Aux funérailles de Madeleine Riffaud, des chants et de l'émotion
Ce mercredi 20 novembre 2024 au cimetière du Montparnasse, se tenaient les funérailles de Madeleine Riffaud, décédée le 6 novembre dernier à l'âge de 100 ans. Dans un... Lire la suite
« Parmi les jeunes diplômés de l'Idhec (1), le Breton René Vautier tranche à la fois par son allure et ses convictions, il pense visiblement que lorsqu'un mur se dresse sur la route de ce qu'il veut montrer, la seule solution consiste à foncer dans le mur, caméra au poing et tête en avant. Une tête de Breton, les murs n'ont qu'à bien se tenir, il a déjà renversé le mur du silence sur le colonialisme avec son Afrique 50 qui est à coup sûr le premier film anticolonialiste français. »
En 1951, l'historien du cinéma Georges Sadoul évoquait ainsi le tout jeune réalisateur. Récemment, Daniel Mermet lui consacrait sur France Inter un moment radiophonique au titre évocateur, « Le petit Breton à la caméra rouge »…
Difficile en effet d'évoquer le cinéma « militant », « engagé », bref, le cinéma né d'une conscience politique, sans citer le nom de René Vautier. Pour beaucoup de jeunes documentaristes, il est une référence, un exemple de ténacité et de droiture. Pendant la grande grève des cheminots de 1995, des cinéastes débutants ne venaient-ils pas lui montrer ce qu'ils avaient tourné sur le terrain des luttes ?
Car, aussi chevillée au corps que ses convictions, la volonté de René Vautier a toujours été de transmettre, de montrer que les images ont un pouvoir. Faire des films « avec » et non « sur » aime-t-il à dire.
Aujourd'hui, et malgré une santé précaire, René, âgé de 86 ans, n'a rien perdu de l'acuité de ses souvenirs, dont il a accepté de dérouler le film pour la NVO. Point n'est besoin de lui dire « moteur » pour que défilent les bobines de la vie de celui qui fut indigné bien avant que le terme ne soit à la mode…
Interrogé sur la personne à l'origine de ce don de partage et de transmission dont il n'a cessé de faire bénéficier ceux qui l'ont approché, René répond sans hésitation : « C'est auprès de ma mère, je pourrais dire au sein maternel que j'ai puisé cela. Elle était institutrice et dès 8 ans, alors que j'étais un petit boy-scout laïque, nous avons défendu ensemble des positions pas faciles à tenir au fin fond de la Bretagne. »
Né à Camaret, dans le Finistère, en 1928, ses premiers engagements remontent donc à 1936, période de grandes espérances et de profonds bouleversements sociaux. Et la Seconde Guerre mondiale confirmera cet esprit de résistance : « J'avais 12 ans quand les Allemands sont arrivés. Mon frère, de 4 ans mon aîné, était éclaireur de France à Quimper et voulait s'embarquer pour l'Angleterre. Nous avions entendu dire qu'un avion devait partir de Pluguffan (l'aéroport de Quimper) et nous avons donc, avec notre petit groupe, tout fait pour retarder la marche des Allemands. Finalement, l'avion n'est pas arrivé et ce sont des parachutistes allemands en moto qui sont apparus sur la route. Nous leur jetions des cailloux… mais ils nous ont tiré dessus et nous avons bien été obligés de nous sauver. »
Mais les scouts entendent bien se rendre utiles. Bien qu'encore des enfants, ils ont un fort sentiment « d'être français et d'avoir un pays à défendre ». Mais comment faire quand on est si jeune ? « Nous avions remarqué la construction de casemates allemandes le long de la côte, et à quatre ou cinq, nous en avons fait le relevé avec la ferme intention de le transmettre en Angleterre, nous disant que si des alliés devaient un jour débarquer, cela serait utile. On notait donc les positions des casemates, leurs angles de tir. Mais comment transmettre ces informations ?
