« Nord-sud, faire pression des deux côtés »
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Souvent, trop souvent à leur goût, on parle d'elles, les Atelières, en disant les « ex-Lejaby ». Non qu'elles aient oublié leur long parcours semé de droits d'alerte, d'interpellations diverses, d'occupations d'usines, de courriers à l'Élysée et de manifestations en tous genres. Mais tout cela est loin. Elles sont, disent-elles « dans une autre dynamique ». Pourtant, il faut bien y revenir.
Tout commence, si l'on peut dire, à la mort du patron de l'entreprise familiale Lejaby (siège social à Rillieux dans le Rhône) en 1996. Rien n'avait été anticipé. D'où – classique – l'arrivée tonitruante d'un groupe américain, Warnaco. Les 1 100 salariés, dont 80 % de mécaniciennes, réparties sur huit sites de production en Rhône-Alpes et en Haute-Loire, doivent faire face à un nouveau management, dont on imagine la brutalité « qu'il a fallu intégrer et subir ». Avec ce que ça suppose de souffrance. Puis voilà très vite le défilé des plans sociaux : trois très rapprochés, « tous destructeurs d'emplois et inhumains, avec toujours plus de délocalisations au détriment de nos emplois en France », se souviennent-elles. En 2003, c'est la suppression de quatre sites et de 230 emplois. Justification : c'est moins cher de produire en Afrique du Nord. En 2008, Warnaco s'envole pour d'autres aventures en cédant la société à un groupe autrichien, Palmers Textil. Lequel, lui non plus, ne trouve rien de mieux que de fermer encore des sites. Tout cela sur fond de procès entre les deux affairistes, Palmers, s'estimant floué, voulant faire annuler la vente.
Coup de grâce en 2011, l'entreprise, exsangue, est mise en liquidation par le tribunal de commerce de Lyon. Il le savait, Palmers, que le point faible de Lejaby était son réseau de distribution dans l'Hexagone. Que n'a-t-il mis le sien au service de son nouveau trophée ? Ignorant des interpellations des salariés par le biais d'experts et de leurs syndicats, il justifiait son fiasco du fait qu'il aurait hérité d'une trésorerie plombée. Pas possible donc d'investir dans le réseau commercial. « Mais alors, que venait-il faire dans cette galère, si ce n'est pour la couler ou, du moins, œuvrer sournoisement aux ultimes délocalisations vers l'étranger ? », écrivions-nous alors, avec quelque raison. En même temps, les malfaçons de la production sous-traitée au Maghreb étaient telles que les articles faisaient d'innombrables allers et retours avec le siège social… et que les clients se tournaient peu à peu vers d'autres fournisseurs. De même, le design effectué en Autriche était à mille lieues des exigences esthétiques et qualitatives de Lejaby.
C'est donc une nouvelle épreuve pour les quelque 400 salariés qui avaient échappé au saccage de la prestigieuse marque familiale française fondée en 1930. Parmi les repreneurs qui se mettent sur les rangs, c'est un certain Alain Prost, ex-PDG de La Perla et ex-directeur de Chantelle, qui l'emporte. Alors que, sans ciller, il avait prévenu qu'il fermerait le dernier site, l'atelier d'Yssingeaux en Haute-Loire, et ne garderait qu'une partie des 250 employés du siège de Rillieux, dont, éventuellement, la petite unité de production qui y était abritée (20 personnes), qu'il dédirait à du haut de gamme.
On est en plein drame, mais surtout, alors, en pleine campagne de l'élection présidentielle. Foi de Sarkozy, « les filles » d'Yssingeaux n'iront pas pointer au chômage. Le candidat, on le sait, a des copains. Il annonce, fanfaronnant, qu'il a trouvé l'homme de la circonstance qui, dans le coin, a besoin de main-d'œuvre… Mépris de ces personnels et de leur savoir-faire en matière de lingerie française de luxe. Il s'avérera que c'est un maroquinier… Incongruité que, louangeuse, la presse ne relèvera pas. Le personnel – on le comprend – acceptera globalement sa reconversion.
Sur les ruines de Lejaby, Prost crée « Maison Lejaby » qui, à part quelques prototypes, ne produit rien en France. Mais en Tunisie, au Maroc et à un moindre degré en Asie. Ironie de l'histoire, les Atelières lui font aujourd'hui sa ligne « couture » de luxe. C'est le seul atelier qui demeure sur notre sol, avec un autre, Macosa, au Mans.
