Les entreprises sous emprise de la finance
Les cinquante dernières années ont été marquées par un retour en force du capital parmi les parties prenantes des entreprises. Ce mouvement de financiarisation, associé à... Lire la suite
Cet article a été publié dans l’édition d’octobre 2022 de la Vie Ouvrière Ensemble
J'aimerais qu'on arrête de jeter la pierre aux grandes entreprises », déclarait Roland Lescure, ministre délégué à l'Industrie sur France Info, le 30 août. Le même jour, à l'université d'été du Medef, Bruno Le Maire s'interrogeait sur ce qu'est un « superprofit » : « Je sais que les entreprises doivent être profitables, c'est tout ce que je sais. » De ce point de vue, le ministre de l'Économie peut être satisfait : la France compte plusieurs championnes en la matière. Par exemple, le groupe de fret maritime CMA-CGM détenu par la famille Saadé affiche 15 milliards de dollars de profits pour le seul premier semestre 2022 *. En un an, la richesse des Saadé est passée de 6 à 36 milliards de dollars. TotalEnergies enregistre quant à elle un bénéfice de 16 milliards de dollars en 2021. Et son année 2022 s'annonce encore plus profitable avec 10,5 milliards déjà engrangés au premier semestre *. Autre exemple : les bénéfices du groupe pharmaceutique Sanofi ont crû de 20 % entre 2018 et 2021 *. Ces entreprises ont en commun d'avoir généré des profits exceptionnellement élevés, au regard de ceux réalisés dans une conjoncture économique, sanitaire ou diplomatique « stable ». Et ce, en profitant de facteurs extérieurs à leur stratégie de production, telle la flambée des prix énergétiques renforcée par la guerre en Ukraine, celle des prix du transport de marchandises provoquée par la reprise économique post-Covid ou encore l'explosion des besoins en matériel médical et pharmaceutique inhérente à la crise sanitaire. Ces profiteurs de crises et leurs actionnaires se nourrissent de la spéculation, au moment où de plus en plus de Français tirent le diable par la queue.
« On estime entre 80 et 90 milliards d'euros le montant du “surprofit” engendré par les 150 plus grandes entreprises françaises en 2021, indique Mathieu Cocq, responsable du pôle économique de la CGT. Taxés à 25 %, ce qui serait faible, ils rapporteraient déjà plus de 20 milliards d'euros à l'État. » En comparaison, le budget de l'hôpital public s'élève autour de 80 milliards d'euros, celui de l'enseignement scolaire avoisine les 60 milliards d'euros, et celui de la justice les 9 milliards. Donc, oui, à l'instar des Britanniques, des Espagnols et des Italiens, il faut taxer les superprofits, martèle Fabrice Angéi, secrétaire confédéral de la CGT. « Cela pourrait contribuer aux aides d'urgence pour les plus démunis, mais aussi à mettre en œuvre une politique indispensable de décarbonation de l'économie », illustre Mathieu Cocq. Mais cela ne suffit pas. « C'est toute la fiscalité des entreprises qu'il faut réformer, explique Fabrice Angéi. D'une part, en supprimant les niches et cadeaux fiscaux bénéficiant aux entreprises sans utilité, soit 150 milliards d'euros par an. D'autre part, en modulant l'impôt sur les sociétés en fonction de leur comportement en matière d'emplois, de salaire, d'environnement, d'investissements, de recherches, etc. » De sorte que la fiscalité se remettrait au service d'une juste répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail.
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