La mobilisation s’impose toujours
Les syndicats se disent déterminés à être entendus par un gouvernement qui veut tourner la page et passer à d'autres réformes. Lire la suite
Tout sourire, elle s'affaire auprès du camion de la CGT de l'Essonne, en quête d'autocollants à placarder sur son blouson. Elle paraît si jeune qu'on peine à croire à ses 23 ans. Qu'à cela ne tienne, Sarra exhibe fièrement son carnet de syndiquée CGT. « Je me mobilise aujourd'hui contre la loi travail de Macron tout comme je l'ai fait contre la loi El Khomri, puisque ce sont les mêmes projets de société que je rejette en bloc et qu'il faut combattre. Voilà pourquoi j'ai décidé d'adhérer à la CGT en mai 2016. » Ce qu'elle attend de cette manifestation ? « Que ce ne soit pas la dernière et que le gouvernement finisse par nous entendre, qu'il retire sa copie et cesse de faire passer des lois de régression sociale par ordonnances : ce n'est pas carrément pas démocratique. »
Julien, la trentaine, travaille à la Fondation Méquignon, une maison d'enfants à caractère social de Seine–Saint-Denis. Il est en grève comme une dizaine de ses collègues, pour pouvoir participer à cette première manifestation contre la loi Macron : « De toute façon, c'est la même loi que la loi El Khomri, en pire. Alors, bien sûr, on n'a pas hésité une seconde à venir manifester aujourd'hui. Lucide, le jeune homme sait bien que cette journée d'action ne suffira pas à faire reculer le gouvernement. » « Oui, oui, j'ai bien entendu le ministre dire qu'il ne reculera pas, mais j'ai aussi entendu Mailly dire qu'il n'appellerait pas FO à manifester. Et pourtant, FO est là et j'ai même vu des militants de la CFDT — je les félicite tous — et j'en profite pour dire qu'il faudrait valoriser la démarche de ces militants courageux. » Pour la suite, « Déjà, qu'on arrête de se diviser, dans le mouvement syndical et à gauche en général, sinon, on ne va pas y arriver. » Grève générale ? « C'est ce qu'il faudrait, mais chez nous par exemple, ça va être très compliqué, 60 % des salariés sont en CDD et ne peuvent pas toujours prendre ce risque. »
Isabelle Foucher est syndiquée au syndicat CGT des Archives nationales. Un service public, pas pour autant « assuré tous risques » contre la loi travail XXL. « Bien sûr que nous nous sentons concernés, la loi travail n'est qu'une première étape d'un train de réformes qui concerne toutes les catégories salariales. » Ce qu'elle attend de cette manifestation ? « Ce n'est qu'une première étape, et si on veut gagner la bataille, il faut rester mobilisés dès le 13 septembre, en continu, pas en mode saccadé comme l'an dernier contre la loi El Khomri. » Derrière leur banderole, les collègues d'Isabelle ne sont pas moins déterminés, qui exigent le retrait de cette loi et de la précédente de 2016. « Les conséquences sont bien trop importantes pour l'ensemble des salariés, du privé comme du public. Nous ne nous leurrons pas sur les prochaines réformes qui vont cibler la fonction publique. » Les archivistes seront d'ailleurs dans la rue le 21 septembre. Après cette première manifestation, ils attendent « Un mot d'ordre vigoureux et non pas une succession d'appels à manifester et à se mobiliser chacun selon les moyens du moment. Nous ne sommes pas dans des revendications locales ou catégorielles, mais dans une opposition frontale à un projet de société dont nous ne voulons pas. Encore moins pour nos enfants : je ne veux pas les savoir soumis à leur patron au point d'accepter n'importe quoi. Je ne veux pas les savoir précaires à durée indéterminée, je veux pour eux qu'ils puissent choisir leur métier et les conditions de l'exercer. »
Pour Tangui Perron, historien dans le champ social, chercheur, en charge du patrimoine,
