10 octobre 2025 | Mise à jour le 13 octobre 2025
Une enquête menée par Radio France révèle que treize banques sont visées par le ministère de l’Économie dans le cadre du scandale fiscal « CumCum », un montage financier à la limite de la légalité visant à contourner l’impôt sur les dividendes.
Une amende de 88 millions d’euros pour blanchiment aggravé de fraude fiscale en échange de l’extinction des poursuites. C’est l’objet de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) signée entre le Crédit Agricole et le Parquet National Financier (PNF) le 8 septembre dernier, pour mettre fin à une affaire de « CumCum ». Malgré sa douce sonorité, ce terme latin qui signifie « avec-avec », désigne une pratique d’optimisation fiscale dans laquelle deux entités financières sont toutes deux gagnantes au détriment du fisc.
Banques et investisseurs : le duo gagnant
En clair, il s’agit d’un tour de passe-passe qui consiste, pour une banque française, à prêter des titres à une autre entité financière résidant dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale favorable. Et ce, afin d’échapper à l’impôt en France. « Ces opérations créent des situations fiscales fictives pour faire en sorte que les dividendes attachés à des actions ne soient pas imposables en France, mais dans des pays avec lesquels des conventions fiscales bilatérales permettent d’avoir une moindre taxation des bénéfices. Les flux financiers liés à ces opérations permettent aux banques de mieux se rémunérer pendant les périodes de versement des dividendes », décrypte Irène Baudry, mandatée par la fédération CGT de banques et assurances (FSPBA-CGT) et représentante CGT à la Commission Paritaire Nationale de l’Emploi (CPNE) et à l’observatoire des métiers de la banque. « Le but de l'affaire est d'utiliser la libre circulation des capitaux pour éluder l'impôt », relève la syndicaliste. Elle ajoute : « C’est une injustice fiscale évidente qui ne date pas d'hier, car les clients riches parviennent à se domicilier fiscalement où ils veulent grâce à une circulation importante des capitaux ».
Un manque à gagner de 33 milliards pour la France
L'enquête de Radio France indique que ces montages financiers auraient fait perdre plusieurs dizaines de milliards d’euros aux caisses de l’État. Selon un calcul de l’université allemande de Mannheim réalisé en 2021, les finances publiques européennes cumuleraient un manque à gagner de 140 milliards d’euros. La France serait la plus touchée, avec 33 milliards d’euros depuis le début des années 2000. Des montants contestés par la Fédération Bancaire Française (FBF) qui se réfère plutôt aux 200 millions d’euros par an avancés par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). D’autres professionnels de la finance estiment eux, que ce calcul est largement sous-estimé.
Dévoilé en 2018 par le consortium de journalistes d’investigation internationaux Correctiv -Cumfiles-, ce scandale ou pillage organisé fait l'objet de « procédures de redressement » concernant « cinq établissements de la place de Paris pour un montant de 4,5 milliards d’euros », expliquait, sans les nommer, en juillet 2024, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. En mars 2023, cinq établissements financiers avaient été perquisitionnés dans le cadre d’une enquête du Parquet National Financier (PNF) pour fraude fiscale aggravée et blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée. Il s’agissait de BNP Paribas, et notamment sa filiale Exane (gestionnaire de fonds), de la Société Générale, de Natixis (filiale de BPCE, groupe rassemblant les Caisses d’épargne et les Banques populaires) et de HSBC.
Bercy encore moins transparent
« Cette transaction entre le Crédit Agricole Corporate and Investment Bank et Bercy montre bien qu'il y a un sujet de fraude fiscale », conclut la syndicaliste. Elle nuance tout de même : « on peut s’interroger sur la faiblesse de ces 88 millions d’euros en comparaison des montants d’argent en jeu et des sommes que Bercy aurait pu recouvrer. On regrette l'opacité de la part du ministère des Finances, alors qu'il s'agit bien d'argent qui manque au budget public au moment même où on cherche à savoir comment financer notre budget pour nos biens communs ». Reste à voir comment les autres banques vont être mises à l’amende. La justice fiscale est effectivement un sujet brûlant quand on sait que les milliardaires paient proportionnellement moins d’impôts, toutes taxes comprises, que le reste de la population. Tel est le diagnostic dressé par l’Observatoire européen de la fiscalité dans un rapport mondial publié en 2024. En France, il est particulièrement visible : 50 % des revenus des contribuables partent en impôts contre 27 % pour les milliardaires.