8 février 2018 | Mise à jour le 9 février 2018
Au cœur de la Bibliothèque publique d'information (BPI) du Centre Pompidou, chaque vendredi soir, sont accueillies des personnes de tous horizons, désireuses de parler français. Venu d'Autriche, Bernhard Braunstein a fréquenté cet atelier de conversation, devenu sujet de film.
La BPI est l'un des rares lieux parisiens où l'on peut encore entrer librement, sans carte d'accès ni formalités.
En son sein, une sorte de case vitrée, une bulle où des chaises rouges sont disposées en cercle. C'est l'Atelier de conversation. Pendant qu'alentour près de 4000 personnes étudient, lisent ou sont simplement venues se réchauffer, une quinzaine de personnes de toutes origines géographiques et sociales se retrouvent ici pendant une heure pour améliorer leur français, mais aussi pour rompre l'isolement qu'implique la langue quand elle constitue un obstacle.
Un animateur/modérateur demande à chacun de se présenter puis lance un sujet de conversation : les stéréotypes que chacun peut avoir sur un pays et ses habitants. Une jeune Chinoise dit qu'elle n'a jamais mangé de chien, un Britannique qu'on lui avait dit que les Français passaient leur temps à faire grève, à fumer et boire, et, venu d'Afghanistan, un jeune précise qu'être afghan n'est pas synonyme d'être terroriste.
Des étudiants en écoles de commerce côtoient des demandeurs d'asile, une jeune mariée voisine avec un retraité. Exilés de longue ou de fraîche date, aux parcours bien différents tous conversent avec seule règle « parler uniquement français pendant une heure ». Malgré un dispositif cinématographique qui pourrait sembler austère ou intimidant, la parole prend vite son envol et circule. Chacun à son niveau, et sans que l'animateur ne reprenne ou ne corrige, l'échange se fait assez naturellement, car tous ont en partage ce même besoin : communiquer.
Les opinions peuvent être différentes, mais l'écoute est attentive, à la forme, mais aussi sur le fond. Car les thématiques abordées sont vastes : inégalités, guerres, peur, insécurité, individualisme, isolement, rapports femmes/hommes et amour. On devine des histoires rudes, car tous n'ont pas quitté leur pays de leur plein gré, et souvent l'émotion affleure ou déborde. Fou rire, tristesse, et même colère lorsqu'un des participants hausse le ton en un débordement de souffrance inexprimée, on vient ici chercher un peu de chaleur humaine où la parole échangée tient sa belle place.
À travers ce portrait de groupe, une grande partie de la planète a rendez-vous et va échanger bien plus que du vocabulaire. Apprendre et rompre l'isolement est la double motivation des participants, enfermés jusqu'alors dans une incommunicabilité qui accentuait encore la douleur de leur déracinement.
Sans fioritures, la caméra s'échappe parfois du huis clos de cet arbre à palabres d'un nouveau genre pour un petit tour dans la bibliothèque où se croisent tant d'autres mondes et d'autres attentes. Et le soir, après la fermeture de la BPI, un autre clivage apparaît aussi quand nettoyeurs noirs et bibliothécaires blanches s'activent pour que le lendemain, ce microcosme redevienne lieu d'accueil pour tous.