24 mars 2025 | Mise à jour le 24 mars 2025
Alors que la pauvreté concerne aujourd'hui en France quelque 11 millions de citoyens, la CGT a souhaité s'interroger sur son action dans la lutte contre ce fléau. Le débat contradictoire et sans filtres du 18 mars avec des acteurs spécialistes de cette question a permis d'aboutir à ce constat partagé : la nécessité de sortir de la société libérale capitaliste et de sa gouvernance par les algorithmes.
Dans son allocution d'ouverture, Denis Gravouil (direction confédérale de la CGT) l'a admis d'emblée : «Il est particulièrement difficile d'intéresser le public aux questions de lutte contre la pauvreté ». Et ce, a-t-il souligné, alors qu'il y a 10 millions de pauvres recensés en France, parmi lesquels une proportion de plus en plus grande de travailleurs pauvres qui dorment dans leur voiture, de parents isolés et de retraités dont la pension se situe sous le seuil de pauvreté. D'où cette question posée en fil rouge aux participants à ce débat: « Pauvreté, sommes-nous à la hauteur du combat ? ». La réponse à cette question, qui ne fait pas mystère, aura toutefois permis de pointer les causes historiques, mais aussi les difficultés nouvelles posées à tous acteurs (syndicat, association, ONG, etc) engagés dans la lutte contre la pauvreté. « Tout individu porte en lui une valeur fondamentale et inaliénable qui fait sa dignité d'homme » a d'abord tenu à souligner la présidente d'ATD-Quart Monde, Marie-Aleth Grard. En lutte contre la pauvreté et l'exclusion depuis 1957, l'association qu'elle préside mène, depuis 2019, d'intenses recherches sur les dimensions cachées de la pauvreté. Il ressort de ces travaux menés dans six pays de l'Union européenne, en lien avec l'université d'Oxford et divers chercheurs universitaires, un facteur causal aggravateur de la pauvreté : la maltraitance institutionnelle. On parle là non plus seulement de questions d'argent, mais de choix de société effectués délibérément par les gouvernements successifs. On parle de politiques de lutte contre la pauvreté qui se sont muées en politiques de lutte contre les pauvres. On parle de conditions de survie insupportables, d'assignation ad vitam à la pauvreté. On parle de ce double abandon de l'Etat : celui des individus en situation de grande pauvreté, mais aussi de l'abandon des travailleurs sociaux censés les accompagner vers la réinsertion.
La maltraitance des deux côtés du guichet
Dans son rapport de janvier 2025 issu de ces travaux de recherche, ATD Quart Monde met l'accent sur la généralisation cette maltraitance institutionnelle, accélérée et intensifiée par le numérique, qui met « dos à dos les professionnels et les usagers des deux côtés du guichet », expliquait Christine Sovrano (représentante CGT au conseil national de lutte contre l'exclusion, CNLE ). « On se sent que dans le virage que prend notre société, nous devons tous nous remettre ensemble et travailler avec ces professionnels pour qu'ils puissent exercer correctement leur métier. Cela changera leur vie et celle des gens qu'ils doivent accompagner, conseiller et soutenir », prône Marie-Aleth Grard.
Comment imaginer qu'en démocratie, on exige des travailleurs sociaux qu'ils fassent plus de contrôle et de surveillance que de conseil et d'accompagnement ?
Boostée par le numérique et désormais par l'IA, la maltraitance institutionnelle se répand dans tous les domaines, tous les métiers où l'accueil au guichet a été remplacé par des boîtes vocales « tapez les touches 1, 2, 3,… » ; où le logiciel dicte ses actes à chaque agent désormais dépourvu de la moindre marge de manœuvre pour assister le chômeur, le précaire, l'allocataire, le bénéficiaire du RSA, etc. « Comment imaginer qu'en démocratie, on exige des travailleurs sociaux qu'ils fassent plus de contrôle et de surveillance que de conseil et d'accompagnement ? », interrogeait Marie-Aleth Grard.
Un enjeu syndical
Pour Christine Sovrano, le syndicalisme est évidemment concerné par le combat contre la pauvreté : « Parce que nous recensons de plus en plus de travailleurs pauvres et parce que nous sommes un syndicat de transformation sociale qui se doit de lutter contre la pauvreté et non contre les pauvres, comme le font ces politiques d'activation sociale qui renvoient chaque individu à la responsabilité de ses condition de vie ». En effet, comme démontré par l'économiste de l'OFCE, Guillaume Allègre, les gouvernements successifs ont défini des politiques partant du principe que l'emploi allait résoudre la pauvreté. A l'arrivée, elles ont créé des trappes à pauvreté pour les plus précaires où les individus ne sont même plus considérés comme des sujets mais comme des objets. « On leur dit où, pour qui et pour quel salaire ils doivent aller travailler », témoigne une participante, agent de France Travail passée par l'ANPE et Pôle-Emploi en dénonçant la responsabilité des politiques qui stigmatisent les plus pauvres et broient les individus rendus responsable de toutes leurs difficultés de vie alors que patronat et gouvernement ont délibérément choisi et imposé ce modèle de société libérale qui organise ainsi les choses. A ce titre, Cathy Cau de l'UCR-CGT (Union confédérale des retraités) a rappelé quelques chiffres clé: « Il y a aujourd'hui 60 % de retraités dont la pension est inférieure au SMIC ; parmi eux, 30 % vivant avec moins de 1000 euros par mois et 1,6 million qui ne se soignent plus ».
Sortir du piège de la pauvreté
Plusieurs revendications communes sont de longue date partagées par la CGT et ATD Quart Monde : augmenter les salaires et les pensions retraites, bien sûr. Mais aussi, redéfinir de nouvelles normes pour les minima sociaux. Remettre de l'humain dans les services et activités d'accompagnement ; porter sans relâche la bataille de l'exigence d'une meilleure redistribution des richesses et de la défense des services publics qui sont « le patrimoine de ceux qui n'en ont aucun ». Mais encore, poser des garde-fous à l'instrumentalisation du numérique pour que les technologies soient placées au service de l'humain et non de la seule « simplification administrative » qui induit la maltraitance à outrance. Enfin, cette ancienne idée qui n'a pas fini de phosphorer : sortir de la société capitaliste et libérale qui impose un modèle insoutenable.