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FONCTION PUBLIQUE

Services publics : sur le terrain, l’indigence des moyens

28 janvier 2025 | Mise à jour le 28 janvier 2025
Par | Photo(s) : Dubois/Andia
Services publics : sur le terrain, l’indigence des moyens

En trente ans, les douanes ont dû renoncer à 6 000 agents. Des départements entiers sont privés de contrôles.

Inspecteurs du travail, agents des finances publiques, des douanes, de la répression des fraudes ou de la préservation de la biodiversité, tous constatent avec amertume qu'ils ne sont pas en mesure d'assurer leurs missions de contrôle et de protection. Un article paru dans la Vie Ouvrière #12.

 

Le projet de budget du gouvernement Barnier prévoyait une réduction des dépenses de l'ordre de 40 milliards d'euros.  Comment ? En supprimant 2201 postes de fonctionnaires dont 1 196 au sein de l'État et 1 005 chez ses ­opérateurs. Des fonctionnaires moins nombreux mais plus efficaces. Lors de sa prise de fonction, l'ex-ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l'action publique, Guillaume Kasbarian, avait annoncé la couleur : « Débureaucratiser à tous les étages. » Une injonction insultante pour des travailleurs qui œuvrent sur tous les terrains, et demeurent les cibles privilégiées des coupes budgétaires.

« Les choix budgétaires sont des choix politiques : en affaiblissant le contrôle, on satisfait les patrons  et on offre un blanc-seing à la fraude », Olivier Villois, CGT Finances publiques

Depuis 2008, l'administration des finances publiques a perdu 30 000 de ses agents. « En quelques années, on est passés de 10 contrôles par an et par agent à 15 ou 20 contrôles. Il faut aller vite, on creuse moins, on se donne moins les moyens de repérer les fraudes bien cachées. Tout le système repose sur du déclaratif. En affaiblissant le contrôle a posteriori, on incite à la fraude », affirme Olivier Villois, de la CGT Finances publiques. Les agents manquent de temps pour tout.

« Un impôt, ça s'explique. Si on n'a pas le temps d'expliquer pourquoi et comment on fait nos contrôles, cela diminue le consentement à l'impôt. Les gens ne comprennent pas pourquoi ils paient tant de taxes, poursuit Olivier Villois. Ce qui est insupportable, c'est de savoir qu'on pourrait récupérer beaucoup plus d'argent si on en avait les moyens. Les choix budgétaires sont des choix politiques : en affaiblissant le contrôle, on satisfait les patrons et on offre un blanc-seing à la fraude ». Même son de cloche du côté des douaniers. Quand elle entend les déclarations martiales des ministres sur la lutte contre le narcotrafic, Manuela Dona, secrétaire générale de la CGT Douanes, enrage. « Les douanes sont à l'origine de 80 % des saisies de stupéfiants en France. Au Havre, un point stratégique de passage de la drogue, on est 300 douaniers dont 70 chargés du contrôle, contre 650 dont 150, il y a trente ans. On se bat en ce moment contre la fermeture du laboratoire spécialisé dans les stupéfiants. Même édouard Philippe [maire Horizons du Havre, NDLR] a signé notre pétition !, fulmine-t-elle. Faute d'investissements, une machine pour scanner les camions très performante a été remplacée par des scanners mobiles 50 fois moins efficaces. Pas étonnant que ce soit une passoire ! »

Les douanes ont dû renoncer à 6 000 agents en trente ans

Le Havre n'est pas un cas isolé. Les douanes ont dû renoncer à 6 000 agents en trente ans. Des départements entiers sont ainsi privés de contrôles. « Aujourd'hui, on contrôle au maximum 1 % des marchandises qui entrent en France, 5 % il y a dix ans », affirme Manuela Dona. Les conséquences se ressentent sur les trafics de stupéfiants, mais pas seulement. La douane joue aussi un rôle essentiel dans la lutte contre l'évasion fiscale, en interceptant, par exemple, des valises de billets aux frontières. « Pourtant, notre direction a fait le choix de fermer notre bureau de l'aéroport du Bourget, le premier aéroport d'affaires d'Europe », constate la syndicaliste. Les douanes interviennent aussi dans la lutte contre les trafics d'espèces protégées, d'armes, de contrefaçons, qui financent parfois des réseaux terroristes.

