Disparition de Marcel Bluwal, réalisateur engagé
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L'histoire n'a pas retenu si Lucie Baud avait eu connaissance de la révolte des canuts qui, à Lyon, quatre décennies avant son embauche dans une manufacture de Péage-de-Vizille, tissaient la soie depuis leur plus jeune âge et qui, comme elle, se révoltèrent contre leur condition.
On sait en effet peu de choses sur cette ouvrière du textile dont la biographie dans le remarquable Maitron tient en quatre paragraphes.
Contrairement à ses compagnes de misère, Lucie Baud a laissé une trace écrite, à une époque où les femmes avaient surtout le droit de se taire… Ce qui lui a permis de ne pas sombrer dans l'oubli fut que, outre ses lettres, Lucie Baud a raconté sa vie et ses combats en 1908 dans un article paru dans la revue Le Mouvement socialiste, « Les tisseuses de soie dans la région de Vizille ». L'historienne Michelle Perrot s'inspirera de ce précieux témoignage sur la condition ouvrière féminine dans l'Isère au début du XXe siècle pour son essai Mélancolie ouvrière, paru en 2012 (éditions Grasset).
Gérard Mordillat ne pouvait être insensible à cette vie d'ouvrière et de militante, née un an avant la Commune de Paris, qui contera en quelques pages les deux grèves auxquelles elle participera en 1905 et 1906 à Vizille et Voiron (Isère).
En 1905, c'est en effet une grève de quatre mois qu'elle organise, emmenant 200 ouvrières des usines de soierie du canton de Vizille.
Organisant la solidarité (soupes communistes, collectes dans les usines), la jeune veuve, ici superbement interprétée par Virginie Ledoyen, recevra l'appui des syndicalistes régionaux du textile (tous des hommes), mais n'eut pas la possibilité de s'exprimer lors de leur congrès où elle était la seule femme…
La fiction lui prête une idylle avec Charles Auda (Philippe Torreton), militant syndical et féministe, mais surtout montre la dureté du travail. Les journées de douze à quatorze heures, les cadences de plus en plus pénibles, les salaires de misère, le droit de cuissage exercé par les contremaîtres, les enfants travaillant dès 10 ans et, déjà, la main d'œuvre immigrée (ici des Piémontaises) pour laquelle les curés servaient de rabatteurs…
Main dans la main, le patronat, le sabre et le goupillon s'entendent comme larrons en foire pour augmenter les cadences et baisser les salaires sous prétexte de mécanisation (aujourd'hui on évoque de même manière la robotisation et les nouvelles technologies), menaçant — au choix — du chômage, des flammes de l'enfer ou de la mitraille quiconque se rebellerait, à plus forte raison s'il s'agit d'une femme, bien sûr dépourvue du droit de vote, et véritable esclave si, de plus, elle est étrangère…
Avec une belle attention portée aux visages, aux regards et aux corps des femmes, à leur condition doublement exploitée, cette fiction reconstitue avec beaucoup de soin (dans la région d'origine de Lucie Baud) et de justesse une époque pas si lointaine, et des luttes solidaires pour la dignité, l'égalité et les droits au travail qui n'appartiennent pas qu'à un passé révolu.
Adoucissant le parcours éprouvant de Lucie Baud par les chansons de l'époque, populaires ou révolutionnaires, Mélancolie ouvrière, où apparaissent aussi François Morel, Marc Barbé et François Cluzet, s'inscrit, si l'on ose dire, dans le droit fil des réalisations de l'auteur de Vive la Sociale ou Les Vivants et les Morts.
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