Projet de loi de finances 2021 : un budget comme si de rien n’était
Emballement de l’épidémie, aggravation de la récession, explosion de la pauvreté et du chômage, prévision de croissance irréaliste… Imperméable à la situation... Lire la suite
Le contexte. Il est celui de la persistance de la crise en Europe et de la stagnation qui se prolonge dans la zone euro, menacée désormais par la déflation. Il alimente à nouveau la critique sur les politiques européennes d'orthodoxie budgétaire.L'enjeu. La relance du débat débouchera-t-elle sur un véritable changement de cap de la politique économique en Europe ? Ou sur un simple ajustement du rythme des politiques de consolidation budgétaire ?
Le discours du ministre des Finances ne laisse aucun doute : « Malgré le contexte économique défavorable, le gouvernement maintient la stratégie économique présentée au printemps et respecte ses engagements. » Autrement dit, il persiste et signe. Le budget 2015 a été adopté à une courte majorité, il doit encore être voté le 18 novembre en première lecture par l’Assemblée, avant examen au Sénat.
Mais son élaboration date du tout début d'année et du grand tournant annoncé par le président : le tournant de l'offre que le projet de loi de finances se contente, si l'on peut dire, de mettre en musique. Un plan d'économie de 50 milliards d'euros en trois ans entièrement consacré, ou presque, au soutien aux entreprises, c'est ainsi qu'on pourrait cette année résumer l'exercice budgétaire. Ce faisant, le gouvernement ne tire aucune leçon des budgets précédents ; s'enferrant dans une stratégie de baisse des dépenses publiques et sociales, il prend en effet le risque de dégrader encore un peu plus l'activité et l'emploi et d'affaiblir encore la cohésion sociale. Sans pour autant parvenir à agir sur un déficit dont la réduction est du coup renvoyée à 2017, en toute fin de quinquennat. Retour rapide et en trois points sur les principales dispositions du projet de loi de finances pour 2015 qui concrétisent ce grand tournant…
Le gouvernement se propose avec le projet de loi de finances pour 2015 d'accentuer encore la compression des dépenses. C'est la première et massive caractéristique du projet de budget. Se vantant d'ailleurs d'une rupture et d'un effort historiques sans précédent, le gouvernement programme en effet une diminution des dépenses d'une ampleur inédite : 50 milliards d'euros d'économies en trois ans, dont 21 milliards d'euros en 2015 et 14,5 milliards chacune des deux années suivantes.
Certes, il ne s'agit pas d'une baisse « sèche » des dépenses mais d'une moindre augmentation de la hausse tendanciellement prévue. Il n'empêche, le coup de frein est brutal pour des dépenses qui ont déjà nettement ralenti. En volume, la hausse des dépenses publiques, qui était de 2 % par an en moyenne entre 2002 et 2011, est tombée à 1,1 % en 2012 et à 1,3 % en 2013. Elle est prévue à 0,9 % en 2014 et ne devrait pas dépasser 0,2 % en 2015, 0,5 % en 2016 et 0 % en 2017… Au total, la dépense publique progresserait donc nettement moins rapidement que le produit intérieur brut sur la période 2015-2017 ramenant le poids des dépenses publiques dans le PIB de 56,5 % en 2014 à 54,5 % en 2017…
Mais ces calculs sont tout théoriques et le gouvernement sous-estime, comme d'ordinaire, l'impact récessif de ses décisions. Dans un pays où la dépense publique soutient près de la moitié des débouchés, soit directement par la production des services publics, soit indirectement par le biais des prestations sociales distribuées, le risque est en effet non négligeable.
Concrètement, les 21 milliards d'euros d'économies de 2015 se traduiront donc par une austérité renforcée, à tous les étages. Elle sera principalement supportée par la Sécurité sociale (– 9,6 milliards, voir l'encadré), l'État (– 7,7 milliards), mais aussi les collectivités territoriales qui verront leurs dotations budgétaires baisser en euros courants de 11 milliards d'euros à l'horizon 2017, à un rythme régulier de 3,7 milliards d'euros par an, soit plus du double de la première baisse des dotations enregistrée en 2014 (– 1,5 milliard). Une évolution pour le moins inquiétante quand on sait que les collectivités assurent à elles seules près des trois quarts de l'investissement public.
Une austérité qui se paiera aussi de nouvelles pertes de pouvoir d'achat pour les fonctionnaires qui voient leur point d'indice gelé au niveau de juillet 2010 jusqu'en 2017, tandis que l'enveloppe des mesures catégorielles sera à nouveau réduite de moitié l'an prochain. Enfin, bon nombre de missions qui, compte tenu du contexte, devraient être prioritaires verront leurs moyens rognés. C'est le cas notamment de l'écologie et du développement durable dont le budget recule en 2015 de 6 %. C'est le cas également du budget du travail et de l'emploi qui baissera de 340 millions d'euros dès l'an prochain et de 1,57 milliard d'ici 2017, soit une baisse cumulée de 14 % en trois ans…
Si c'est toujours au nom de l'assainissement des finances publiques que cette politique est menée, l'objectif de réduction du déficit passe cependant cette année au deuxième plan. De 4,4 % du PIB, il ne devrait être ramené qu'à 4,3 % en 2015, le passage sous la barre prétendument fatidique des 3 % qui marque la conformité avec l'orthodoxie européenne étant renvoyé à 2017.