La répression des fraudes à la diète

La répression des fraudes est logée à la même (triste) enseigne. Peu de moyens pour mener nombre de missions. Ses inspecteurs sanctionnent les pratiques de concurrence déloyale, les tromperies et les fraudes, veillent à l'information du consommateur, à la qualité des produits non alimentaires, et luttent contre le blanchiment d'argent. Pour cela, ils inspectent des établissements, font des relevés de prix dans les commerces, prélèvent et analysent des jouets à la veille de Noël… En 2022 et 2023, ils ont, par exemple, réalisé 300 contrôles chez les influenceurs eux qui disposent de l'étendue infinie de la Toile pour agir. Une disproportion soulignée par le collectif d'aide aux victimes des influenceurs (AVI) qui dénonce le côté « presque artisanal des moyens de l'état ». Jean-Philippe Simon, ancien secrétaire général du syndicat CGT de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (­DGCCRF), confirme : « Pour l'instant, on ne nous annonce pas de suppression d'emplois, mais on est déjà à l'os. Nous sommes 2 800 agents dont 1 900 enquêteurs. Dans le Lot, la Meuse, il n'y a plus que trois agents. Comme s'il n'y avait aucune activité commerciale et industrielle. »

Coupes budgétaires

En septembre 2024, les agents de la préfecture des Hauts-de-France ont reçu une circulaire incitant à réduire l'usage des ­véhicules de service. « Difficile de contrôler l'affichage des prix des stations essence en transport en commun, souligne l'inspecteur. Le capitalisme génère de la fraude. L'ordre public économique s'appuie sur une police, la ­DGCCRF. Pour pouvoir faire notre travail, on réclame 4 000 agents, et un minimum de 14 par département », revendique-t-il. Cette police économique est suppléée par l'Institut national de la consommation, qui édite le magazine 60 millions de consommateurs [que le gouvernement tente de vendre au privé, NDLR], et par 15 associations de consommateurs, parmi lesquelles Indecosa, l'association de défense des consommateurs de la CGT. Elle intervient dans 10 000 litiges par an. « Nous aidons les usagers à faire des lettres de réclamation aux entreprises, aux compagnies de voyages avec qui elles sont en litige, aux banques. Nous siégeons dans les commissions d'usagers des hôpitaux », détaille Christian Khalifa, le président d'Indecosa CGT. Les coupes budgétaires pourraient aussi se traduire par une baisse de la subvention annuelle de l'association, qui a déjà diminué de moitié en dix ans.

Inspecteurs du travail : 20 % des postes vacants

Si vous avez cherché à contacter un inspecteur du travail ces derniers temps, peut-être avez-vous eu la surprise de tomber sur un inspecteur intérimaire. Les non-remplacements de départs à la retraite ont été tels ces dernières années, qu'en février 2024, 20 % des postes n'étaient pas pourvus. Même l'agrandissement de leur secteur géographique d'intervention n'a pas suffi à pallier le problème : en 2013, on comptait un inspecteur pour 6 500 salariés, un pour 13 000 aujourd'hui. L'objectif de l'ex-ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet – réduire cette vacance à 10 % – est loin d'être atteint. L'embauche de 100 inspecteurs par voie de détachement, prévue en 2024, a été rayée d'un trait, lorsque l'ancien ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a décidé de prélever 3,5 millions d'euros sur la ligne budgétaire de l'inspection du travail. « La réforme a aussi retiré des agents du terrain pour en faire des cheffaillons », ajoute Valérie Labatut, secrétaire nationale de la CGT Inspection du travail. « Résultat, on nous dit de ne traiter que les urgences, les demandes contraintes par les délais juridiques et les accidents graves. On n'arrive plus à donner suite aux demandes des usagers, on fait moins de prévention. Notre rôle est de plus en plus cosmétique », déplore-t-elle.

