25 septembre 2020 | Mise à jour le 25 septembre 2020
Dans Un pays qui se tient sage, son premier film documentaire, David Dufresne continue à dénoncer les violences policières. Une réflexion de philosophie politique éclairée par un vrai dispositif de cinéma.
Après le recensement sur Twitter des témoignages de blessés durant le mouvement des Gilets jaunes (« Allo @Place_Beauvau – c'est pour un signalement ») puis un roman très politique, Dernière Sommation, tiré de cette matière, le journaliste et écrivain David Dufresne devient cinéaste. Après le constat clinique puis l'analyse intime, il ouvre maintenant le débat sur grand écran : son documentaire, Un pays qui se tient sage, est la prolongation de son travail de lanceur d'alerte.
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Cinéma direct
L'impact est double. D'abord, parce qu'en projetant sur grand écran les images, recueillies sur smartphones, des exactions des forces de l'ordre durant les manifestations, il leur donne un nouveau statut où se dessine un contre-récit du discours de l'État, un cinéma direct, un cinéma de témoignage politique. Humiliations, bousculades, gazages, tirs, brutalité physique disproportionnée et zélée, dérapages évidents…
Une déferlante mondiale contre le racisme, les violences policières, l'impunité, et pour l'égalité des droits
Les séquences brutes – dont 95 % sont sourcées, créditées – montrent concrètement des yeux crevés, des mains arrachées, des joues trouées, des lynchages de personnes à terre encerclées. Et elles interrogent : qui a la légitimité de la violence ? L'État afin de maintenir l'ordre social ? Les citoyens qui se mobilisent contre la violence de ses politiques sociales d'austérité ?
Un débat citoyen
Ensuite, parce qu'il invite plusieurs acteurs – du rapporteur spécial des Nations Unies au cariste, à la femme au foyer en passant par les historiens, sociologues ou avocats, tous sont mis sur le même plan – à réagir à celles-ci, à les analyser, à les éclairer et parfois même à en débattre. Au cœur de ce dispositif, toujours, la question – cruciale – de la police, de son rôle, de sa place dans notre société. Et les risques encourus par la démocratie. Le film devient peu à peu une réflexion passionnante de philosophie politique.
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Un titre en miroir
En titrant son documentaire « Un pays qui se tient sage », Dufresne transpose une sentence emblématique des violences policières en banlieue et alerte sur une dérive qui s'étend progressivement à un pays tout entier. « Voilà une classe qui se tient sage », c'est la petite phrase du policier qui avait filmé plusieurs dizaines de lycéens mis à genoux et mains derrière la tête – tels des terroristes – à Mantes-la-Jolie (Yvelines) en décembre 2018, et avait publié le tout sur les réseaux sociaux.
Conscientiser
Malmener, conscientiser. Le film soumet le spectateur à une immersion pénible. Il prend aux tripes avant de susciter la réflexion. Reste une question : quel impact auront ces images de violences policières ? Vont-elles nourrir des résistances citoyennes ou faire, malgré elles, le jeu du pouvoir d'État en renforçant un climat de peur ?
Nouveau schéma de maintien de l'ordre
Impossible de ne pas relier le travail d'enquête, de lanceur d'alerte et de cinéaste de David Dufresne à la présentation, le 17 septembre, du « nouveau schéma national du maintien de l'ordre » qui sous prétexte de protéger les journalistes voudrait, dans les faits, les empêcher de faire leur travail. Une atteinte à la liberté de la presse qu'une quarantaine de sociétés de presse ont dénoncé dans une tribune publiée dans Libération, le 22 septembre.
https://youtu.be/FDCnWwan7IM