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HISTOIRE

Quel regard français sur la colonisation ?

6 mars 2021 | Mise à jour le 5 mars 2021
Par | Photo(s) : Salomon Assus/Éditions Cercle d’Art
Quel regard français sur la colonisation ?

Salomon Assus, carte postale, vers 1900 in « Quand les civilisateurs croquaient les indigènes » Éditions Cercle d’Art, Paris, 2020

L'historien Benjamin Stora a rendu le 20 janvier au président de la République son rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie. Entendre la diversité des « mémoires », proposer des actes symboliques peuvent-ils se substituer à la reconnaissance par l'Histoire du crime colonial ?

«La colonisation fait partie de l'Histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé, que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ». En répondant ainsi à un journaliste d'une télévision algérienne, Echorouk TV, le 15 février 2017 à l'occasion d'un déplacement en Algérie, Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, présente un discours en rupture avec un déni officiel durable des dirigeants français. à droite, François Fillon dénonce alors ce qu'il qualifie de « détestation de notre Histoire », et Gérald Darmanin s'étouffe d'un « Honte à Emmanuel Macron, qui insulte la France à l'étranger ! ».

Trois ans plus tard, le 24 juillet 2020, Emmanuel Macron devenu président de la République confie à l'historien Benjamin Stora, reconnu comme l'un des principaux spécialistes français de cette période, une mission censée permettre de « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie, ainsi que du regard porté sur ces enjeux de part et d'autre de la Méditerranée », pour favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien ».

Caricatures des indigènes : un imaginaire colonial envahissant illustré dans un livre

Le 20 janvier 2021, Benjamin Stora a remis à l'Élysée son rapport et ses propositions. Les coïncidences de calendrier sont parfois signifiantes : la même semaine, l'exécutif a fait valider une « Charte des principes pour l'islam de France » et l'Assemblée nationale a entamé l'examen du projet de loi contre le « séparatisme », requalifié en projet de loi « confortant le respect des principes de la République ».

Des propositions de gestes symboliques

Dans son rapport de 160 pages intitulé Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie, Benjamin Stora détaille ce qu'il considère comme les mémoires de « plusieurs groupes de personnes traumatisées (soldats, officiers, immigrés, harkis, pieds-noirs, Algériens nationalistes) » et leur cheminement. Il cerne la chronologie du discours et de l'action officielle de la France sur le sujet.

Quant aux propositions qu'il formule, indiquant qu'il s'agit « d'ouvrir des possibilités de passerelles sur des sujets toujours sensibles, mais permettant d'avancer, de faire des pas », elles consistent en une série d'actes symboliques de la part de la France (mise en place d'une commission « Mémoires et vérité », commémorations, restitution de restes humains de combattants à l'Algérie, reconnaissance de l'assassinat d'Ali Boumendjel…) mais aussi, et l'on s'en étonnera dès lors qu'il s'agit d'un rapport remis à l'Elysée, de la part de l'Algérie.

Reconnaître et faire connaître le crime de Charonne

Mémoire, histoire, et politique

La focalisation sur les questions mémorielles pose problème en elle-même. D'abord, pour reprendre le terme de l'historienne Sylvie Thénault, du fait d'une « assignation » des mémoires à des groupes supposés homogènes. Ensuite, parce que l'enjeu ne saurait se résumer à l'expression de la diversité de ces mémoires et des traumatismes et à leur « réconciliation », sans qu'en soit soulignée la responsabilité première – celle de l'acharnement colonial – et sans que cette histoire elle-même ne soit d'abord reconnue, comme on ne saurait tourner une page avant de l'avoir lue.

On pourra lire à ce sujet : Papa, qu'as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial, Raphaëlle Branche, La Découverte, 2020. 25 €. Version numérique : 16,99 €.

