14 août 2015 | Mise à jour le 6 mars 2017
La chaîne de télévision franco-allemande Arte est aussi une maison d'édition qui fêtera en septembre ses 20 ans. Focus sur deux BD récemment parues : La renarde et La main heureuse.
Dès l'origine, Arte s'est différenciée des autres chaînes de télévision. Par ses programmes d'abord qui bannissaient les émissions participant à l'abrutissement de masse. Par le prolongement et l'accompagnement de la réflexion via la parution d'ouvrages. Chez Arte, il y a « un éditeur derrière l'écran » comme le revendique Isabelle Pailler, responsable éditoriale livres d'Arte (voir encadré ci-dessous). Histoires, société, beaux livres, BD… le catalogue des parutions est riche.
Au rayon BD, deux petits bijoux sont parus cet été et devraient faire le bonheur des plus grands.
LA RENARDE
Côté champêtre, osons lire sans complexe La renarde, malgré son trait naïf et sa promesse pastorale, l'album réserve bien des surprises. Personnage à la malice diabolique et au pelage chatoyant, La renarde aligne les gags en strips dans une mécanique parfaite. Cette belle rousse, roublarde, perverse, manipulatrice règne sur son petit monde : un âne acariâtre, un percheron goulu, un chasseur obtus, un loup pelé, vieux et famélique. Pro de l'arnaque, elle met sens dessus dessous la communauté rurale qui l'entoure.
Son souffre-douleur préféré c'est Madame Lapine dont elle dévore les portées au fil des pages tout en harcelant la lagomorphe aux longues oreilles. Amorale jusqu'au bout des crocs, la goupil fait sienne la devise de l'ultra individualisme et jouit sans entrave de sa liberté : celle d'un·e renard·e libre dans un poulailler libre.
Ne vous fiez pas au graphisme tout en rondeur de ses créateurs, Marine Blandin et Sébastien Chrisostome. Ces deux-là se plaisent à distiller un humour au cynisme implacable et s'ils dessinent la ferme d'antan, c'est pour mieux parler du monde d'aujourd'hui. Décidément cette Renarde est plus proche de Jean de La Fontaine que de Martine à la ferme.
LA MAIN HEUREUSE
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L'autre belle découverte c'est La main heureuse. La main, c'est la Mano Negra bien sûr, ce groupe de rock alternatif aux accents latino qui a fait le bonheur des adolescents des années 90 et des manifs Bastille-Nation.
Dans leur patelin, Frantz et son pote Mike s'ennuient méchamment… Mais ils ont comme remède un élixir décapant : la musique ! Aussi, quand Mike vient annoncer à Frantz que la Mano passe à Bordeaux, leur rêve semble enfin devenir réalité. La vieille bécane est retapée, les cours séchés et les deux copains filent vers leur dose de décibels et de fiesta rebelle.
Bien sûr, leur road movie sur le deux-roues poussif ne va pas être de tout repos : rencontres louches ou sympathiques, engueulades entre les deux copains, galère sans un sou en poche pour assister à un concert complet depuis longtemps… |
À la vitesse de croisière de 35 km/h, la province des années 90 défile tout au long des pages dans des effluves de mélange deux temps et de cannabis fumé en cachette.
Tout en finesse, l'épopée biographique de l'auteur Frantz Duchazeau, vous prend par la main et vous fait partager le désir de ces deux gamins qui veulent à tout prix « vivre leur rêve ».
La main heureuse, de Frantz Duchazeau, Arte Editions, 104 pages, 17 euros.
« Un éditeur derrière l'écran »
L'idée de faire des livres après un film est née tout simplement, il y a 20 ans. D'un simple constat. « Souvent les auteurs nous disaient j'aurai voulu en dire plus », rapporte Isabelle Pailler, responsable éditoriale livres chez Arte. Le format audiovisuel de 52 ou 90 minutes ne suffisait pas toujours à condenser des mois – des années parfois – d'enquête. « On sentait chez de nombreux auteurs réalisateurs le besoin d'aller plus loin, de développer leur pensée. Et puis, la diffusion d'un documentaire est éphémère. Un livre permet de pérenniser ce travail », explique Isabelle Pailler.
Premier ouvrage en liaison avec des docs d'Arte, la trilogie de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Les origines du christianisme qui trouvera son prolongement à la rentrée 2015 avec un ouvrage sur Jésus et l'islam.
Très vite, le versant écologique, citoyen, lanceur d'alerte est présent avec les enquêtes des journalistes Laure Noualhat et Marie-Monique Robin sur les déchets nucléaires ou les pesticides.
Quant aux dessins, après Valse avec Bachir ou La métamorphose iranienne, qu'Isabelle Pailler qualifie de « BD documentaires », Arte s'est lancé dans un nouveau défi, mettre la fiction en bulle. « Dans un premier temps, les jeunes talents du label Cyclope publient sur notre web magazine des strips », explique encore la responsable éditoriale. Parmi ces épisodes tendres, loufoques ou drôles, tout droit sortis de l'imagination des dessinateurs, certains deviendront des BD, éditées conjointement par Arte et Casterman. |