La santé à vau-l'eau

Le livre-enquête Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, a mis en lumière la manière dont Orpea, le groupe d'Ehpad privés – aujourd'hui appelé Emeis –, détournait l'argent de la Sécurité sociale, plutôt que d'assurer une prise en charge digne des personnes âgées dépendantes. Normalement, ce rôle de contrôle des établissements financés par la Sécurité sociale est celui des agents de l'Agence régionale de santé (ARS). Or, entre 2010 et 2024, leur effectif a fondu de 11 000 à 8 300 agents. « Quand on a dû contrôler tous les Ehpad en un an après la parution du livre, on s'est aperçu que le nombre d'agents habilités à inspecter était passé de 500 à 250 entre 2014 et 2021 », explique Gwendal Bars, délégué syndical CGT. Les antennes départementales ont été le plus affectées par cette politique d'austérité. « Or, ce sont elles qui connaissaient le mieux les structures. La quantité de travail est telle qu'on ne se déplace que rarement dans les établissements dont on vérifie les budgets. Ça facilite les magouilles des entreprises et associations, et les jeux sur les écritures comptables. »

Les cas de coqueluche et de rougeole se ­multiplient

Les personnels enquêteurs de l'ARS interviennent également pour identifier un logement insalubre, ou encore vérifier la qualité des eaux de baignade ou de points de captage. « Ce sont de plus en plus les usines d'assainissement qui sont chargées de contrôler la qualité de leurs propres eaux. De même, on a abandonné la mission de police environnementale qui mesurait le bruit », détaille le syndicaliste. Les agences mènent une mission de veille sanitaire : les soignants doivent les alerter en cas de pathologies dangereuses ou inhabituelles, ou lorsque des maladies « à déclaration obligatoire » – la turberculose, la méningite, la rougeole – surgissent. Le cas échéant, l'ARS doit être réactive pour organiser des campagnes de vaccination. « Ce service a été massacré. Comme il est désormais placé au niveau de la région, les agents connaissent moins le tissu local et mettent plus de temps à organiser les campagnes de vaccination… tout en risquant davantage de contaminations. Pendant le Covid, ce service a été totalement débordé. Il a ensuite été renforcé de dix postes en Île-de-France, qui risquent d'être complètement neutralisés par les coupes prévues. On retourne en 2019, alors que les cas de coqueluche et de rougeole se ­multiplient », conclut Gwendal Bars.

Protéger la nature

Banderoles insultantes, déversement de fumier… Les militants de la très droitière Coordination rurale ont attiré l'attention sur leur bouc-émissaire : l'Office français de la biodiversité (OFB). Comme l'explique Vincent ­Vauclin, délégué CGT de l'établissement public à caractère administratif : « Nous surveillons la pollution des cours d'eau, les travaux à la pelleteuse dans le lit des rivières, les activités de chasse, le dépôt d'ordures dans la nature. Nous sommes aussi chargés de la gestion d'aires protégées, des réserves naturelles et des parcs naturels marins. » L'OFB anime aussi un réseau de suivi des populations d'oiseaux ou de poissons, et sensibilise les populations sur les menaces qui pèsent sur la nature. « Parfois, les collègues sont appelés quand un chevreuil se fait cabosser, quand une tortue est retrouvée dans la nature. Nous contrôlons aussi la détention d'animaux sauvages. » Enfin, les antennes régionales délivrent des autorisations de projets d'aménagement. « Nous n'avons pas une très bonne visibilité sur la manière dont les coupes budgétaires vont nous affecter. Au départ, on devait avoir 15 postes en plus, ensuite, on nous a dit que nous n'en avions plus, et aujourd'hui, on parle de réduction d'effectifs, indique-t-il. On parle de nature, d'environnement et de réchauffement climatique à longueur de journée. Nous sommes aux premières loges pour constater que les moyens pour véritablement protéger la nature ne sont pas là. Les économies ne se font pas simplement sur le nombre d'emplois, la valeur du point d'indice ou les jours de carence, mais aussi sur la remise en cause de la prise en charge des congés maladie… Tout ça mis bout à bout, cela donne des conditions de travail dégradées et un fort sentiment de manque de reconnaissance », conclut Christophe Delecourt, secrétaire général de l'UFSE-CGT.