que c’est important pour moi de venir à cet hommage ici dix ans plus tard, avec toujours la volonté de défendre la liberté de la presse, de redire mon opposition fondamentale au terrorisme islamique tout en combattant les amalgames et la division », expose Eric Coquerel. Un peu plus loin, trois journalistes de Mediapart ont répondu présent : « Pour moi, c’était très important d’être là, même si nos journaux ont des sensibilités différentes. On est évidemment solidaires des victimes des attentats de Charlie, parmi lesquels j’avais un ami cher », avise Lucie Delaporte, représentante de la société des journalistes. Des présences remarquables, à l’heure où certains des représentants actuels de Charlie Hebdo n’ont pas de mots assez durs pour condamner les supposées faiblesses du journal créé par Edwy Plenel vis-à-vis de l’islamisme. Au terme des prises de parole, d’autres journalistes s’attardent malgré le froid. « Les attentats de Charlie, c’est un moment particulier où la profession a été touchée de plein fouet et où on a perçu à la fois le rôle majeur et la fragilité de la liberté d’informer. Pour autant, nous avons été les cibles de lois liberticides, sur la sécurité globale, notamment. En tant que journalistes économiques, nous sommes aussi très exposés par la loi sur le secret des affaires », confie Leïla de Comarmond, de la société des journalistes des Échos. Plus loin, Rémy Barroud, journaliste au Monde, souligne l’ironie de l’histoire : « C’est quand même marrant, vu l’engagement de Tignous dans Ras l’front, que le Pen ait choisit ce jour-là pour mourir ! » Et Sophie Binet de lui répondre : « Le Pen est mort, Charlie vit encore ! »
Ce mercredi 20 novembre 2024 au cimetière du Montparnasse, se tenaient les funérailles de Madeleine Riffaud, décédée le 6 novembre dernier à l'âge de 100 ans. Dans un... Lire la suite
Madeleine Riffaud nous a quittés hier, elle venait de fêter ses 100 ans. La Vie Ouvrière-Ensemble avait consacré dans son numéro d’octobre un article au troisième tome de... Lire la suite