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Une justice à deux vitesses

18 juin 2014 | Mise à jour le 26 avril 2017
Par
Les avocats français appelaient le 5 juin à participer à une journée d'action nationale contre le faible taux de l'aide juridictionnelle, une indemnisation allouée par l'État à la profession pour défendre.
Charlotte Hodez
est avocate au barreau de Paris

 

 

nvo Pourquoi cette mobilisation des barreaux le 5 juin ?

Charlotte Hodez Les moyens accordés à l'aide juridictionnelle sont insuffisants. On finit par faire peser sur les cabinets d'avocats le coût de la défense. Pour nous, c'est difficile de passer autant de temps et de travailler aussi bien et de façon aussi approfondie que pour un dossier classique, même si on fait bien évidemment notre maximum pour cela. La rétribution est disproportionnée entre un dossier d'aide juridictionnelle (AJ) et un dossier payant, même si on s'adapte forcément aux revenus de nos clients. Que ce soit en matière pénale ou en matière prud'homale, l'AJ est très insuffisante. Un dossier d'aide juridictionnelle devant les prud'hommes m'est payé 800 euros par l'État. Ces dossiers d'AJ devant les conseils des prud'hommes, qui durent dix-huit mois, sont lourds à supporter pour un cabinet d'avocats rétribués uniquement par ces aides.

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LES AVOCATS QUI FONT
DE L'AIDE JURI­DIC­TIONNELLE ONT UNE DÉMARCHE MILITANTE
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QU'EST-CE EXACTEMENT QUE L'AIDE JURIDICTIONNELLE. QUI EN A BESOIN ?

C'est une aide de l'État qui permet de financer les procédures pour les justiciables dont le foyer a des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois environ. Il s'agit de personnes défavorisées qui ont des revenus modestes et qui ne pourraient pas avoir accès à la justice s'il n'existait pas cette aide juridictionnelle. C'est très bien que l'aide juridictionnelle existe. Ce qui est difficile c'est que la rétribution de l'avocat est très modeste par rapport à la lourdeur des dossiers. En outre, une partie de la population des travailleurs que j'assiste est exclue du bénéfice de l'AJ : ce sont les travailleurs sans papiers, sans titre de séjour. Ils sont pourtant en nombre assez important, mais ils ne peuvent se faire assister en bénéficiant de l'aide juridictionnelle devant les conseils de prud'hommes. Ils ne peuvent avoir accès à l'AJ que pour leur procédure d'aide à l'accès au séjour. Par contre, pour les procédures devant le conseil des prud'hommes ce n'est pas possible, parce qu'il y a une condition de séjour qui figure dans la loi de 1991.

QUELS TYPES D'AFFAIRES AVEZ-VOUS DÉFENDUS DANS LE CADRE DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE ?

Je défends essentiellement des salariés devant le conseil des prud'hommes, des salariés devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. J'ai défendu par le passé pas mal de personnes devant les juridictions de droit de la famille, ou devant le tribunal pour enfant.
J'ai récemment défendu une salariée victime de harcèlement moral dans le cadre de l'aide juridictionnelle. Ça a été un long parcours judiciaire. Elle a fini par obtenir gain de cause. Mais il est vrai que si elle n'avait pas eu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, elle n'aurait jamais saisi les tribunaux. Ça a duré quatre ans, pour une rétribution d'AJ à peu près égale à 1 300 euros au total. Cette personne avait été victime de harcèlement après une longue carrière au sein d'une même société. Elle a été licenciée, dans un état de faiblesse caractérisé. Si elle avait dû faire face à des honoraires, elle se serait complètement découragée compte tenu de ses faibles indemnités à Pôle emploi, avec un résultat aléatoire puisqu'on n'est jamais sûr du résultat. L'aide juridictionnelle lui a permis d'affronter cette procédure : c'est quand même un bon système. Ce même type d'affaire, sur quatre ans, correspond à quarante heures de travail. Le moindre cabinet d'avocats facture au minimum entre 150 et 200 euros par heure de travail. Je vous laisse faire le calcul…

POURQUOI FAUT-IL REVALORISER L'AIDE JURIDICTIONNELLE ?

Nous sommes face à une justice à deux vitesses entre l'aide juridictionnelle et les dossiers payants, et forcément au préjudice des plus défavorisés. Beaucoup d'avocats refusent de prendre l'aide juridictionnelle parce que c'est trop lourd à porter, parce que ça affaiblit leur revenu et prend énormément de temps. Sur le barreau de Paris, il n'y a aucune obligation de prendre l'aide juridictionnelle. Ceux qui font de l'aide juridictionnelle ont une démarche militante. On choisit d'aider les personnes défavorisées en s'inscrivant volontairement sur une liste. Le barreau vérifie ensuite si l'avocat a bien la formation nécessaire dans le domaine où il souhaite intervenir.