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Le comédien Philippe Durand (La Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national) met en scène les témoignages oraux des salariés de Fralib, qui racontent la fabrication des thés et leurs 1336 jours de lutte de la fermeture du site de Géménos par Unilever à leur victoire qui a précédé la création de leur Scop, au théâtre de Belleville.
Deux tables sont posées sur la scène. Sur la première, des boîtes de thé. Celles de la Scop 1336, créée par les anciens salariés de Fralib, qui après 1336 jours de lutte contre la multinationale Unilever, ont réussi à empêcher la fermeture de leur usine de Géménos, près de Marseille. Derrière l'autre table, l'acteur Philippe Durand. Il est allé à la rencontre des ouvrières et des ouvriers, à l'issue de ce combat, peu de temps avant le lancement de leur marque, et recueilli leurs témoignages. Il s'en fait, sur scène, le passeur.
« L'idée de ce projet est venue de la lecture d'un essai de Pierre Rosavallon, Le Parlement des invisibles, dans lequel il décrit le contexte de crise de la représentation, de crise de compréhension de la société, et parle d'un besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées », explique Philippe Dirand dans sa note d'intention. « Il s'agit dans cet essai de se réapproprier son existence, de revaloriser nos vies, sortir de l'isolement », commente le comédien, pour qui « l'aventure des Fralibs [me] semblait être un bel exemple d'appropriation ».
Qu'on se souvienne : en 1975, la marque Elephant, créée à Marseille au début du siècle, est rachetée par le groupe Unilever. Deux ans plus tard, elle est intégrée à sa filiale Fralib, qui gère aussi une unité de production au Havre. En 1998, l'usine du Havre ferme et certains ouvriers quittent leur terre pour se retrouver à Marseille, condition du maintien de leur emploi. En septembre 2010, le directeur de l'usine la ferme. Dès lors, durant 1336 jours, les ouvriers et ouvrières n'auront de cesse de défendre le site, les savoir-faire, l'emploi, en dépit des difficultés financières, de quatre procès et d'une armada de juristes auprès de la multinationale… En dépit du temps, dont jouissent ceux qui possèdent la richesse et l'argent, mais pas les ouvriers, pourtant tenaces dans leur dignité et déterminés pour leur avenir et celui de leurs enfants, comme le soulignera l'un des Fralibs. Le 26 mai 2014, la signature de l'accord de fin de conflit permet à ces salariés en lutte depuis quatre ans d'envisager l'avenir. Ensemble. Ce sera la Scop.
Avec un immense respect, Philippe Durand laisse parler ces ouvrières et ces ouvriers. Ce qui se dit sur scène, ce sont leurs paroles, qu'il ne s'est pas permis de réécrire. Son rôle a été d'écouter, d'enregistrer, et d'organiser le récit de cette longue lutte à travers les mots des salariés, revendiquant l'oralité, les éventuelles erreurs de syntaxe, et l'accent marseillais.
Il laisse d'abord s'exprimer la fierté du métier et du travail bien fait, qu'il a fallu apprendre. « On avait quand même cent soixante-deux références différentes (…) y m'a fallu bien deux ans, mais vraiment être à l'aise, hein, c'est-à-dire à l'odeur au bruit au machin au couinement, te dire y'a un défaut là, y'a un défaut là (…) Savoir que tu es une des seize personnes au monde capables de sortir un produit comme ça ». Et puis le dégoût de changer pour passer aux arômes chimiques en leurrant les consommateurs sur la qualité et le prix des produits. Viennent aussi la rencontre entre Marseillais et Havrais, avec sa part d'humour, le travail du CE, jusqu'à l'annonce de la fermeture, et la façon dont s'est comporté le dernier directeur.
Avec humour, et aussi la fierté de la lutte, d'autres racontent, toujours par la voix de l'acteur, leur première carte à la CGT. Et la préservation des machines et de l'outil de production. « On considérait que notre outil de travail nous appartenait qu'ils sortiraient pas un boulon d'ici — et il est pas sorti un boulon d'ici — on considérait qu'on avait les compétences qu'on avait un savoir-faire qui était incontournable que y compris on pouvait revenir aux produits naturels ».
Se succèdent les paroles de femmes, l'une entrée dans l'usine à seize ans, quand « au début on était que des femmes », d'hommes, venus d'autres métiers puis fiers de celui-ci, de responsables CGT, Olivier et Gérard, que les salariés de la Scop éliront plus tard directeur délégué et président.
Philippe Durand donne voix à ces quatre ans où la lutte a dû s'inventer, entre la garde de l'usine contre les risques de déménagement, et le boycott des produits Unilever, les caddies qui se remplissent des produits Unilever en vrac au supermarché du coin, laissés en vrac avant la caisse, la solidarité des voisins et voisines, celles des familles tandis que d'autres ne comprennent pas le refus d'une prime de licenciement qui aurait à peine permis de vivre trois ans…
Les caméras au réveil sur le parking de l'entreprise où les salariés apprennent à vivre ensemble, la découverte des procédures juridiques, l'aide de l'avocat, la venue des candidats aux élections. « Bon, c'est clair qu'y pas le Front national qui est venu, hein, ni l'UMP. Le Front national, y serait même pas rentré, mais bon — tous les politiques. On les mettait en réunion dans une salle pendant une heure et on discutait de notre projet. On leur demandait comment y pouvaient se positionner et comment y z’allaient pouvoir nous aider là-dedans ! Donc Hollande il a quand même pris des engagements avec nous et après on l'a pas lâché quoi. On y a mis un petit caillou dans la chaussure et y s'en est plus dépégué ».
Et ils gagnent. Plus le droit de dénigrer Unilever ? Certains se contentent d'évoquer Univoleur. Et ils créent leur scop. « Ben oui, c'est moi le directeur, ça s'appelle un traquenard ». Pas facile. D'autant que, si toutes les décisions se prennent en commun, « t'imagines, on est tous au même niveau, quoi », certains en attendent davantage que d'autres du « collectif ». Et il s'agit aussi de trouver des commandes, de vendre.
« Même si on n'avait pas gagné, j'aurais eu raison de me battre ! Mais non seulement j'aurais eu raison, mais en plus j'ai gagné ! » Ce n'est pas la morale d'une fable. Mais celle de quatre années de lutte d'ouvriers contre une multinationale.
Philippe Durand ne se contente pas d'avoir tissé un récit théâtral de ces rencontres. Il déploie aussi la solidarité. À la fin du spectacle, il vend la production. Des thés, des vrais. De la marque 1336.
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