8 février 2021 | Mise à jour le 8 février 2021
Dans le contexte de crise sanitaire et de restrictions qui s'imposent, les commémorations du massacre de neuf militants de la CGT au métro Charonne, à Paris, le 8 février 1962, se feront en comité restreint. Pour autant, comme le soulignent des militants d'aujourd'hui, il est important de leur rendre hommage, d'enseigner l'histoire de cette période, et de faire reconnaître le crime.
Voilà plusieurs décennies que Henri Cukierman, président du comité « Vérité et justice pour Charonne » œuvre à entretenir et à transmettre la mémoire de Charonne, ce « crime d'État », commente-t-il, perpétré par la police du Préfet Maurice Papon et du ministre de l'Intérieur, Roger Frey, contre des militants pacifiques qui manifestaient pour la paix en Algérie. La répression des manifestants aura fait neuf morts et des centaines de blessés graves, matraqués à coups de « bidules », ces matraques de la police d'alors, ou écrasés par les grilles d'arbre en fonte projetées sur les manifestants tandis qu'ils se réfugiaient dans la station de métro.
Commémorer chaque année ce massacre, c'est bien sûr rendre hommage aux victimes. Mais pas seulement. C'est aussi l'occasion à la fois de revendiquer la reconnaissance des responsabilités de l'État et de revenir sur cette séquence historique auprès des plus jeunes générations.
Une commémoration nécessaire
Il s'agit notamment de rappeler le contexte politique – celui de la guerre d'Algérie – dans lequel un tel crime a pu être ordonné par un ministre et son préfet. « C'est aussi comprendre qu'hier comme aujourd'hui, ceux qui luttent peuvent changer le cours de l'histoire », souligne Henri Cukierman. Après sept ans et demi de guerre en Algérie qui revendiquait son indépendance, mais aussi quelques mois après le massacre, le 17 octobre 1961, de centaines de manifestants algériens à Paris par la police aux ordres du même Maurice Papon et quelques semaines après Charonne, de Gaulle devra hâter la fin de la guerre d'Algérie, rappelle-t-il.
Enseigner cette part d'histoire aux nouvelles générations
« Se souvenir du massacre de Charonne, c'est rappeler que le fascisme avait tissé sa toile jusqu'au sommet de l'État. C'est réaffirmer l'importance, aujourd'hui comme demain, de poursuivre la lutte pour la liberté des peuples » rappelait aussi pour sa part Valérie Lesage, secrétaire générale de l'Urif-CGT, lors d'une précédente commémoration.
« Encore faudrait-il qu'elle soit enseignée, cette histoire. Qu'elle intègre enfin les programmes du collège et du lycée, alors qu'elle en est l'une des grandes absentes », déplore Michael Raynaud, professeur des écoles de Seine Saint-Denis. Syndiqué au Snes-Snuipp (FSU), cet instituteur de 31 ans regrette que cette séquence soit encore trop passée sous silence et que l'État n'ait toujours pas reconnu ce crime, 59 années plus tard, malgré les commémorations et demandes réitérées de vérité et de justice pour Charonne.
« Assumer cette histoire permettrait d'apaiser les douleurs et rancunes qui se transmettent de génération en génération à l'état brut. Cette tragédie de Charonne n'est pas un fait isolé, mais l'une des conséquences politiques liées à la guerre d'Algérie retardant la décolonisation », observe-t-il.
Hommage de la CGT aux morts de Charonne
Permettre au passé d'éclairer le présent
Car par-delà le devoir mémoriel, la connaissance de ce crime d'État à la fin de « l'Empire colonial français » est importante pour les jeunes générations et éclaire aussi le présent. C'est le cas concernant le rapport aux générations issues des pays anciennement colonisés. C'est le cas aussi concernant les évolutions de la violence policière. Si, en 1968, le préfet Grimaud a inauguré une gestion du maintien de l'ordre qui se voulait en rupture avec la politique de répression violente des manifestations, la répression d'aujourd'hui contre les manifestants, en revanche, qu'il s'agisse de syndicalistes défendant les retraites ou de gilets jaunes, fait écho à certaines tragédies, dont le crime de Charonne.
« Lors du mouvement des Gilets jaunes, on a eu l'impression que la violence de sa répression par les forces de l'ordre était un fait inédit alors qu'il est important de savoir qu'hier comme aujourd'hui, les interventions des peuples dans la chose publique ont pu être réprimées par les pouvoirs en place, pour éteindre les demandes de progrès démocratique exprimées par les citoyens », fait valoir Henri Cukierman.
« Lutter, ça se paye, mais ça paye », commente Michael Raynaud. Et de plaider pour la transmission de l'histoire aux jeunes générations, l'organisation de débats publics, la production de documentaires et de films sur Charonne comme plus largement sur la guerre d'Algérie afin d'éclairer et d'armer les jeunes générations qui luttent pour le progrès social de même que contre le racisme ou pour les droits des peuples.