Lorsqu'il a appris ça, Albert Philippot, le responsable des Éclaireurs, nous a dit de cesser immédiatement. Nous ne savions pas alors qu'il était lui-même engagé dans la Résistance. Huit jours plus tard, il nous a dit qu'en fait, ça pouvait être utile mais qu'il fallait que nous fassions très attention. »
Malheureusement, ces activités attirent l'attention et les Allemands débarquent au lycée de Quimper où étudie René Vautier. André Monteil, dirigeant les FFI de la région, qui sera maire de Quimper puis député du Finistère après la guerre, leur avait bien recommandé de dissimuler ces relevés…
« Les profs, se souvient-il, avaient pour consigne de me mettre au premier rang pour me surveiller. Et ça m'a bien servi car, évidemment, j'avais des relevés avec moi. Donc, avant la fouille, j'ai commencé à faire des petits avions en papier avec les relevés, et à distraire la sentinelle qui nous gardait en lui faisant croire que j'étais du côté des Allemands. Je lançais mes petits avions en disant “avions anglais bombarder Brest, pas bien”, et puis des petits bateaux en disant “Bateau allemand partir de Brest, très bien”. Grâce à mes avions et bateaux en papier qui atterrissaient ou s'échouaient sous le tableau, la fouille n'a évidemment rien donné. »
Inutile de dire qu'ensuite, le petit clan des Éclaireurs de France, à Quimper, a eu ordre d'avoir des activités plus en rapport avec l'âge de ses membres…
À 15 ans, René passe aux choses encore plus sérieuses, entreprenant, avec ses copains des Éclaireurs, de récupérer des grenades près des casemates. « Nous fourrions les grenades dans ces sacs roses connus dans toute la région pour le ramassage des patates. Avec un copain, nous avons été pris en chasse en ville, avec nos sacs pleins de grenades, par un side-car allemand. J'ai pris une grenade, mais je ne savais pas la charger et mon copain, pour se cacher, avec son sac, s'est jeté la tête la première… dans un urinoir ! Séparés, moi toujours avec la grenade et le sac, quelqu'un me lance au passage : “Ton copain a déjà été tué vers la gare”. Alors j'ai balancé la grenade et c'est seulement là que j'ai vu un soldat allemand juste en face quand elle a explosé. Après cela, je me suis juré que jamais plus je ne tuerai. »
Il y eut encore beaucoup de combats ouverts, notamment pour libérer la presqu'île de Crozon, et même « un carnage de l'aviation américaine sur un patelin qu'on venait de libérer ». Ces faits vaudront à René Vautier une croix de guerre avec citation, tout comme à son groupe de copains « le premier groupe de jeunes décoré par de Gaulle », précise-t-il.
Lorsque la guerre se termine, ses copains le poussent à s'engager. Pas question pour lui, qui se sent clairement antimilitariste. « J'ai 16 ans, il faut que je passe mon bac. Dans notre clan, j'étais connu comme celui qui lisait des poèmes aux copains. Donc on a cherché comment je pourrais continuer l'action sans arme. Le journalisme ? Le cinéma ? Tiens, pourquoi pas le cinéma ? »
Se battre avec une caméra… C'est ainsi que René Vautier passe avec succès le concours d'entrée de l'Idhec, dont il sort diplômé en réalisation en 1948.
La suite est entrée dans l'histoire : « Afrique 50 », la censure, les films tournés avec peu de moyens mais beaucoup de courage et une conscience politique inoxydable, « Avoir vingt ans dans les Aurès », primé à Cannes, mais que personne ne veut diffuser, la guerre d'Algérie avec le FLN, la prison, encore la censure, la torture aussi.
Tout cela, c'est le cinéma « à la Vautier » : aux côtés des gens qui se battent, aux côtés des copains algériens auxquels, là aussi, il va transmettre les outils pour créer leur propre cinéma, ce qui lui vaut d'être considéré comme le père du cinéma algérien.
De retour en Bretagne, c'est la création de l'Unité de production cinématographique de Bretagne, avec Nicole Le Garrec. René fait le pari de tourner dix films et qu'ils soient diffusés.
Ce seront : « La folle de Toujane », « Quand les femmes ont pris la colère », » Mourir pour des images », « Marée noire, colère rouge », « Quand tu disais Valéry »… Et toujours, malgré les difficultés, les coups bas, les films détruits, cette envie de transmettre pour permettre à chacun de s'exprimer.