« Une mobilisation qui ne parvient pas à inverser la donne est le signe que le rapport de force n'était pas encore à la hauteur de l'enjeu, d'où la nécessité de se remobiliser à partir d'aujourd'hui, sans discontinuer. » La division syndicale est pour lui « une stratégie du gouvernement, mais qui ne résistera pas longtemps au réel. Il n'y a qu'à voir la mobilisation des bases de FO aujourd'hui pour s'en convaincre. » Pour la suite, Tangui Perron identifie deux priorités : la mobilisation continue sous toutes les formes possibles et, en parallèle, l'intensification de l'éducation populaire, l'information précise quant à ce qui se joue pour chacune et chacun avec cette loi dont la technicité tend à occulter les impacts très concrets. « Les mots d'ordre, même radicaux, c'est bien gentil, mais la priorité des priorités, c'est d'informer. » Quid des qualifications de « fainéants, cyniques et extrémistes », pour l'historien ? « Ces mots révèlent le mépris total de Macron pour le monde du travail. Le président ne maitrise pas toute sa communication, c'est de plus en plus visible. » Les « sans-dents » de Hollande, rappelle-t-il, auront coûté fort cher au président Hollande. « Il en ira de même pour Macron et de sa prestation en Grèce ». D'où l'importance de la bataille sur les mots. « Si Emmanuel Macron a su marquer des points dans l'opinion avec son concept de modernité qui masque en réalité une régression inédite, c'est qu'il a le talent de piéger les mots. Nous devons prendre toute la mesure de cette dimension sémantique et nous réapproprier les mots pour bien désigner les maux, en adoptant une communication irrévérencieuse qui ne craint pas le clivage. »
Les jeunes socialistes sont venus en nombre. Ils entonnent leur slogan, « Retrait, retrait de la loi travail ». « Pénicaud, à l'échafaud », peut-on lire sur des pancartes artisanales qui fleurent bon la fraîcheur offensive des années « fac ». Pour Benjamin Lucas, leur président, « Notre devise, c'est d'être toujours présents à chaque manifestation, comme à chaque initiative du mouvement social en général. » Croit-il possible de faire aujourd'hui reculer le président qui a déjà inspiré la loi El-Khomri ? « Bien sûr que c'est possible, nous sommes là pour ça, et nos revendications sont claires : nous voulons le retrait de ces deux lois. » Certes, il en convient, une seule mobilisation, même réussie, n'y suffira pas. « Sauf que nous sommes prêts à mener un combat beaucoup plus long qu'en 2016 », assure-t-il.
Benjamin Lucas insiste : « Nous avons toujours assumé la sincérité de nos convictions contre cette première loi travail et nous avions raison de dire que cette loi-là condamnait les socialistes à perdre les élections. » Les jeunes socialistes sont lucides, dit-il, et ils sont très hostiles au projet de loi travail du président Macron dont la prétendue « modernité » ne sert qu'à travestir les vieux fantasmes du patronat. « Ce que les jeunes voient aujourd'hui, c'est que monsieur Macron est un président anti-jeunes, qui se leurre à nous croire acquis à sa cause libérale, alors que c'est très loin d'être le cas (…) Voilà trente ans que les gouvernements successifs expliquent à la jeunesse que la régression sociale, c'est la modernité, alors qu'en réalité, c'est la précarité généralisée. Or la précarité, les jeunes n'en veulent pas. » Benjamin voit aussi dans la baisse de 5 euros des allocations logement (APL), « la preuve d'un tel mépris vis-à-vis des jeunes. Ce président est totalement déconnecté. »
« Macron, il a juste oublié que ce n'est pas lui qui décide pour nous et, d'ailleurs, même élu démocratiquement, il n'a qu'une faible légitimité électorale et n'a aucune base sociale. » Et si la loi travail devait passer malgré tout ? « On sera de toutes les mobilisations jusqu'à contraindre le gouvernement à abroger les deux lois travail », assure Benjamin Lucas.
