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LIBERTÉS

Un an après l’attentat contre Charlie, défendre partout les libertés

18 janvier 2016 | Mise à jour le 21 février 2017
Par | Photo(s) : Bapoushoo et AFP
Un an après l’attentat contre Charlie, défendre partout les libertés

Ensemble, les organisations syndicales réaffirment les principes fondamentaux de solidarité et de liberté. En Pologne comme en Turquie, la liberté de la presse est attaquée. Explications.

Ensemble, CGT, CFDT, FO, CFTC et UNSA, les cinq organisations syndicales françaises membres de la Confédération européenne des syndicats (CES), se sont retrouvées à Paris, à la Bourse du travail, le 7 janvier, un an jour pour jour après les attentats meurtriers qui, en France, ont ciblé des journalistes de Charlie Hebdo avant de viser une épicerie casher.

Ensemble, leurs premiers responsables ont tenu à rendre hommage à toutes les victimes du terrorisme, côte à côte, avec le secrétaire général de la CES, le secrétaire adjoint de la Confédération syndicale internationale (CSI) et des délégations syndicales venues de Turquie, de Tunisie – deux autres pays touchés tragiquement par le terrorisme – ainsi que du Danemark, de Suède, de Belgique, d'Espagne, d'Italie, du Portugal et du Royaume-Uni.

VIVRE ENSEMBLE, VIVRE AU TRAVAIL

Autour d'un débat sur le thème « vivre ensemble, vivre au travail », les participants ont voulu réaffirmer les valeurs du syndicalisme et son unité, singulièrement les libertés, particulièrement attaquées l'an passé, comme l'a rappelé Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT), qui en appelle aussi à un état d'urgence social, comme à la défense de la démocratie et à la lutte contre la stigmatisation et le racisme.

Un combat qui se joue notamment dans l'entreprise elle-même. On comprend les inquiétudes qui se sont manifestées et se manifestent quant au projet de constitutionnalisation de l'état d'urgence et de déchéance de nationalité de Français binationaux accusés de terrorisme, projet jugé inefficace, mais aussi dangereusement stigmatisant. Défendre les libertés, c'est aussi lutter contre la peur. Face au terrorisme, ni excuse ni justification. Pour Laurent Berger, il s'agit d'un « combat idéologique » de « valeurs contre valeurs ».

Plusieurs intervenants ont, quant à eux, tenu à souligner que le terrorisme a des causes multiples. Et, estime Philippe Martinez, l'on a besoin de réfléchir aux diverses raisons qui « poussent des jeunes qui n'ont pas d'avenir à se laisser embarquer dans des actes condamnables » d'une telle nature. Il s'agit aussi de refuser ce qui divise. Promouvoir la solidarité relève de l'urgence, a rappelé Luca Visentini, secrétaire général de la CES, notamment pour permettre une véritable intégration des réfugiés, « eux-mêmes victimes du terrorisme ».

Tel est le message du texte de la déclaration de solidarité adoptée par le comité directeur de la CES, le 19 novembre 2015, que les participants ont ensuite déposé, tous ensemble, place de la République, avant de se rendre sur les lieux de l'attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo.

POUR LA SOLIDARITÉ ET POUR LA PAIX

La déclaration insiste : « Nous restons tous inflexibles face à ceux qui veulent semer la peur, et monter les citoyens européens les uns contre les autres. Nous rejetons toute tentative de division fondée sur la religion, la nationalité, l'ethnicité, la couleur de la peau ou toute autre différence dérisoire. […] De nombreuses victimes et membres des divers services touchés par les attaques étaient de religion et d'origines ethniques différentes. Nous sommes fiers de notre travail en faveur d'une Europe plus tolérante, nous continuerons d'encourager la tolérance, de respecter et de célébrer la diversité. »

Elle réitère la nécessité de « donner asile aux réfugiés », soulignant : « La décence humaine nous oblige à aider ceux qui risquent leur vie pour entrer en Europe afin d'échapper à la guerre, à la pauvreté et à la peur. Nous soulignons que certains des réfugiés actuels fuient la même organisation que celle qui a commis le massacre de Paris, et qui est responsable d'atrocités encore pires dans des pays hors de l'Europe. »
Elle ajoute : « La guerre n'est pas une solution à cette situation ». En outre, elle « ne devrait pas entraîner de changements constitutionnels qui limitent les droits démocratiques ». Il s'agit de défendre « une Europe plus équitable et plus sociale ».

LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ATTAQUÉE

Un an après l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, la question des menaces pesant sur la liberté de la presse était aussi à l'ordre du jour, comme l'a mis en lumière l'intervention du SNJ-CGT, membre des fédérations européenne et internationale des journalistes (la FEJ et la FIJ).

Des menaces que les concentrations font peser sur nombre de journaux, sur leur indépendance, accentuant par ailleurs la précarité de la profession et pesant dès lors sur la démocratie elle-même. Dans l'immédiat, plusieurs pays voient les libertés mises en cause directement, et les journalistes individuellement ou collectivement attaqués.

Ainsi de la Turquie (voir ci-dessous l'article de Patrick Kamenka), ou de la Pologne, au cœur même de l'Union européenne.