L'histoire, c'est celle de la conquête coloniale et de ses crimes. Celle de la colonisation, et donc d'un système politique d'appropriation d'un territoire et de ses richesses, d'exploitation d'un peuple exclu de la citoyenneté, au prétexte d'une mission civilisatrice niant le droit à l'égalité. Puis, l'histoire d'années de guerre, contre le droit à l'autodétermination et la lutte pour l'indépendance de ce peuple, guerre où a été envoyée toute une génération de jeunes appelés. Puis, l'histoire des essais nucléaires au Sahara. Enfin, commente l'historienne Malika Rahal, « il me semble erroné de vouloir, dans le même mouvement, réparer la société française pour lui permettre de trouver un consensus sur le passé colonial et, d'un autre côté, améliorer les relations diplomatiques avec l'Algérie. Ce sont deux problèmes distincts qui ne peuvent pas être traités dans un même rapport. »

Retards français

Benjamin Stora ne prône ni excuses, ni repentance. Et Emmanuel Macron, président, n'en veut pas non plus. De fait, les crimes coloniaux et le crime de la colonisation elle-même sont-ils excusables ? Et la repentance, telle la confession d'un péché, peut-elle se substituer à la justice face à l'imprescriptibilité du crime ? Pourtant, il n'est guère davantage question de justice. Lorsqu'en mars 1962, le cessez-le-feu est enfin décidé, il s'accompagne, en France, d'un décret d'amnistie qui garantit l'impunité pour les « faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre dirigées contre l'insurrection algérienne ».

Il faut attendre 1999 et Lionel Jospin, pour que ces « opérations de maintien de l'ordre », ces « événements d'Algérie », soient officiellement nommés « guerre ». C'est la détermination de militants qui amènera en 2001 Bertrand Delanoë à déposer une plaque le 17 octobre 2001 sur le pont Saint-Michel. Les années 2000 sont celles d'une prise de conscience. On le doit non seulement au travail d'historiens mais aussi à la publication dans Le Monde des témoignages de la militante algérienne Louisette Ighilahriz, victime de torture et de viol, sous les ordres du général Massu, ou de la jeune Kheira, violée par des militaires français, témoignages recueillis par Florence Beaugé. Viendront d'autres récits, ceux de soldats témoins de la torture.

Il « revient à la France, eu égard à ses responsabilités, de condamner la torture qui a été entreprise en son nom durant la guerre d'Algérie » plaident la même année dans L'Humanité douze personnalités parmi lesquels Henri Alleg, le mathématicien Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet ou Gisèle Halimi…

Une commémoration nécessaire

Jacques Chirac sera le premier président français à se rendre en Algérie indépendante, en mars 2003. La question d'un pacte d'amitié est évoquée. Le projet n'aboutit pas. En 2002, l'extrêmedroite était au second tour de l'élection présidentielle ; Jacques Chirac, pour s'assurer de la suite, aura-t-il voulu donner des gages à la frange « nostalgérique » de son électorat ? C'est en 2005 en tout cas, qu'est adoptée une loi dont l'article 4 dispose que « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord […] », suscitant une vive protestation, en particulier venant d'historiens. L'alinéa est finalement abrogé en 2006.

À son tour, Nicolas Sarkozy, l'inventeur du ministère de l'Identité nationale, plaidera contre toute forme de repentance. Une formule chère, par ailleurs, à l'extrême droite. Mais c'est à Jean Castex, Premier ministre du président Macron, que l'on doit cette diatribe : « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore ! », alors qu'invité le 1er novembre, quelques jours après l'assassinat de Samuel Paty, au journal de 20 heures de TF1, il dénonce « les justifications à cet islamisme radical » et appelle au « combat idéologique » pour gagner la « guerre ». Comme si la reconnaissance par l'Histoire servait la cause des terroristes, et non l'inverse.

Ni les relations entre la France et l'Algérie, ni les relations au sein de la société française ne peuvent se déployer sur le déni. La société française n'a-t-elle pas besoin de connaître toutes les parts de son Histoire, d'en partager les enseignements et qu'une véritable lutte contre les inégalités, les discriminations, le racisme, les relégations… s'accompagne enfin de ce partage éclairé ?

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