Femmes debout
Les domestiques étrangères employées dans le pays ont créé leur syndicat pour mettre fin aux abus dont elles sont victimes. Une première dans le monde arabe. Lire la suite
Les deux explosions industrielles gigantesques qui ont frappé mardi 4 août le port de Beyrouth et provoqué la dévastation dans la ville interviennent dans un contexte de crise économique et sociale qui a conduit près de la moitié de la population libanaise sous le seuil de pauvreté. Le deuil et le chagrin le disputent à la colère.
« Après cette phase de première urgence, il faudra continuer d'aider la population et ce sera long. Nombreux sont ceux qui ont tout perdu et sont traumatisés » indique Le Docteur Ismaïl Hassouneh, secrétaire national du Secours populaire présent au Liban
Une catastrophe industrielle, une dévastation humaine. Une double et gigantesque explosion au port de Beyrouth a ravagé mardi 4 août au soir la capitale libanaise. Ce mercredi 5 août au matin, un bilan encore provisoire de la Croix rouge faisait état d'au moins cent morts et de plus de 4000 blessés, tandis que les recherches se poursuivaient sous les décombres pour tenter de retrouver des dizaines de personnes disparues.
Selon le Premier ministre libanais, Hassane Diab, environ 2,750 tonnes de nitrate d'ammonium étaient stockées dans l'entrepôt du port de Beyrouth qui a explosé. En fait, une première explosion s'est d'abord produite dans la zone portuaire, suivie d'un incendie puis d'une seconde explosion, infiniment plus puissante, dégageant un immense champignon de fumée.
La violence de l'explosion a non seulement dévasté la zone portuaire, mais aussi provoqué des dégâts considérables dans quasiment tous les quartiers de la ville et dans sa banlieue. Son souffle a même été ressenti jusque sur l'île de Chypre, à plus de 200 kilomètres de Beyrouth.
Quelque 300 000 personnes sont aujourd'hui sans abri.
Le nitrate d'ammonium, à la base de nombreux engrais azotés et composant d'explosifs, doit être stocké dans des conditions strictes. Selon le directeur de la Sureté générale Abbas Ibrahim, les 2750 tonnes qui ont explosé étaient stockées depuis au moins six ans années dans l'entrepôt, à proximité de quartiers très fréquentés.
Le nitrate d'ammonium est à l'origine de plusieurs catastrophes dans le monde. En France, l'explosion le 21 septembre 2001 dans la banlieue sud de Toulouse de 300 à 400 tonnes de ce produit conservées dans un hangar de l'usine chimique AZF (Azote Fertilisants), propriété de la société Grande Paroisse et filiale de Total, avait provoqué la mort de 31 personnes et en avait blessé 2 200 autres.
Le Premier ministre libanais, Hassan Diab, a promis mardi soir devant le Conseil supérieur de Défense que les responsables devraient « rendre des comptes ».
Déjà saturés par l'accueil de malades du coronavirus et souffrant d'un manque criant de moyens, plusieurs des hôpitaux de Beyrouth ont été touchés par la déflagration et lourdement endommagés. L'accueil indispensable des nombreux blessés y est d'autant plus compliqué.
Selon le ministre de la Santé, Hamad Hassan, le pays est « en pénurie de tout ce qui est nécessaire pour porter secours » aux victimes et les soigner.
À cette situation d'urgence s'ajoutent des destructions massives, non seulement d'habitations et lieux de travail, mais aussi de stocks alimentaires, comme celle de silos de céréales.
Le mohafez (gouverneur) de Beyrouth évoque entre trois et cinq milliards de dollars de dégâts.
Cette catastrophe intervient alors que le pays fait face depuis près d'un an à sa plus grave crise économique depuis la fin de la guerre civile (1975-1990), les occupations israélienne et syrienne et les offensives militaires israéliennes.
Sa dette atteint 92 milliards de dollars, soit 170 % de son PIB. En cause, dénoncent les manifestants qui ont envahi les rues du pays dès octobre dernier, l'incurie d'un régime prédateur, organisé autour d'anciens chefs de guerre auto-amnistiés, qui ont notamment plombé les services publics et entretenu la corruption et un système de clientélisme confessionnel.
En un peu moins d'un an, les prix des produits de base ont augmenté de 169 %, notamment du fait de la dévaluation de la livre libanaise pesant sur toutes les importations. Le chômage atteint 35 % de la population active. Le pouvoir d'achat moyen des ménages a chuté de 85 % et l'on estime que la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté en plus de la majorité des quelque 1,5 million de réfugiés (palestiniens et syriens…) exilés dans le pays.
En mars, le Premier ministre a annoncé que le Liban ne pourrait rembourser une première tranche de 1,2 milliard de dollars de sa dette et le 30 avril il a précisé qu'il ferait appel à une aide du Fonds monétaire international, une demande qui n'a pas pour le moment abouti.
La crise du coronavirus a encore aggravé cette situation, générant des licenciements massifs de travailleurs et travailleuses privés de tout moyen.
Le 17 octobre 2019, puis les jours et mois suivants, c'est toutes origines et confessions confondues que des centaines de milliers de Libanais sont descendus dans les rues pour réclamer la fin du régime. Au départ, l'annonce d'une taxe sur les appels passés par WhatsAp a déclenché le mouvement. Mais le retrait de cette décision n'a pas apaisé une population lasse du chômage galopant, de la pauvreté et des inégalités, des pénuries chroniques d'eau et d'électricité, et qui réclame l'accès aux services de base.
Fin octobre, les manifestants ont obtenu la démission (que ne souhaitaient ni le président Michel Aoun ni le Hezbollah) du Premier ministre Saad Hariri. Le 19 décembre, l'universitaire Hassan Diab a été désigné Premier ministre pour le remplacer. On est loin du compte cependant pour éteindre la colère.
Aujourd'hui, les rassemblements sont interdits pour cause de coronavirus. Cela n'a pas empêché de nouvelles manifestations re reprendre depuis mi-juin en particulier à Beyrouth et à Tripoli (nord).
Aujourd'hui, l'heure est au deuil et à la gestion de l'urgence humanitaire dans tous les domaines (soins, nourriture, logement…).
Le Premier ministre libanais a fait appel à l'aide internationale. Plusieurs pays (Koweït, Jordanie, France, Russie…) ont annoncé répondre à cet appel.
Mais la catastrophe qui s'est abattue sur Beyrouth et l'incurie qui l'a rendue possible ont encore accru la colère populaire.