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Elections européennes

Extrême droite au sein de l’Union européenne : les syndicats européens réagissent

20 juin 2024 | Mise à jour le 20 juin 2024
Par , et | Photo(s) : KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Extrême droite au sein de l’Union européenne : les syndicats européens réagissent

La percée de l'extrême droite aux élections européennes atteint toute l'Europe, mais de manière différenciée selon les pays. Particulièrement inquiétante en France, elle ne bouleverse pas l'équilibre des trois premiers partis qui siègent au Parlement mais témoigne du rejet des politiques actuelles. Petit tour d'Europe des réactions syndicales.

« La montée de l'extrême droite a eu lieu un peu partout en Europe. C'est une lame de fond qui montre un rejet des politiques traditionnelles. L'Europe ne peut pas continuer à faire comme si de rien n'était », analyse Ludovic Voet secrétaire confédéral de la confédération européenne des syndicats (CES).  En effet, si l'extrême droite réalise une percée en France, l'équilibre général des trois premiers partis qui siègent au Parlement européen n'est pas bouleversé. Le PPE (où siègent les partis de la droite libérale et classique) demeure en tête.  Il se renforce même en passant de 176 sièges à 185 sièges. Juste derrière, la gauche du S&D (Socialistes et Démocrates) recule légèrement en passant de 139 à 137 sièges. La correction est plus sévère chez les Centristes (dont les macronistes) de Renew Europe, qui perdent 23 sièges (79 contre 102), mais demeurent en troisième place. C'est toutefois à la quatrième position, précédemment occupée par les Verts/ALE, que s'opèrent les changements les plus importants. En passant de 71 à 52 sièges, les écologistes sont désormais dépassés par les 73 députés de l'ECR (Conservateurs et Réformistes européens) auxquels s'ajoutent les 58 de ID (Groupe Identité et Démocratie), deux formations où siègent des députés de la droite extrême. En bas du tableau, le groupe de la Gauche (the left) reste lui relativement stable, passant de 37 à 36 sièges.

Insécurité économique et sociale

Appelée à réagir à la sortie des urnes, Esther Lynch, secrétaire générale de la CES, a livré un premier commentaire : « L’Europe doit résoudre d’urgence le problème de l’insécurité économique et sociale qui est à l’origine de la colère et de la peur croissantes dans notre société. Nous savons que les personnes qui ne sont pas satisfaites de leur salaire et de leurs conditions de travail, et qui n’ont que peu d’influence sur leur emploi, sont plus susceptibles d’être sensibles aux messages de l’extrême droite.  Toutes les forces démocratiques ont désormais la responsabilité de rétablir la sécurité et l’espoir en offrant des emplois de qualité et un niveau de vie plus élevé, en améliorant les services publics et en assurant une transition juste où les travailleurs ont vraiment leur mot à dire, de sorte qu’aucun travailleur ni aucune communauté ne soient laissés pour compte. » Le traumatisme créé en France par le score du RN est important. Nous avons tenté d'avoir un aperçu de la situation et des réactions syndicales vu d'autres pays européens. Magdalena Chojnowska, syndicaliste polonaise raconte : « J'étais à Paris avant les élections pour une initiative des syndicats européens contre l'extrême droite. Nos camarades exprimaient leur inquiétude pour la situation en Pologne. Or maintenant, c'est ce qu'il se passe en France qui nous attriste… », explique la responsable du département international d’ OPZZ. « Notre syndicat ne fait pas de déclaration sur les élections du fait de la séparation d'avec le politique. Pour autant, nous avons des priorités et appelons à ne voter que pour des personnes pouvant garantir que nos valeurs seront représentées », rapporte-t-elle. Alors qu'on s'attendait à une remontée de l'extrême droite en Pologne, les choses ont été beaucoup plus nuancées. Avec 36,16% des voix, c'est en fait un revers qu'enregistre le très réactionnaire PiS (Droit et Justice), puisqu'il est désormais légèrement devancé par les 37,06% de la KO (Coalition civique). Face aux Conservateurs eurosceptiques du PiS, la Coalition civique affiche une ligne de droite libérale et pro-européenne.  C'est de ses rangs qu'est issu l'ancien président de la Commission européenne et actuel premier Ministre Donald Tusk.Au Parlement européen, la Coalition civique rejoint le PPE avec ses 21 sièges, tandis que Droit et Justice aura 20 députés dans l'ECR. Droit et Justice a gouverné la Pologne depuis 2015, mais a été devancé fin 2023 par le parti de Donald Tusk. Pour une lecture plus fine du scrutin, il faut cependant différencier l'Ouest et le Nord du pays qui votent pour la Coalition civique, tandis l'Est et le Sud pays continuent très majoritairement à accorder leur confiance à Droit et Justice.