L'AUDIOVISUEL SOUS TUTELLE EN POLOGNE

Ainsi, le gouvernement polonais met-il en place une nouvelle loi sur les médias, laquelle, comme le constate la FEJ, « sape complètement l'indépendance du service public audiovisuel ».

En fait, les deux chambres du Parlement polonais ont adopté, fin décembre, un texte de loi qui donne au gouvernement conservateur du PiS (parti Droit et Justice), alors aux affaires depuis deux mois, la mainmise sur les médias publics.

« Les organes d'administration et de surveillance existants disparaissent avec effet immédiat, et le ministre polonais des Finances met en place de nouveaux organes et dispose du pouvoir discrétionnaire de virer à tout moment les nouveaux nommés », dénonce la FEJ. « Cette manœuvre vise à mettre le radiodiffuseur public polonais sous le contrôle total de l'actuel gouvernement conservateur. L'argument selon lequel il ne s'agirait que d'une mesure temporaire n'enlève rien au danger d'une annexion politique du service public. »

Ce texte s'inscrit dans une série d'autres mesures qui ont fait réagir les États membres de l'Union européenne. Début janvier, Bruxelles a décidé de lancer une enquête préliminaire sur la réforme controversée du Tribunal constitutionnel par le nouveau gouvernement polonais, première étape d'une procédure inédite de sauvegarde de l'État de droit.

« La Commission va conduire une enquête préliminaire sur ce sujet », a expliqué Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, à l'issue d'un débat de l'exécutif européen. L'état de droit est en effet au « fondement de toutes les valeurs sur lesquelles repose l'Union ». Concernant la presse, la Commission a fait part de ses « inquiétudes », sans entamer de procédure, pour l’instant.

Pour réagir aux critiques de la majorité de ses partenaires européens, mais aussi de l'opposition polonaise, le gouvernement en appelle, vieille recette, au consensus national face aux attaques dites « injustifiées » de « l'étranger », s'en prenant particulièrement au voisin allemand, et convoquant la mémoire de la guerre.

Samedi 9 janvier, des dizaines de milliers de Polonais marchaient dans les rues de plusieurs villes du pays, pour protester contre cette mainmise du gouvernement sur les médias publics, et pour défendre les libertés.


Violences contre la presse en Turquie

Le combat solidaire pour faire libérer les journalistes turcs et kurdes emprisonnés en Turquie doit se développer. Il y a urgence. Par Patrick Kamenka

« La situation des journalistes en Turquie est la pire depuis les années 1980, période de coups d'État militaires », déclarait en novembre dernier Can Dündar, le rédacteur en chef du quotidien d'opposition Cumhuriyet, lors d'une rencontre à Istanbul avec une délégation de huit ONG luttant pour la liberté de la presse, dont un représentant de la FIJ/FEJ.

Notre collègue ne croyait pas si bien dire. Car peu après cette rencontre, lui-même et Erdem Gül, responsable du quotidien à Anakara, étaient arrêtés.

Aujourd'hui, Can Dündar et Erdem Gül sont détenus à Silivri, un énorme centre de détention situé à une soixantaine de kilomètres d'Istanbul. En signe de solidarité, les journalistes du quotidien ont organisé des conférences de rédaction devant les portes de la prison.

MENACÉS DE PRISON À PERPÉTUITÉ

Les deux journalistes risquent des peines de prison à vie, assorties de 42 ans de détention pour « avoir porté atteinte aux intérêts de l'État par la publication de fausses images ». Ils sont accusés d'avoir publié en mai dernier dans les colonnes de leur journal des documents révélant des livraisons d'armes par les services secrets turcs aux djihadistes en janvier 2014.

VIOLENCES

Des dizaines d'autres journalistes turcs et kurdes sont emprisonnés, menacés, poursuivis par les tribunaux qui utilisent les lois antiterroristes sur la diffamation contre le chef de l'État pour faire taire les médias. Et quand cela ne suffit pas, le pouvoir envoie des hommes de main pour faire régner la peur et intimider les journalistes d'opposition. Ainsi, peu avant les élections, le quotidien Hürriyet a été attaqué par des militants de l'AKP (le parti au pouvoir) qui ont roué de coups Ahmet Hakan, l'un des éditorialistes du journal.

RÉACTIONS SYNDICALES

Face à cette impunité dont jouit le pouvoir turc, le syndicat des journalistes de Turquie (TGS) et l'Association des journalistes de Turquie (TGC), soutenus par les fédérations européenne et internationale des journalistes (la FEJ et la FIJ), ont condamné l'arrestation de nos deux confères.

« La publication de ces articles relevait du devoir des journalistes d'informer l'opinion publique. L'accès à l'information du public doit être garantie et respectée. Les journalistes ne sont pas supposés défendre et protéger les intérêts de l'État, ce sont les autorités de l'État qui en ont la charge », déclare le TGS-TGC dans un communiqué commun.

Pour sa part, le SNJ-CGT, avec les autres syndicats de journalistes français (SNJ et CFDT-Journalistes), membres de la FEJ, ont adressé une lettre à l'ambassadeur de Turquie en France pour exiger leur libération. À ce jour, cette missive est restée sans réponse.

En janvier dernier, Can Dündar avait publié dans son journal la une de Charlie Hebdo peu après l'attentat qui avait coûté la vie aux journalistes de l'équipe ; il avait été le seul média du monde arabo-musulman à oser le faire.