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NUCLÉAIRE

Réacteur nucléaire : la santé publique en danger

26 juin 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
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Réacteur nucléaire : la santé publique en danger

Fermera ? Fermera pas ? C’est l’angoisse des employés des réacteurs OSIRIS et ORPHEE du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Mais cette fois, ce n’est pas la question des emplois, ni des conditions de travail qui inquiète à Saclay, mais une question bien plus grave encore.

Plusieurs salariés des réacteurs nucléaires OSIRIS et ORPHEE veulent sonner l’alarme. En cas de pénurie de Technétium 99m—un élément chimique produit par le réacteur—ce sont environ 1 350 000 diagnostiques de cancer qui seront menacés chaque année.

Réacteur nucléaire : la santé publique en danger par Guillaume Desjardins

 

Une grève touche donc deux sites du CEA de Saclay depuis lundi. Pour les grévistes, leurs réacteurs ne sont pas trop vieux, ils doivent continuer à opérer. Plus qu’un soucis d'emploi, c’est un problème majeur de santé publique qu’ils soulèvent.

« Ce qui nous préoccupe le plus, c’est le problème de santé publique. » explique Pascal Saint-Etienne, membre du comité d’entreprise CGT de CEA-Saclay, « Entre 2016 et 2018, si on a des proches qui voudraient se faire dépister des cancers, ils vont avoir beaucoup de problèmes pour trouver le matériel nécessaire. »

En effet, le réacteur OSIRIS n’est pas un réacteur de production électrique. Il s’agit en fait d’un réacteur nucléaire expérimental. Son rôle est de permettre aux scientifiques du monde entier de venir étudier la physique nucléaire, en piscine ouverte, afin d’améliorer la compréhension et ainsi perfectionner les réacteurs.

LE TECHNÉTIUM 99M PERMET DE DIAGNOSTIQUER DES CANCERS

Au cours du processus, OSIRIS permet aussi de produire, et donc de vendre, un élément chimique bien particulier, le Molybdène 99. Ce Molybdène, instable, se transforme naturellement en quelques heures en un autre élément qui intéresse beaucoup la médecine : le Technétium 99m. Utilisé en imagerie médicale, notamment pour les scintigraphies, le Technétium permet alors de diagnostiquer des cancers et plusieurs autres pathologies.

UN RISQUE DE PÉNURIE

En cas de fermeture du site de Saclay, les experts craignent une pénurie de cet élément dans les hôpitaux du monde entier. Si d’autre examens sont en théorie substituables aux scintigraphies pour certaines pathologies, un rapport de l’Académie de Médecine prévoit que, dans la plupart des cas, le surcoût des équipements à acheter—le chiffre de 150 millions d’euros est évoqué—rendrait la substitution irréaliste. De plus, ces examens n’offriraient souvent pas des résultats aussi fiables.

« Certains examens ne pourraient pas être faits du tout, ce qui serait extrêmement dommageable pour les patients » estime le Pr. André Aurengo, chef du service de Médecine nucléaire du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière à Paris, et membre de l'Académie de médecine. « On compte six indications très importantes pour lesquelles on aurait aucun autre moyen de faire les examens en cas de pénurie complète de Technétium. »

UN NOMBRE TRÈS LIMITÉ DE PRODUCTEURS

La production mondiale de Technétium est assurée, à 90 pour cent, par cinq réacteurs, dont OSIRIS. Cependant, le site canadien de Chalk River—qui produit à lui seul près de 50 pour cent de la production mondiale—doit bientôt fermer ses portes.

En France, sur avis de l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN), le gouvernement a autorisé le site d’OSIRIS à fonctionner jusqu’à fin 2015. Le réacteur français est à l’origine d’environ 10 pour cent de la production mondiale du Technetium médical, soit environ 1,5 million de doses. Un nouveau réacteur sur le site de Cadarache doit ensuite prendre le relais, mais des retards dans les travaux ont repoussé la date d’ouverture du Réacteur Jules Horowitz (RJH) au plus tôt en 2020.

Selon l’Académie de Médecine, privé de plusieurs de ses principaux fournisseurs, le marché du Molybdène, et donc du Technétium, se dirige vers une pénurie « en 2015 – 2020, avec une période critique de 2016 à 2018. »

LE PROBLÈME DU COMBUSTIBLE

La question du renouvellement du mandat d’OSIRIS se pose dès aujourd’hui. En effet, pour fonctionner, un réacteur comme OSIRIS doit s’approvisionner en Uranium enrichi. Une telle commande peut prendre entre 18 mois et deux ans avant d’être livrée. Ainsi, en cas de prolongation de la durée de vie du réacteur, il serait nécessaire de commander le combustible pour 2016 dès juillet 2014.

Ce combustible a un coût : chaque élément représente un investissement entre 40 000 et 50 000 euros. Pour OSIRIS, qui a besoin d’environ 150 éléments pour maintenir sa production jusqu’en 2018, la facture pourrait donc s’élever à 7,5 millions d’euros.

De plus, OSIRIS est certes le plus jeune réacteur de ce type en Europe, mais sa construction date de 1966. Depuis, l’ASN a émis de nouvelles normes en termes de sureté nucléaire, notamment après le drame de Fukushima.

L’ASN a demandé, « après Fukuhima, dès qu’il y a eu des incidents nucléaires, des travaux qui ont été faits, » explique Joëlle Perinet, Secrétaire de la CGT à Saclay, « les salariés, eux-mêmes disent que leur réacteur est très sûr, parce qu’ils savent tous les travaux qui y ont été faits et que tout a été changé. » Elle ajoute que d’autres réacteurs, de production d’énergie, ont, eux, été prolongés. Pour elle, la durée de vie d’OSIRIS doit aussi être prolongée, le temps que le suivant soit construit.

DES RÉPERCUSSIONS SUR L’ENSEMBLE DE LA CHAÎNE

Au delà de la question de santé publique, les employés d’OSIRIS prévoient que la fermeture du réacteur français aura de lourdes répercussions en termes d'emplois et de recherche.

En effet, de l’activité d’un réacteur comme OSIRIS découlent de nombreuses applications. Selon les syndicats, certains chercheurs et scientifiques français pourront continuer à exercer, mais seraient amenés à quitter les pays à la recherche de nouveaux sites où exercer privant la France de compétences de pointe.

Pour d’autres employés, la situation sera plus difficile.

Un conducteur de pile exerce un métier très spécifiques, explique Pascal Saint-Etienne, « si on lui dit ‘On ferme OSIRIS,’ il a quand même un problème pour retrouver un travail. »

La question de l'emploi affecterait également l’ensemble de la chaine de production du Technétium médical. En effet, une fois produit par le réacteur, le molybdène est d’abord trié en Belgique, puis rapatrié en France où CIS-Bio, une entreprise également basée à Saclay, conditionne l’élément en doses injectables et les expédie à destination des hôpitaux.

Selon les syndicats, en cas de fermeture d’OSIRIS et de pénurie de Technétium, ce sont donc près de 400 emplois qui seraient menacés chez CIS-Bio, ainsi que de nombreux postes de manipulateurs et d’agents hospitaliers en médecine nucléaire.

Les employés de Saclay, les syndicats, mais aussi la direction ont alerté le Ministère des affaires sociales et de la santé, le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur ainsi que le premier Ministre Manuel Valls. Contactés par la NVO, aucun des deux ministères n’a donné suite aux demandes d’interviews.

Le gouvernement s’est récemment engagé à faire connaître sa décision le 30 juin.

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