Inquiétude en Allemagne

Enfin, le parti de gauche Lewica ne remporte que 3 sièges avec un peu plus de 6 % des suffrages, tandis que Konfederacja gagne 6 sièges avec 12%.  « Et ils sont encore plus à l'extrême droite que le PiS », note encore Magdalena Chojnowska. Même inquiétude outre-Rhin où le parti d'extrême droite AFD affiche, pour des élections européennes du 9 juin le meilleur score de son histoire, avec 15,9 % des voix obtenues (soit 15 des 96 sièges remportés au Parlement européen pour l'Allemagne ). L'AFD arrive en deuxième position derrière le parti de centre droit CDU/CSU (30 % et 29 sièges obtenus au Parlement européen). « Bien sûr, les scores obtenus par l'extrême droite  dans notre pays, mais aussi en Autriche ou en France nous inquiètent énormément, même si tout cela était prévisible, analyse Livia Hentschel, responsable au secteur international de l'organisation syndicale allemande DGB. Au regard des résultats de l'AFD, nous avons besoin de temps pour analyser tout cela, notamment en prévision des élections régionales et nationales qui nous attendent cet automne ». En début d'année, des révélations relatives à un projet de remigration de l'AFD  vers l'Afrique du Nord de deux millions de personnes vivant en Allemagne avait électrisé le débat public et suscité des manifestations monstres dans plusieurs villes du pays. Les déclarations polémiques du député européen Maximilian Krah (exclu depuis des instances de l'AFD), affirmant au quotidien italien La Repubblica le 18 mai dernier qu'un  « SS n'était pas automatiquement un criminel » ont aussi fait scandale et même poussé le Rassemblement national français à couper les liens avec le parti, dédiabolisation oblige…Si Livia Hentsche se félicite qu'il existe toujours à l'échelle du Parlement  une majorité pro-européenne, elle s'alarme de la situation en France. « La perspective d'un gouvernement RN est épouvantable, non seulement toutes les politiques européennes seront empêchées mais quid de l'avenir des relations entre les deux membres fondateurs de l'UE, que sont la France et l'Allemagne ? Quant à Marine Le Pen, on sait qu'elle ne veut plus coopérer avec l'AFD au Parlement européen, mais c'est parce qu'elle veut se débarrasser de l'étiquette de l’extrême droite. Mais c'est en quelque sorte plus dangereux car cela lui permet de masquer ses intentions réelles ».

Abstention massive en Italie

Dans la Péninsule italienne , aussi, l'extrême droite, au pouvoir depuis deux ans, est arrivée en tête. Seul motif de satisfaction, elle a perdu plus d'un million de voix par rapport au dernier scrutin national. Mais, pour la première  fois dans l'histoire de la république italienne, le taux de participation a été inférieur à 50 %. « Ce haut niveau d'abstention traduit en premier lieu un manque de confiance dans les institutions, analyse Salvatore Marra, de la Confédération générale italienne du travail (CGIL). Les travailleurs considèrent les institutions, surtout européennes, loin de leurs préoccupations et de leurs besoins. D'ailleurs, dans certaines régions où l'on votait également pour des élections locales, la participation a été supérieure de 20 points par rapport aux européennes. » L'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale en France a été un « choc », pour le responsable syndical, qui voit se dessiner dans l'Hexagone une trajectoire similaire à celle de l'Italie : « La disparition des partis dits traditionnels, l'émergence de partis qui sont davantage des mouvements comme En Marche, LFI ou 5 étoiles, en Italie, et malheureusement la montée de l'extrême droite » qui, si elle remportait les législatives le 7 juillet, représenterait un « désastre, non seulement pour la France, mais aussi pour l'Europe ».

Renforcer les initiatives sociales   

Pour Ludovic Voet les enseignements de ces élections européennes restent à construire : « Le principal message des urnes est que la majorité est toujours aux partis démocratiques. Il est donc évidemment exclu d'entrer en discussion avec les partis d'extrême droite. Or ce pouvait apparaître comme un risque au vu de l'absence de clarté du PPE sur les alliances possibles, notamment avec les nationalistes de Meloni. Il est probable que la même coalition reste en place, mais elle ne peut pas continuer à faire la même chose. » Et de poursuivre : « Cela signifie qu'il faut avancer sur un programme ambitieux de création d'emplois de qualité et une politique industrielle forte qui maintient les emplois en Europe.  Il faut préparer les transitions digitales et climatiques en ne laissant personne de côté et mettre au centre des discussions les questions de santé de sécurité et de conditions de travail. En résumé : accélérer sur les initiatives sociales. » Le 19 juin 2024, et conformément aux nouvelles règles notamment votées par les députés Renaissance, la Commission européenne vient d'annoncer qu'elle plaçait la France et six autres pays sur la liste pour procédure de déficit excessif.  « C'est l'austérité à plein pot en préparation », réagit Ludovic Voet, soit l'exact inverse de ce que préconisent les syndicats européens pour sortir de l'impasse qui nourrit l'extrême droite.