Ben est radieux sous le soleil réapparu entre deux pluies. Il est en grève, ainsi que ses collègues, agents territoriaux de La Courneuve, depuis cinq jours et ce n'est pas fini. Lui, est directeur adjoint d'un centre de loisirs et mène un combat contre la suppression des contrats précaires qui pénalisent la rentrée. Pour lui, les manifestations du jour réussies « nous sommes nombreux et divers, mais il n'en sortira rien aujourd'hui. Il va falloir persévérer (…) Nous avons un usurpateur à la tête de l'État et il ne reculera pas. Mais, nous non plus, on ne reculera pas et on continuera de manifester jusqu'à casser ses lois. » Pour lui, les vraies priorités portent sur le traitement de la misère qui ne cesse de s'accentuer en Seine–Saint-Denis. Il ajoute : « J'en ai connu, des grèves et des mobilisations qui n'ont pas abouti, mais là, c'est tellement énorme qu'on finira par les faire abroger, ces lois Macron. On ne se contentera pas de petits aménagements autour des lignes rouges, que ce soit dit. »
Sarah, Laurie et Ilissa s'activent dans le cortège des « féministes révolutionnaires ». Impossible de ne pas les remarquer. Elles sont jeunes — entre 18 et 25 ans —, étudiantes, salariées à la petite semaine pour certaines, mais aucune n'envisage son avenir en mode précaire à vie. Déjà très mobilisées en 2016 contre la loi El Khomri, elles retrouvent aujourd'hui le chemin des luttes contre la loi Macron. « On avait déjà pointé les régressions pour les femmes dans la loi travail 1, mais là, c'est le pompon ! » Elles espèrent que cette manifestation sera le point de départ d'une mobilisation de masse, dans tous les secteurs de travail et de l'université. « Les mots d'ordre, ils vont venir de la rue, ça se voit déjà depuis le mois d'août et c'est inédit chez les étudiants…) La fac n'a pas encore ouvert ses portes et nous sommes déjà mobilisées », souligne Ilissa. « Macron ne reculera pas, mais nous non plus (…) On est très mobilisées dans les universités, où nous organisons déjà des assemblées générales pour informer les étudiants. Et on passe à la vitesse supérieure avec la mise en place de comités de mobilisation. » Et dans leur fac, rendez-vous est donné le 30 septembre pour une première journée d'étude ouverte à tous, suivie d'un apéro festif.
« Cadre en solde », ainsi s'affiche Bernard, cadre chez Orange. « Je suis sur le site d'Arcueil (94) où 95 % des 6000 salariés sont cadres, mais nous n'encadrons plus rien ni personne. » Bernard est bien conscient que la loi travail 2 concerne aussi — voire tout particulièrement — les cadres. Mais pour ses collègues « C'était déjà très difficile de les mobiliser contre la loi El Khomri, la plupart ne se sentaient pas vraiment concernés. » Mais « L'Ugict-CGT va venir cette semaine pour nous informer de toutes les conséquences bien concrètes de cette deuxième loi travail, et là je pense que mes collègues vont vouloir à leur tour se mobiliser, il y a d'ailleurs des signes assez clairs de ralliement à la CGT du fait que nous sommes en période préélectorale dans l'entreprise et que de nombreux salariés, hier encore indifférents à ces fonctions de représentation des personnels, ont manifesté leur disponibilité. C'est le signe que ça bouge dans les consciences. »
Bambo Cissoko exhibe fièrement la belle banderole de l'intersyndicale CGT, Sud-Solidaires. On peut y lire, « Vélib, reprise des salariés par Smoovengo », mais ce n'est pas une information : « c'est notre revendication, Moovengo a récupéré le contrat de maintenance des Vélib sur Paris et Lyon, mais sans reprendre les salariés de Vélib. » Leur présence à cette manifestation n'est pas exclusivement catégorielle : « Nous sommes l'illustration ce que va produire cette loi. Nous étions en CDI chez Vélib, et nous voilà transformés en CDD de mission, puis virés du jour au lendemain par Smoovengo qui récupère le contrat. » Ils ont ainsi « assigné Smoovengo au TGI ». Ils manifestent « pour récupérer notre travail. Oui, appelons ça des fainéants, puisque les mots ne veulent plus rien dire. »