Les jeunes cinéastes ne s'y trompent pas qui lui rendent un bel hommage. Avec « Algérie, tours détours » (2), d'Oriane Brun-Moschetti et Leila Morouche, qui ramènent René en 2007 sur les traces de ses tournées des « ciné-pop » ou comme Michel Le Thomas, qui a vécu avec René un émouvant retour en Mauritanie pour « De sable et de sang », second film d'un beau livre DVD qui contient aussi « Afrique 50 » (2). « Je sais qu'il est temps que je transmette », dit en conclusion le cinéaste.
Moïra Chappedelaine-Vautier
et René Vautier, hier… et aujourd’hui.
Il vient de le faire de belle manière en terminant « Histoire d'images, images d'histoire », coréalisé avec sa fille, Moïra Chappedelaine Vautier. Un film vibrant qui revient sur l'histoire d'un autre film disparu de René, « Un homme est mort », et de la bande dessinée (¤)qui a retracé son incroyable épopée.
Tu vois, René, la relève est assurée…
* * *
Ma rencontre avec René. Ce que je lui dois, ce qu’il nous dit.
Par Michel Le Thomas, cinéaste (*)
« Je préparais un film sur le Sahara Occidental, j’ai pris contact avec Association Française d'Amitié et de Solidarité avec les Peuples d'Afrique. Rapidement le responsable m’a conseillé de prendre contact avec René qui habitait à quelques rues. René Vautier, une de mes références !
J’avais vu « Avoir vingt ans dans les Aurès », « Quand tu disais Valéry ! », je le savais être membre du même parti que moi (le parti communiste). Mais bon, un grand monsieur, un grand cinéaste et moi si insignifiant, si débutant…
Enfin j’ai téléphoné : une gentillesse, une fraternité immédiate. Je suis allé chez lui, on a parlé, il m’a fait voir les films qu’il avait terminés il y a peu (dont le formidable « Mourir pour des images »). Je l’ai quitté ce jour, je ne l’ai plus jamais quitté !
A quelques temps de là, je lui ai demandé de m’accompagner pour un projet de vidéo-participative que je menais à Stains (93) avec des jeunes et un animateur formidable : Azzedine Taïbi (qui deviendra 25 ans plus tard maire de cette ville). J’ai vu René avec ces jeunes, son ouverture d’esprit, l’expression de ses convictions, son intelligence, ses compétences.
J’ai réalisé ensuite avec René, sans René, mais pensant à ces principes, des films d’intervention sociale, des documentaires.
Il est devenu un modèle non seulement du point de vue du cinéma que l’on doit réaliser mais aussi du point du vue humain.
On ne soulignera jamais assez le courage physique et intellectuel de René, sa gentillesse, sa liberté de ton et d’analyse, son engagement sincère, naturel aux côtés des personnes qui souffrent.
Sa vie est de ce côté du monde, de « ce côté de la barricade » !
Je connais donc René depuis 25 ans et chaque jour, pour les grands événements de ma vie, je me demande comment il aurait réagi, ce qu’il aurait dit.
Et lorsque je parle d’un modèle, c’est aussi souvent pour constater à quel point que je ne pourrai malheureusement pas lui ressembler… Nous sommes tous uniques, certains semblent l’être plus que d’autres !
Je veux encore dire une chose : René a payé le prix fort pour sa liberté d’être de ce côté du monde.
Parfois le prix du sang, souvent le prix de la colère de ne pouvoir pleinement s’exprimer. Le cinéma français, la société française ne seraient pas les mêmes si l’on avait permis à tous les René de créer.
Les « décideurs » de la production cinématographique et télévisuelle portent en cela une lourde responsabilité. Mais leur cohérence est intacte : c’est en écrasant la puissance d’hommes tels que René qu’ils restent à leur place, qu’ils laissent ce monde, impitoyable aux plus faibles, dans les mains de ceux qu’il nous faudra bien un jour renverser.
Ce jour-là nous aurons une pensée fraternelle pour notre ami René ! »
(*) Le site de Michel Le Thomas
(1) L'Institut des hautes études cinématographiques, devenue la Fémis.
(2) Édités par Les mutins de Pangée, qui publieront en octobre 2014 un coffret de dix films René Vautier, les années algériennes.
Immense merci à René Vautier, Moïra Chappedelaine-Vautier, Michel Le Thomas, Oriane Brun-Moschetti et Olivier Azam/Les Mutins de Pangée.
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