Mais qui sont-elles donc, ces Atelières ? On est en janvier 2012, c'en est donc fini de la production Lejaby. Quelque part dans l'agglomération lyonnaise une femme, Muriel Pernin, propriétaire d'une société de communication spécialisée dans le développement durable, l'environnement et la citoyenneté, est devant son poste de télé. Elle se souvient : « Je ne sais pas ce qui m'a pris, ce jour-là, face à la détresse de femmes qui perdaient leur emploi. L'émotion certainement. Car comment rester insensible ? Aussi l'envie de relever la tête et de refuser le fatalisme. J'ai pris mon téléphone, j'ai appelé quelques amis ou relation. J'ai écouté. »
Des militantes syndicales se mobilisent. CGT et CFDT. Nicole Mendez, déléguée CFDT chez Lejaby, que rencontre Muriel Pernin dans un bar de Rillieux, laquelle souligne son « humanisme » et sa « détermination à toute épreuve ». Et puis Janine Caillot, déléguée CGT de Lejaby : « Les grandes maisons de couture et de lingerie ont concentré leur production à l'étranger », dans les pays à bas coût. Ce, « au détriment de nos emplois en France. On se dit qu'avec les connaissances ouvrières licenciées, on peut créer un atelier haut de gamme en France. Et si on réussit, ce sera la preuve qu'un nouveau modèle économique est possible, conjuguant sur le marché de la lingerie-corseterie de luxe l'audace industrielle et l'excellence du savoir-faire ».
Rapidement, se crée le groupe fondateur de ce qui va devenir une Scic : neuf membres dont six ex-Lejaby. Et les voilà qui tapent à toutes les portes pour convaincre du bien-fondé économique et humain et, bien sûr, obtenir des financements. Pas facile, mais un élément fut déterminant : elles lancent, sur Facebook, un appel à l'épargne solidaire. Et ça marche ! Le retentissement médiatique est exceptionnel. 85 000 euros sont ainsi recueillis. Tant et si bien qu'avec les fonds propres des initiateurs, 215 000 euros, elles impressionnent les « décideurs » : l'État, la Région se fendent d'une aide 200 000 euros.
Avec 500 000 euros, les Atelières peuvent enfin travailler. Un local est trouvé dans une petite rue de Villeurbanne, très vite investi par une trentaine de couturières et couturiers. Dont quatre anciens de Lejaby, les autres étant envoyées par Pôle emploi qu'il a fallu former à l'excellence. Muriel est leur PDG, non rémunérée. Les commandes sont là, émanant de Zahia, Jolie Môme, Agnès B et d'autres… Un an passe et patatras. Début mars, les banques sollicitées par Muriel Pernin refusent de consolider les financements prévus par le préfet de région via les fonds de revitalisation, alors que la Scic a un urgent besoin de cash.
Les Atelières font savoir qu'elles sont amenées à demander leur liquidation judiciaire. « C'est un crève-cœur pour celles et ceux qui ont eu l'espoir de relancer un atelier de lingerie-corseterie haut de gamme. Dans notre pays, les banques sont plus fortes que la République. Avec notre argent, elles exécutent chaque jour des dizaines de PME », dénonce sur Internet la présidente des Atelières, mais aussi la spécialiste en communication. Et de s'interroger sur le rôle de la Banque publique d'investissement et de ses dispositifs liés à l'innovation, « uniquement centrés sur la robotisation au mépris des savoir-faire humains ».
Les salariés eux-mêmes s'adressent aux pouvoirs publics : « Durant cette première année, l'entreprise nous a permis d'améliorer notre savoir-faire à travers un programme de formation et d'acquérir d'autres compétences. Nous sommes en train d'inventer un nouveau schéma d'organisation pour la production de petites séries, inédit dans la filière habillement. Tous nos efforts risquent d'être réduits à néant, bien que des gens croient en nous et nous soutiennent », précisant avec quelque bon sens « nous préférons que les institutions nous aident aujourd'hui, nous voulons rester acteur de la vie économique, plutôt que demain en être écartés en étant au chômage ».
Branle-bas de combat au ministère de l'Économie. Lequel organise une réunion avec les Atelières sous l'égide d'Arnaud Montebourg, en présence d'Isabelle David, secrétaire générale de la préfecture du Rhône, de la Banque publique d'investissement et de banques. Inutile de rêver, Muriel Pernin ne revient pas sur ses terres lyonnaises en criant victoire. Mais des « engagements à moyen terme » ont été pris. On suivra avec intérêt la constitution, par le Préfet, d'une « mission » travaillant sur « le secteur textile et ses composantes rhônalpines : textile de luxe, lingerie, textile médical ». Des corsets pour le secteur médical auxquels les Atelières croient dur comme fer. Voulant y croire, les Atelières ont donc renoncé à demander la liquidation de leur société, et, habituées à compter sur elles, en attendant, ont lancé un nouvel appel à la souscription sur Internet : les bons sont de 10 ou 20 euros, le ticket d'entrée au capital de 5 000 euros. L'orage est passé. Les machines sont reparties à Villeurbanne. Le nouvel appel sur Facebook a déjà rapporté plus de 40 000 euros.
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