Pas loin de là, le collectif des livreurs de Paris arbore lui aussi une belle banderole, avec ce message intriguant : « La rue est notre usine ». Ces autoentrepreneurs revendiqués se seraient-ils trompés de manif ? En quoi se sentent-ils concernés par la loi travail ? « L'autonomie, certes, on la revendique, mais pas la précarité qu'on nous impose en nous excluant de la protection sociale », assène Jérôme. Et son collègue d'ajouter : « On manifeste contre cette loi travail parce sinon, c'est quoi la perspective, voter FN en 2022 ? » Ils ont entendu parler de CoopCycle, qui développe une plateforme comparable à celle des Deliveroo, mais en mode collaboratif. « CoopCycle, c'est ça l'avenir et d'ailleurs, on travaille avec eux désormais parce qu'il est évident que le modèle collaboratif est le seul modèle économique possible. Pas seulement pour les livreurs, mais pour toute cette économie ubérisée, c'est le seul modèle économique viable alors que tous les autres ne seront jamais rentables. Ça, c'est acquis et démontré ». Ce qu'ils veulent ? Pas nécessairement intégrer le salariat stricto sensu. Mais ne pas non plus vivre à la petite semaine sans aucune protection ni garantie sociales. « Quand nous avons commencé à nous mobiliser et à faire du buzz dans les médias, l'algorithme de la plateforme nous a fourni moins de travail, voire plus de travail du tout pour les plus exposés d'entre nous. Allez expliquer devant un tribunal qu'un algorithme vous a repéré en pleine manifestation et qu'il a décidé de vous dégager de la plateforme en vous laissant sur le carreau juste parce que vous avez été vu à la télé ? »
Céline Parès, du Syndicat des avocats de France (SAF), est en fin de manif, boulevard de l'Hôpital. Cinq kilomètres durant depuis Bastille, elle a écumé moult ironies entre la phonétique de son patronyme et les récentes déclarations en forme d'accusations proférées par le président Macron depuis Athènes. « Oui, je sais, c'est une manifestation à ma gloire », s'amuse l'avocate. Mais très vite, elle alerte : « La manifestation, c'est très bien, mais on est loin, très loin du compte quand on sait le degré de méconnaissance des conséquences concrètes de cette loi travail 2 ». Le collectif dont elle fait partie a décidé d'improviser des réunions d'information avec les salariés dans les entreprises. Des portes s'ouvrent, comme c'est le cas chez ADP. « Il y a un vrai problème de compréhension quant à ce que contiennent les ordonnances », assure-t-elle. Notamment pour ce qui concerne le contrat de travail, les règles de licenciement… Le projet de loi contredit, rappelle-t-elle, nombre de normes internationales et européennes. C'est le cas, s'agissant de la barémisation des indemnités prudhommales au regard de l'article 24 de la Charte européenne des droits du travail, dont la France est pourtant signataire. Pestant contre les mensonges du gouvernement Macron, l'avocate insiste sur la nécessité d'informer les salariés le plus largement possible. Et à mobiliser. Et si la loi passe, « à nous tous de l'empêcher de s'appliquer. »
Les syndicats se disent déterminés à être entendus par un gouvernement qui veut tourner la page et passer à d'autres réformes. Lire la suite
À l'issue d'une réunion intersyndicale le 24 octobre, CGT, FO, Solidaires, pour les salariés , UNEF, UNL, FIDL, pour les lycéens et les étudiants ont appelé à une nouvelle... Lire la suite