La priorité l'an prochain, c'est la politique de l'offre actée en début d'année et confirmée au printemps 2014. Ainsi sur les 50 milliards d'économies programmés d'ici 2017, 40 milliards d'euros seront consacrés à la baisse des prélèvements sur les entreprises par le biais de la montée en charge du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et du pacte de responsabilité qui mobilise plus de 20 milliards d'euros supplémentaires sur trois ans.
Les mesures qui seront effectives au 1er janvier 2015 ont déjà été votées à l'été 2014. Elles consistent en un allégement de cotisations sociales sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic pour 4,5 milliards d'euros qui s'accompagne de la suppression de la distinction entre entreprises de moins de 20 et de plus de 20 salariés ; un allégement de cotisations des travailleurs indépendants pour un milliard d'euros et de la suppression d'une première tranche de contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) pour un milliard d'euros.
À compter de 2016, les allégements de cotisations sociales seront étendus « pour amplifier la baisse du coût du travail et, afin de soutenir l'investissement productif, la C3S sera progressivement supprimée et l'impôt sur les sociétés allégé ». C'est, on le voit, tout un programme…
Officiellement, ces sommes devraient permettre aux entreprises de retrouver les marges nécessaires pour embaucher, former leurs salariés, investir et innover. Concrètement, il y a fort peu de chance que cette fable se réalise. Parce qu'économiquement c'est un pari perdu d'avance. En situation de faible croissance, quand il existe des surcapacités de production, et que la déflation menace, il n'y a aucune chance qu'une quelconque baisse du coût du travail entraîne de l'investissement ou de l'embauche. C'est, comme le prouve l'expérience du CICE, le carnet de commandes, la demande et les perspectives de débouchés qui commandent. Et la baisse des dépenses publiques et sociales ne risque guère de les arranger. Il y a donc fort à craindre que la stagnation actuelle se poursuive.
Le ministre du Budget l'avait annoncé l'an passé : « Chaque économie supplémentaire ce sont des impôts en moins pour les Français. » Le ministre des Finances le martèle cette année : « C'est grâce aux économies que nous pouvons financer les baisses de prélèvements, en particulier la réforme du bas du barème de l'impôt sur le revenu que nous vous proposons. » Et Michel Sapin de lourdement insister : « C'est grâce aux économies que nous redonnons 3,2 milliards d'euros aux ménages moyens et modestes. C'est grâce aux économies que nous faisons bénéficier 9 millions de foyers fiscaux d'une baisse de leur charge fiscale. »
Et l'on pourrait poursuivre la litanie. Il est vrai que, pressé de faire la preuve que les allégements ne concernent pas que les entreprises, le gouvernement a multiplié cette année les annonces en direction des contribuables modestes. Après la réduction exceptionnelle d'impôt sur le revenu en 2014 adoptée cet été, l'effort est amplifié dans la loi de finances 2015 avec la réforme du bas du barème de l'impôt sur le revenu et notamment la suppression de la première tranche. La combinaison de ces deux mesures devrait bénéficier à 9 millions de ménages pour un montant de 3,2 milliards d'euros.
Le gouvernement fait grand cas de la mesure. Elle redonnera, prétend-il, du pouvoir d'achat aux plus modestes et introduira plus de justice dans notre système fiscal.
Même si la mesure risque fort d'être bien accueillie par les premiers intéressés, elle ne conduira pas à davantage de justice fiscale. D'abord parce qu'elle réduira encore le poids de l'impôt sur le revenu, qui est pourtant le seul impôt progressif, et accroîtra donc la place des impôts proportionnels comme la TVA qui sont les plus injustes.
Ensuite parce qu'elle réduira la progressivité de l'impôt sur le revenu et affaiblira encore un peu plus un consentement à l'impôt qui a tendance à se déliter.
Enfin, si elle n'améliorera guère le pouvoir d'achat des ménages – son montant est moitié moins élevé que ce que rapporte la hausse de la TVA décidée l'an passé –, elle risque fort, en revanche, de signer le renoncement du gouvernement à toute réforme fiscale d'envergure comme promis par le candidat Hollande. C'est si vrai d'ailleurs que le budget 2015 promeut de nouvelles mesures qui sont à l'exact opposé des promesses de 2012. Ainsi du renforcement, au prétexte de favoriser la construction de logements, des niches fiscales sur l'investissement dans le logement neuf qui profitent systématiquement aux plus riches…
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