Premier mai, fête d'espoir.

Nvo : Pourquoi êtes-vous devenu un Robin des bois de l'énergie ?

Robin des bois de l'énergie : En tant qu'agent technicien clientèle, vous recevez un bon d'intervention à suivre : une coupure d'énergie à effectuer, un chèque du client à obtenir. Il vous arrive d'intervenir dans des quartiers sensibles, où les familles sont tombées dans la précarité.

Je me suis retrouvé une fois face à une petite fille et son petit frère qui m'ont ouvert la porte. Leur famille était menacée d'une coupure ferme. Je suis humain : je n'ai pas coupé le courant. Ma hiérarchie m'a appelé, menacé de blâme et de sanctions. Ça passe au-dessus : votre côté humain ressort et trouve alors très difficile de prendre la décision de couper une famille. Si on coupe, les personnes vont utiliser des bougies. Il y a un risque d'incendie, de mortalité. À force de voir et revoir ces situations, vous les vivez mal. Le fait d'être dans mon syndicat me donne une certaine protection juridique au sein de l'entreprise. Cela me permet de m'exprimer un peu plus sur la coupure que je vais effectuer ou que je refuse.

« Si tu es tout électrique,
tu ne peux même plus appeler les pompiers au téléphone »

Pour éviter des sanctions aux agents qui refusent de couper ou rétablissent illégalement l'énergie, la CGT énergie a créé les Robins des bois. Comment intervenez-vous ?

Notre réseau nous prévient de la situation d'une famille dont on a coupé l'électricité ou le gaz. L'organisation syndicale demande aux Robins des bois d'intervenir. Nous pouvons prévenir l'usager ou passer à l'improviste. Nous intervenons après 17 heures, c'est-à-dire après les heures de service. Cela évite les confusions ou le pistage des agents. Je me présente en bleu de travail et j'explique que je suis un Robin des bois de l'énergie, une association clandestine qui vient en aide aux gens. À l'expression Robin des bois, les gens comprennent. On coupe les riches pour rendre le courant aux pauvres. Nous rassurons les gens mais sans créer de lien. Car si l'on découvre que le courant a été rétabli, lors de la relève des compteurs, par exemple, le fournisseur peut faire venir les inspecteurs des fraudes. Les usagers subissent alors une grosse pression pour dénoncer les personnes intervenues, menaçant de les attaquer pour rétablissement frauduleux. C'est pourquoi nous leur donnons une attestation siglée du syndicat CGT Énergie. Elle précise que les agents d'intervention viennent d'EDF ou ERDF. On n'envoie pas n'importe quel péquenot qui ne connaît rien à l'électricité. Seuls des agents habilités interviennent pour éviter les risques de court-circuit, les incendies, etc.

Que risquez-vous ?

Les agents risquent de comparaître en conseil disciplinaire, de recevoir un blâme. Si on se fait licencier on perd le statut IEG (Industries électriques et gazières). On peut aussi être poursuivi pour actes frauduleux avec une procédure pénale à la clé. Sur Bagneux, Jeff avait coupé un compteur puis rétabli le courant. ERDF a voulu le licencier puis porter plainte pénalement. On a organisé une mobilisation à la hauteur de l'enjeu. Il n'a pas été licencié, ni poursuivi. Il a même été muté avec une augmentation salariale ! C'est pourquoi les Robins des bois font appel à des agents qu'ils connaissent très bien, en dehors des heures de travail.

Mais il est vrai qu'il y a une chasse aux agents qui rétablissent le courant. Pour moi, c'est un acte de civisme. Quand une famille appelle l'association Droit à l'énergie, si aucune solution n'est trouvée entre la mairie, le fournisseur d'énergie et la famille, on envoie un Robin des bois le soir. Et là, quand tu es reçu avec les youyous et le couscous qui va bien, c'est le bonheur ! Et, en même temps, tu es conforté dans l'acte que tu réalises. Tu ne fais pas ça pour rien. Car aujourd'hui, quand tu n'as plus d'énergie, tu n'as plus de moyen de te chauffer, ton frigidaire ne marche plus. Si tu es tout électrique, tu ne peux même plus appeler les pompiers au téléphone. Mais les Robins des bois aident ponctuellement.

À chaque intervention, nous expliquons aussi aux familles qu'elles doivent payer leur dette. Pour cela, nous invitons l'usager à se rapprocher du fournisseur d'énergie, à demander des aides, à régulariser sa situation. Une fois engagée une procédure sociale, on ne peut plus être coupé. Notre but ? Obtenir de ne plus faire de coupure tout au long de l'année et créer une tranche gratuite en travaillant avec la CCAS des villes.

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