Impôt mondial pour les multinationales
5 %. C’est le montant de l’impôt que, sous l’égide du G 20, 130 pays ont décidé d’appliquer aux multinationales. Pierre Coutaz, de l’espace international de la CGT,... Lire la suite
Deux ans après l'accident prévisible du Rana Plaza, qui avait fait 1 138 morts et plus de 2 000 blessés parmi les ouvriers – et surtout les ouvrières – du textile, à Dacca, au Bangladesh, le droit à la sécurité au travail a fait quelques premiers progrès dans le pays. Pas suffisants cependant, estiment les organisations syndicales. En France, la responsabilité des entreprises donneuses d'ordre vis-à-vis des pratiques de leurs sous-traitants commence peu à peu à se voir enfin reconnue. Des dossiers toujours brûlants, alors que l'ONG Sherpa vient de déposer plainte contre la filiale du groupe français de construction Vinci, Vinci Construction, et les dirigeants de sa filiale au Qatar, QDVC, pour «travail forcé» des travailleurs migrants sur les chantiers du Mondial 2022, accusation réfutée par le groupe. Et alors qu'une usine de ciment, où se trouvaient quelque 150 personnes, s'est effondrée à son tour le 12 mars dernier à Mongla, au sud-est de la capitale bangladaise…
Invité par l'Association des journalistes de l'information sociale (AJIS), Gilbert Houngbo, directeur général adjoint de l'Organisation internationale du travail (OIT) en charge des opérations de terrain et des partenariats, a eu l'occasion, mardi 7 avril, de revenir sur les premiers acquis des salariés au Bangladesh depuis la catastrophe du Rana Plaza le 24 avril 2013 et sur les défis qui restent à relever.
L'indemnisation des victimes a constitué l'une des urgences. En jeu, les soins ou la formation des survivants, dont nombre sont maintenant handicapés, à de nouveaux métiers… L'OIT a piloté le fonds d'indemnisation créé fin 2013. Mais la collecte s'est avérée plus longue et difficile que ce à quoi les victimes auraient pu s'attendre après une pareille tragédie. Un certain nombre de marques ont même refusé de participer au fonds.
Mais c'est surtout sur la sécurité au travail et le droit syndical qu'a tenu à revenir Gilbert Houngbo. La sécurité suppose d'abord le respect du code de la construction. Et donc les moyens de le contrôler. Deux structures avaient été créées à l'issue du drame, grâce en particulier à l'investissement des syndicats bangladais, mais aussi des organisations syndicales internationales IndustriAll et Uni Global: l'«Accord» a ainsi regroupé un peu plus de 150 marques et distributeurs internationaux et l'«Alliance» 24 distributeurs nord-américains. Les deux organisations syndicales ont notamment négocié l'engagement des marques et distributeurs dans l'amélioration des conditions de sécurité de plusieurs centaines d'ateliers et fabriques où travaillent des milliers de salariés.
Gilbert Houngbo se félicite des milliers d'inspections d'usines qui ont permis des réparations majeures dans certaines, tandis que 5% ont dû fermer pour éviter de nouveaux accidents. Le nombre d'inspecteurs, souligne-t-il, est pourtant très faible: en deux ans, il est passé d'une soixantaine à environ 200 pour un pays de plus de 150 millions d'habitants.
Ces dernières années ont vu aussi certaines avancées quant au droit syndical, notamment la possibilité de créer des syndicats dans les entreprises et de négocier. Mais des textes à la réalité, le fossé demeure…
En dépit d'un certain engagement de l'État, il ne semble pas toujours simple d'imposer des normes dans un pays où le textile représente 80% des exportations, et qui craint la concurrence de pays voisins pratiquant le moins-disant social et environnemental.
C'est en tout cas dans ce contexte qu'en France, les députés ont adopté en première lecture, le 30 mars, une proposition de loi qui vise à contraindre les entreprises multinationales à prévenir les atteintes aux droits humains et à l'environnement de leurs sous-traitants étrangers. Souhaité par les ONG et les organisations syndicales, le texte a été combattu et vivement critiqué par le patronat, dans une économie mondialisée où la meilleure concurrence nationale et internationale fait figure de critère prioritaire. Et Pierre Gattaz a évoqué de nouvelles contraintes face à la concurrence.
Le texte prévoit pour certaines entreprises de mettre en place un «plan de vigilance» avec notamment une véritable prévention des risques, et des sanctions – financières – en cas de défaut. En fait, cette obligation ne concernera que les sociétés à partir de 5 000 salariés en France, ou à partir de 10 000 salariés en France et à l'international. Ce premier pas est donc décisif, mais avec un effet de seuil qui en réduit d'emblée la portée. D'autant, comme le note la CGT, que la charge de la preuve appartient aux victimes, censées prouver le dommage et la responsabilité de l'entreprise, ce qui est souvent extrêmement difficile.
Pour autant, selon Dominique Potier, rapporteur (PS) du texte, celui-ci s'inscrit dans un «mouvement de régulation de la mondialisation», après d'autres textes concernant les paradis fiscaux ou les travailleurs détachés. «Malgré certaines faiblesses qui persistent, nos organisations se réjouissent de l'avancée significative que représente ce vote pour la protection des droits humains. […] Après des années de mobilisation de la société civile en France comme à l'international, les grandes entreprises françaises pourront enfin être reconnues légalement responsables des violations de droits humains et dommages environnementaux que peuvent provoquer leurs activités ainsi que celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs à l'étranger, et auront à en répondre le cas échéant», écrivent dans un communiqué commun la CGT, Amnesty International, Peuples solidaires, le CCFD-Terre solidaire, Les amis de la terre, Éthique sur l'étiquette, Sherpa, le Forum citoyen et la Fondation Nicolas Hulot.
Ensemble, consommateurs et salariés, tous citoyens, avaient contribué à peser sur les marques pour qu'elles prennent leurs responsabilités au Bangladesh. Ensemble, plusieurs de leurs organisations viennent de marquer un nouveau point.
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