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DISCRIMINATIONS

Première condamnation d'un employeur pour « discrimination raciale et systémique » contre des travailleurs sans papiers

19 décembre 2019 | Mise à jour le 19 décembre 2019
Par | Photo(s) : Daniel Maunoury
Première condamnation d'un employeur pour « discrimination raciale et systémique » contre des travailleurs sans papiers

Grève en septembre 2016 des 25 salariés maliens, manœuvres dans la démolition pour la société MTBAT Immeubles suite à un accident du travail grave de l'un des leurs sur le chantier du 46 Avenue de Breteuil à Paris dans le 16ème arrondissement. Avec leur porte parole Mahamadou Diaby.

Le conseil des prud'hommes de Paris vient de reconnaitre et de condamner pour la première fois la « discrimination raciale et systémique » à l'encontre de 25 travailleurs sans papiers maliens employés dans le secteur du bâtiment. Assistées par la CGT Paris et le Défenseur des droits, les victimes obtiennent 34 000 euros de dommages et intérêts et sont rétablies dans leurs droits.  

C'est un jugement qui fera date. Ce 17 décembre, les prud'hommes de Paris ont retenu pour la première fois le préjudice de « discrimination raciale et systémique » dont 25 travailleurs maliens ont été les victimes en 2016. 

Petit rappel : ceux-ci ces 25 travaillaient à l'époque sur un chantier du bâtiment de l'avenue de Breteuil à Paris pour le compte de la société MT-BAT Immeubles, liquidée depuis. Non déclarés par l'employeur, en situation irrégulière, car sans titre de séjour, ils ont été exposés à des dangers multiples (amiante, plomb, installations non sécurisées…) sans la moindre protection adéquate, exploités dans des conditions indignes (sans jours de congé) et assignés à l'omerta sur leur situation irrégulière par leur employeur. 

Chute d'un échafaudage non règlementé

Ils sont sortis de l'ombre après deux accidents du travail successifs. Le deuxième était particulièrement grave : après sa chute d'un échafaudage insécurisé, l'un d'eux gisait au sol, ensanglanté et sans connaissance. Il aurait pu décéder des suites de cet accident si ses collègues n'avaient pas décidé de désobéir à l'employeur qui non seulement, ont-ils expliqué, refusait d'appeler les secours, mais les menaçait de les licencier sur le champ s'ils se hasardaient à faire intervenir les pompiers. Ce qu'ils ont pourtant fait.   

Après quoi, ils s'étaient tous mis en grève avec occupation du chantier de Breteuil, jusqu'à en être expulsés par l'employeur. 

La CGT de Paris, bien décidée à les soutenir et à soutenir leur combat, est alors intervenue à tous les niveaux, depuis le donneur d'ordre du chantier, la société Capron, jusqu'au maitre d'ouvrage, le groupement de mutualistes Covea, propriétaire de l'immeuble en chantier, pour obtenir d'abord leur régularisation, puis leur réembauche par Capron qui les emploie toujours aujourd'hui. 

L'histoire aurait pu s'arrêter là. Mais, face à la gravité des faits, la CGT avec ces travailleurs a décidé de pousser plus loin ce combat historique contre les discriminations au travail, notamment sur des critères d'origine.

Faire reconnaître l'existence d'une discrimination raciale et administrative du travail 

À l'appui d'un minutieux rapport de 300 pages de l'Inspection du Travail, et dès lors soutenue par les services du Défenseur des droits, la CGT Paris a décidé de porter l'affaire en justice.

En jeu : faire reconnaître et condamner l'existence, notamment dans le bâtiment (mais c'est aussi le cas, par exemple, dans le secteur du nettoyage) de pratiques de discrimination raciale et systémique. 

« Il faut entendre par là que de nombreux employeurs, souvent des sous-traitants, confient les tâches les plus dangereuses à des travailleurs en fonction de leur degré de vulnérabilité, en l'occurrence en fonction de leur situation administrative — avec ou sans titre de séjour — et en fonction de leur origine », explique Marilyne Poulain de la CGT Paris. 

Considérés comme des entités interchangeables et négligeables

Pour elle, dans le cas du chantier de l'avenue de Breteuil, c'est parce qu'ils étaient africains d'abord, puis parce qu'ils étaient en situation administrative irrégulière que ces 25 travailleurs maliens ont été traités comme de la chair à chantier par MT-Bat Immeubles. 

Une situation et des pratiques qui ne sont pas nouvelles — l'exploitation des plus vulnérables n'est pas une invention du 21e siècle — mais qui n'en demeurent pas moins intolérables pour la CGT. 

Et de fait, le CPH Paris a reconnu l'existence d'un « système organisé de domination raciste », où des travailleurs étaient cantonnés à des tâches dangereuses et placés en bas de l'échelle de l'organisation du travail, considérés « comme des entités interchangeables et négligeables », dixit le jugement. 

Une victoire juridique à l'issue d'un long combat syndical

À tous ces titres, le verdict du 17 décembre peut être vu comme une immense avancée dans la lutte contre les discriminations au travail et l'exploitation inhumaine des humains : « Reconnaître que MT Bat Immeubles a volontairement constitué une équipe de travailleurs sans papiers pour les cantonner aux tâches le plus pénibles et dangereuses à des fins économiques, voilà qui caractérise le concept de “discrimination systémique”. Une jurisprudence qui, à l'avenir, devrait aider d'autres travailleurs migrants à faire valoir leurs droits » s'est félicité Marilyne Poulain. 

Une victoire juridique de plus à porter au compte de la CGT, donc. Mais sans oublier qu'elle résulte d'un long combat collectif mené sans relâche par une organisation syndicale déterminée à abolir toutes les formes d'exploitation humaine et toutes les pratiques de discrimination.